L’alliance des évangélistes avec les gouvernements devient dangereuse (entretien avec Ariel Goldstein / traduction Annie Damidot / Dial / Espaces Latinos)


Début mars dernier, La Izquierda Diario a publié un entretien avec le sociologue argentin Ariel Goldstein, qui conduit des recherches sur les églises évangélistes. Le chercheur y décrypte les ressorts de leur croissance et de leurs liens avec les gouvernements dans différents pays du continent. 

Photo : RT – Dial

Conversation avec le sociologue du Conicet, auteur du livre Pouvoir évangéliste. Depuis des décennies ces églises ont conquis des espaces de plus en plus vastes dans la sphère politique en Amérique latine et jouent un rôle décisif dans la formation des gouvernements, tant de droite comme de centre-gauche. Rôle qu’elles disputent à une Église catholique en chute libre. Depuis plusieurs années les églises évangélistes ont acquis une plus grande notoriété publique de fait de leur rapprochement avec le pouvoir politique. Avec un fort ancrage territorial, qui s’appuie sur un important militantisme social assistancialiste, les pasteurs se sont faits les stratèges d’alliances fortes et soutenues avec les gouvernements populistes de droite comme de gauche.

Leer en español
Entrevista. Ariel Goldstein: “La alianza de los evangélicos con los Gobiernos ya es peligrosa”

Que ce soit avec Trump ou Lula, avec Maduro, Bolsonaro, Ortega, López Obrador ou avec Alberto Fernández en Argentine, les dirigeants des églises évangélistes ont su se transformer en associés du pouvoir, allant même jusqu’à disputer à l’Église catholique son rôle central comme facteur de modération sociale dans les crises récurrentes de la région. Position qui convient aux gouvernements qui laissent entre leurs mains la politique sociale, ce qui peut être considéré comme une « économie » pour l’État qui peut rediriger les fonds du domaine social vers d’autres domaines comme la sécurité. La Izquierda Diario s’est entretenu avec Ariel Goldstein, sociologue, chercheur au Conicet et auteur du livre Pouvoir évangéliste (Editorial Marea, 2020) où il analyse en profondeur un phénomène qui parcourt les dernières décennies et concerne tout le continent : comment les groupes religieux colonisent le champ politique en Amérique.

Dans le livre, vous dites que les « crises économiques, en révélant l’incapacité de l’État à faire face à l’aide sociale, amplifient le développement de l’action sociale évangéliste et, par conséquent, la croissance de ces églises ». Par-delà la « doctrine » évangéliste, est ce que tu crois que sans les crises économiques récurrentes propres au capitalisme, ces églises n’auraient pas proliféré comme elles l’ont fait ?

Ces phénomènes sont liés. Après la publication du livre je me suis mis à réfléchir à la question économique, au phénomène évangéliste et à la question migratoire. Le développement des évangélistes au Brésil n’est pas un hasard. Le phénomène social le plus important qui s’est produit au XXe siècle dans ce pays a été la migration en masse de familles de la région Nord-Est vers le sud du pays. Beaucoup de ces familles qui migraient dans des conditions précaires, trouvaient dans les églises une forme d’insertion et d’appartenance à la communauté. Un autre cas dans lequel ces églises ont une croissance puissante est parmi les latinos des États-Unis où nous savons que les migrants constituent un groupe de citoyens de seconde zone. Un autre espace de croissance est l’Amérique centrale, qui subit au contraire des États-Unis un processus d’émigration.

C’est évidemment un phénomène qui est lié aux crises économiques, mais aussi aux difficultés de type affectif générées par les crises économiques. Les évangélistes le comprennent très bien et savent donner des réponses à ces phénomènes. Des réponses avec lesquelles on ne pourrait pas être d’accord si on les appréhende en termes de classe, peut-être, comme la manière dont ces églises travaillent sur les problématiques de violence domestique, sur les addictions, et même sur l’insertion dans des réseaux communautaires. C’est-à-dire que d’un côté il y a un lien avec l’économie, mais il y a aussi le terrain émotionnel, relationnel qui est important.

Ce développement soutenu que tu analyses, qui a eu lieu au cours des dernières décennies en Amérique latine, en quoi a-t-il quelque chose à voir avec la chute des fidèles dans l’Église catholique ?

C’est bien sûr lié. Les espaces que l’Église catholique laisse inoccupés, ces groupes les occupent. Par exemple dans le cas de l’État Amazonas, au nord du Brésil, François a proposé que les prêtres mariés puissent dire la messe, parce que là-bas les évangélistes se développaient beaucoup. Si l’on considère les voyages qu’a fait François ces dernières années, par exemple en Colombie (après le plébiscite) où il avait donné son appui à Santos avec cette initiative qui n’a pas abouti, il y a une course aux fidèles. Le voyage à Panamá au cours duquel il a dit « je veux parler pour toute l’Amérique centrale » en est un autre exemple. (…)

(…) Lire la suite de l’article ici