🇦🇷 Argentine: le rôle de l’Église catholique au temps des militaires en question (RFI)


Pour le sociologue Fortunato Mallimaci, répondre aux « graves dénonciations » exprimées lors de procès était « un devoir ». L’Église catholique argentine, dont l’ancien chef est l’actuel pape François, à la tête jadis des jésuites dans son pays, est engagée cette année dans un travail rétrospectif compliqué, concernant son attitude pendant la dernière dictature, entre 1976 et 1983. Le deuxième tome de cette étude intitulée La vérité vous libérera est paru cette semaine. Un effort et un mea culpa inédits, mais qui restent insatisfaisants pour certains.

Photo non datée de Jorge Bergoglio, futur pape François, alors archevêque de Buenos Aires, en Argentine, et en passe de devenir cardinal, bien après le retour de la démocratie dans le pays. AFP – STR

Quel fut le rôle de l’Église argentine au temps des militaires ? C’est un sujet qui a fait couler de l’encre, lors de l’élection au Saint-Siège du cardinal argentin Jorge Bergoglio, en 2013 ; une thématique que l’on retrouve dans une fiction qui lui est dédiée, The Two Popes, film produit par Netflix sur la base d’une pièce de théâtre, The Pope.

La dernière dictature argentine, entre 1976 à 1983, a fait 30 000 morts ou disparus, selon l’estimation la plus communément admise, dans ce pays où la loi du silence et un certain relativisme ont longtemps régné. À cette époque, dont le souvenir reste vif, des centaines de bébés ont notamment été volés à des détenues puis placés dans des familles soutenant le régime.

La torture était par ailleurs, dans cette « guerre » se percevant comme idéologique, courante pendant les interrogatoires, étape préalable à la disparition. En 2003, un documentaire, Escadrons de la mort, l’école française, avait fait sensation. S’y exprimaient MM. Aussaresses et Charles Lacheroy, ou l’Argentin Díaz Bessone. Le lien avec l’Algérie française y était exploré.

Depuis la reprise, en 2006, des procès consacrés à cette période dite du « terrorisme d’État », plus de 1 100 personnes ont été condamnées pour crimes contre l’humanité, et des procédures restent en cours contre plus de 600 autres. Le général Jorge Videla a vu, en 2007, l’amnistie que lui avait accordée le président Menem être annulée, puis a été condamné une dernière fois en 2012, avant de s’éteindre en prison l’année suivante.

Mais quid de l’Église catholique, de la Conférence épiscopale argentine (CEA) et, plus spécifiquement, de la Compagnie de Jésus, présente dans le pays depuis des siècles, et dont l’antenne argentine était alors dirigée par le futur premier souverain pontife jésuite de l’Histoire du christianisme, l’actuel pape François ? Tout a-t-il été dit sur leur place dans le paysage de l’époque ?

C’est à cette question que quatre chercheurs de l’Université catholique de Buenos Aires (UCA) ont tenté de répondre ces cinq dernières années, à la demande de la CEA. En deux tomes de près 1 000 pages – un troisième sortira bientôt –, l’Église argentine s’essaie ainsi à un exercice d’introspection et d’autocritique inédit. Une catharsis, en quelque sorte.

« Nous voulons connaître la vérité historique et demander pardon »

« Lorsque Bergoglio était président de la Conférence épiscopale (2005-2011), il chargea un évêque depuis décédé, Giaquinta, d’étudier la cause de Mgr Angelelli, évêque de La Rioja assassiné par la dictature en 1976 », explique le prêtre Carlos María Galli, coordinateur de l’enquête, dans les colonnes d’El Pais.

« Giaquinta a trouvé dans le dossier de la CEA une collection qui disait Droits de l’Homme », poursuit M. Galli, par ailleurs recteur de la Faculté de théologie de l’Université catholique, puis il a dit à Jorge Bergoglio « que cela vaudrait la peine de systématiser tout ceci, surtout au cas où il y aurait des informations pour les familles des victimes ».

En 2013, le cardinal est élu pape, et demande par la suite que soit numérisé aussi le matériel du Vatican, à Rome. Un accès est donné à la Nonciature apostolique, à Buenos Aires. Reste à traiter les données : « Ils me l’ont demandé, j’ai mis en place une commission d’éditeurs et nous avons convoqué environ 25 personnes pour commencer le travail. »

À la sortie du volumineux premier tome de ce dossier en trois volumes, le tout intitulé La vérité vous libérera, des critiques ont été émises. « La plupart des référents des organisations de défense des droits de l’homme n’ont pas été convoqués avant le lancement du premier tome », faisait notamment remarquer cet article en espagnol.

Mais c’est le deuxième volume, paru cette semaine, qui est essentiellement consacré à l’examen des années dites de « terrorisme d’État ». Globalement, on y trouve les réponses que l’Église a données à plus de 3 000 demandes d’aide de proches de victimes, ou encore les contacts ayant eu lieu avec les dirigeants militaires.

Les organisations de défense des droits de l’homme demandaient depuis des décennies la déclassification de ces documents, espérant peut-être à tort trouver des informations nouvelles sur des cas particuliers. Y apparaissent néanmoins les contradictions internes à l’Église sur la réponse à apporter à ce que constataient ses prêtres au quotidien. La question centrale étant : aurions-nous dû faire différemment ? Aurions-nous pu faire plus ?

« Nous voulons connaître la vérité historique et demander pardon à Dieu, à la communauté argentine et aux victimes de la violence », déclarait la Conférence épiscopale, en préambule du premier tome. « Nous sommes bien conscients que dans de nombreuses décisions, actions et omissions, la CEA n’a pas été à la hauteur », ajoutait-elle. (…)

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