🇦🇷 En Argentine, la population mobilisée contre des mines de lithium (David Zana / Mr Mondialisation)


Le nord-ouest de l’Argentine est particulièrement riche en ressources naturellesdont le lithium. Pour en faciliter l’exploitation au bénéfice d’entreprises transnationales, le gouvernement a adopté une réforme constitutionnelle qui a cristallisé l’opposition populaire. Décryptage.

Photo : David Zana

Des mouvements sociaux, unissant communautés indigènes, intellectuels, paysans et travailleurs, sont nés pour réclamer une hausse des salaires et la protection de leurs terres et de l’accès à l’eau dont l’industrie minière fait une forte consommation.

Origine d’une révolte sociale

Qu’est-ce qui relie le salaire des professeurs et l’exploitation du lithium ? Si le lien ne saute pas à priori aux yeux, depuis trois mois, les deux sujets font cause commune dans le nord-ouest argentin. Dans cette zone richissime en ressources naturelles, et notamment en lithium dont l’Argentine détient la troisième plus grande réserve mondiale, les professeurs revendiquent des salaires qui leur permettent de vivre décemment et de réaliser leur travail dans de bonnes conditions. Dans la province de Jujuy, le salaire d’un professeur du secondaire ayant dix années d’ancienneté avoisine 200 euros par mois, dans un contexte où l’inflation interannuelle dépasse les 100%.

Si la mobilisation est partie de Salta, où les professeurs auto-convoqués ont bloqué jours et nuits la route nationale 51 menant aux mines de lithium, c’est à Jujuy qu’elle s’est inscrite dans un mouvement plus vaste, voyant apparaître dans toute la province des barrages routiers. En cause : la réforme constitutionnelle du gouverneur radical Gerardo Morales, adoptée conjointement avec le parti péroniste dans un temps record (deux semaines après que son contenu ait été rendu public) et cristallisant à son encontre une opposition générale avançant derrière le slogan « À bas la réforme, plus haut les salaires ».

En première ligne des mobilisations : les communautés originaires craignent pour leurs droits territoriaux et leurs ressources en eau. Le nouveau texte prévoit en effet de réserver pour le développement productif des terres qu’elles occupent depuis des siècles et de faciliter plus encore aux entreprises transnationales l’exploitation des ressources naturelles comme le lithium, dont le mode d’extraction épuise les ressources en eau.

La « Constitution lithium »

Cette situation a conduit un groupe d’intellectuels à qualifier le nouveau texte de « Constitution du lithium », alors que trois projets miniers sont déjà en cours d’exploitation en Argentine dont l’un d’entre eux à Jujuy et une quarantaine en phase pilote de prospection.

Plus de soixante articles de la loi fondamentale provinciale ont été modifiés mais un point a été particulièrement décisif pour rallier des secteurs jusque-là désunis : le nouvel article 67 alinéa 4. Prohibant les barrages routiers, les occupations d’édifices publics « ou toute autre action pouvant affecter la libre circulation des personnes », la disposition avait tout pour déplaire à une pluralité de secteurs qui ont dénoncé ensemble une criminalisation de la protestation sociale.

Les professeurs et les communautés autochtones ne sont pas seuls dans la lutte. Des travailleurs de tous horizons sont mobilisés. Cecilia est productrice de fleurs dans le village de Maimara et elle passe le plus clair de son temps au barrage de Purmamarca, considéré comme l’épicentre de la lutte et où se croisent les routes nationales 9 et 52 qui mènent respectivement en Bolivie et au Chili : « On se bat pour l’eau. Car sinon demain on ne se rappellera même pas qu’il y avait un fleuve ici ».

Le barrage de Perico, un des plus stratégiques car il coupe la province en deux, offre un parfait panorama de l’hétérogénéité des protestataires, réunissant des professeurs, petits producteurs, paysans, membres de communautés, voisins, vagabonds, etc.

Une réponse répressive du gouvernement

En dépit de la mobilisation historique, la réforme constitutionnelle a été approuvée le 16 juin, est entrée en vigueur cinq jours plus tard et la principale réponse du gouvernement aura été la répression et la judiciarisation.

Entre le 16 et le 20 juin, la répression policière a frappé les localités d’Abra Pampa, Purmamarca et San Salvador de Jujuy, avec un lourd bilan de 170 blessés la dernière journée. Melina était présente à Purmamarca la journée du 17 quand des policiers en uniforme et en civils ont réprimé à trois reprises, le matin, l’après-midi puis le soir, faisant plus de vingt blessés graves. 

Le lendemain, les différents secteurs mobilisés mais aussi des personnes venues d’ailleurs, qualifiées par le gouvernement de « touristes piqueteros », témoigneront leur indignation au barrage saccagé la veille dans une immense foule nocturne jonchée de policiers infiltrés. D’après Melina, ces derniers « font partie des services d’intelligence, ils viennent recueillir des informations, estimer le nombre de personnes, identifier les leaders, etc. »

Quelques jours plus tard, le glas sonnera de nouveau, au barrage de Périco cette fois, où la police brûlera sans vergogne les drapeaux des manifestants.

Les épisodes de répression impliquent chaque fois des arrestations et des détentions arbitraires (une centaine au total) qui s’accompagnent d’abus divers comme celui d’ouvrir le téléphone des détenus contre leur gré. Sont concernés les manifestants mais aussi les défenseurs de droits humains à l’instar de l’avocat Alberto Najar, mis en détention provisoire pour avoir conseillé des communautés sur un barrage. Le pouvoir provincial ne rechignera pas non plus à envoyer la police aux domiciles des manifestants ou dans les universités, bafouant les principes constitutionnels de l’inviolabilité du domicile et de l’autonomie universitaire.

Une mobilisation juridique et institutionnelle

Propulsés à la connaissance du grand public par le biais de réseaux sociaux enflammés, les abus commis ont très vite été condamnés par les organismes de droits humains du pays, comme ANDHES, le Centre d’études légales et sociales (CELS) ou encore l’association HIJOS qui n’a pas hésité à comparer les violations observées avec celles de la dictature militaire.

Ces mêmes organismes ont aussi permis à la bataille dans la rue d’être portée devant les tribunaux. Au niveau local, l’association ANDHES a intenté un recours en amparo dans l’intérêt collectif des communautés de la province, demandant la nullité de la réforme pour non-respect du droit à la consultation préalable, libre et informée des peuples originaires prévu dans la convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), ratifiée par l’Argentine. Des procédures judiciaires sont également en cours aux niveaux national, inter-américain et international. (…)

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