🇦🇷 Comment l’Argentine s’est entièrement façonnée autour des OGM (Valéria Hernández / The Conversation)


L’histoire n’est pas banale : c’est celle d’une plante originaire d’Asie orientale, restée pendant des millénaires confidentielle avant de susciter un engouement mondial, de devenir alors l’objet d’expérimentation génomique américaine, puis d’arriver dans la pampa argentine où elle prospère depuis de façon irrésistible. Cette plante c’est le soja. Par Valéria Hernández, anthropologue, Institut de recherche pour le développement (IRD).

Tracteur et semoir, ensemencement direct dans la pampa, Argentine. Foto 4440/Shutterstock

Son histoire argentine est celle d’une conquête fulgurante, puisqu’elle s’y est installée, en quelques décennies, jusque dans des régions montagneuses où personne n’était, avant cela, assez fou pour cultiver la terre.

Au-delà de séduire le secteur agricole, cette plante est aussi devenue, en Amérique latine, un maillon clef de l’équation financière liant cette région à l’économie mondialisée. Aujourd’hui, les principaux pays producteurs de soja sont l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et la Bolivie. Mais le premier à avoir autorisé la culture du soja transgénique a été l’Argentine : en 1996, la superficie du sol semé avec du soja GM était de 1 %, elle atteignait 90 % en 2000-2001. Alors, comment expliquer cette irrésistible conquête ? Quelles en sont les conséquences aujourd’hui ?

Lorsque les semences génétiquement modifiées arrivent dans la pampa argentine, au milieu des années 1990, elles trouvent un pays où le secteur primaire est déjà roi, avec un climat tempéré, des sols fertiles arrosés de pluie, et, déjà, une très bonne réputation sur le marché international des céréales et, plus récemment, des oléagineux.

Si ces conditions ont joué un rôle indéniable, le fer de lance des OGM est cependant plutôt à chercher du côté du droit, et du gouvernement néo-libéral au pouvoir. L’expansion du soja transgénique résistant au glyphosate a, de fait, grandement bénéficié de deux facteurs : d’abord le cadre juridique garantissant la libre circulation des biens, des services et des capitaux mais aussi la loi argentine sur les semences et les créations phylogénétiques de 1973 qui protège assez peu la propriété intellectuelle des semences car elle reconnait le droit des producteurs à replanter leurs propres cultivars.

Or le soja est une plante autogame c’est-à-dire capable de s’autoféconder, il est donc très facile de produire de nouvelles semences OGM à partir de graines achetées. De ce fait, un marché parallèle de semences de soja transgénique non certifiées s’est peu à peu mis en place, ce qui a permis aux producteurs argentins de les acquérir à un prix bien inférieur à celui pratiqué par les grandes entreprises semencières.

On pourrait ainsi penser que les multinationales produisant ces semences n’aient, de ce fait, pas eu grand intérêt à se développer en Argentine.

Mais les OGM n’arrivent pas seuls dans le pays : le modèle de culture du soja transgénique résistant au glyphosate s’accompagne tout logiquement d’une utilisation de cet herbicide, de matériels agricoles conséquents pour supporter cette nouvelle façon de faire de l’agriculture. Et là aussi, les lois argentines en vigueur font tout pour faciliter ce modèle d’agro-business, que ce soit avec l’élimination des taxes à l’export et de restriction au transport des grains, la réduction voire la suppression de tarifs douaniers sur le matériel agricole, les pesticides et engrais. Si les entreprises transnationales (Monsanto, Bayer, Syngenta, etc..) ne sont donc pas spécialement contentes de voir les graines transgéniques circuler à bas coût sur un marché parallèle, elles peuvent cependant prospérer en Argentine via le combo global de modèle agricole qui s’installe avec la vente d’intrant, de matériel agricole, de formations…

Une nouvelle classe entrepreneurial (l’agro-business) apparaît de ce fait, profitant des exploitations vacantes laissées par des producteurs victimes des effets des réformes libérales permettant la libre circulation des biens et des capitaux mais réduisant les aides aux petits et moyens agriculteurs, l’offre en crédit, et laissant libre cours aux mécanismes de l’hyperinflation et au surendettement.

Cet essor spectaculaire des OGM s’accompagne également d’un discours élogieux et parfois même messianique : grâce aux rendements spectaculaires, l’agro-business argentin va nourrir la planète, à la croissance démographique exponentielle.

Sur le plan technique, les OGM sont aussi promus comme un modèle d’efficacité, avec moins de main-d’œuvre nécessaire, et des gains de temps permis par la pratique du semi direct, qui consiste à semer les cultures sans que l’intégralité du champ n’ait été travaillée, ce qui peut permettre de mieux conserver les microorganismes du sol. En promouvant « l’agriculture de précision » les promoteurs de l’agro-business arguent aussi que leur modèle permet de réduire les intrants.

Depuis l’arrivée des premières semences OGM et l’essor de l’agro-business, tout retour en arrière semble incroyablement difficile à imaginer, tant le pays tout entier est devenu dépendant de cette activité. Ainsi, c’est la taxe à l’exportation de l’agriculture qui a, en grande partie, permis à l’état argentin de payer la lourde dette extérieure qui pesait sur lui, ou bien de conduire une politique d’aide sociale pour les populations les plus vulnérables. Aide grandement nécessaire avec un seuil de pauvreté qui a atteint 66 % de la population en 2002.

Mais si l’agro-business a pu ainsi permettre d’aider les plus précaires, elle a aussi aggravé leur sort, avec l’éviction de nombreuses familles paysannes victimes du fait de la concentration de la production entre les mains d’un nombre restreint de producteurs et le chômage massif dans le secteur agricole. (…)

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