Au Pérou, les paysans se liguent contre des projets miniers destructeurs (Estelle Pereira / Reporterre)

Deuxième producteur de cuivre et d’argent au monde, et cinquième pour l’or, le Pérou attire les entreprises minières du monde entier. Ces dernières provoquent de plus en plus le rejet des populations locales. Dans le sud du pays, le projet de mine de cuivre Tía María cristallise la colère des communautés locales envers les mines et la classe politique, gangrénée par la corruption. 

  • Vallée de Tambo (Pérou), reportage

Au sud des Andes péruviennes, la vallée de Tambo est une oasis au milieu d’un bassin minier. Cernée au nord par des montagnes arides, cette vallée fertile de 13.000 hectares s’étend jusqu’à l’océan Pacifique. Les habitants, majoritairement des agriculteurs, luttent contre un projet de mine de cuivre à ciel ouvert surnommé Tía María. Située à seulement 6 km des premiers champs, la mine menace de contaminer toute la vallée.

La firme mexicaine Southern Copper Corporation, détentrice du projet, prévoit d’utiliser la méthode de « perforation » pour extraire le minerai. Il s’agit de provoquer des explosions à répétition, qui risquent, à cause du vent, de polluer l’air des alentours. Les habitants craignent également que le sulfate contenu dans le cuivre ne s’éparpille dans le fleuve Tambo, source d’eau qu’ils utilisent pour leurs cultures.

Début août 2019, le ministère de l’Énergie et des Mines a comptabilisé 36 manifestions contre Tía María dans différents lieux du département d’Arequipa. Le projet, né en 2003, a toujours suscité le rejet des habitants. Ce conflit social, qui oppose l’agriculture à la mine, est devenu emblématique de la façon dont l’État péruvien gère ses conflits internes autour de l’activité minière.

En 2011, date des premières manifestations, le gouvernement d’alors appuyait le plan de la filiale péruvienne de Southern Copper Corporation, et ce, malgré la réalisation d’études d’impact environnemental bâclées par l’entreprise [1] Les autorités ont toujours vanté les mérites du projet, à savoir, l’extraction de 120.000 tonnes de cuivre par an, la création de 3.500 emplois directs et une hausse annelle de 0,2 % du PIB grâce à l’activité de la mine.

Des millions de tonnes de résidus miniers éparpillés dans la nature

Ces arguments ne sont plus audibles par les habitants. « Nous ne sommes pas dupes », réagit Martial Alvarez, agriculteur de la Punta de Bombón, village de la vallée de Tambo. « J’ai 72 ans et j’ai vu les effets de la mine sur l’agriculture. Ils exploitent ce qu’ils peuvent et ils s’en vont. Ça n’apporte jamais rien aux habitants. » Il cite l’exemple de la baie d’Ite, à 200 km d’ici, où la même entreprise a rejeté plusieurs millions de tonnes de résidus miniers dans la nature de 1960 à 1996. Aujourd’hui, plus rien ne pousse dans ce territoire autrefois semblable à la vallée de Tambo.

Quant aux arguments concernant les potentielles créations d’emplois, plusieurs manifestantes, agricultrices de la vallée, s’exclament en chœur : « Mais vous croyez qu’ils vont nous embaucher ? » L’une d’entre elles, le visage marqué par le travail aux champs, enchérit : « J’ai plus de 70 ans et je peux encore travailler la terre. L’agriculture offre des emplois à tout le monde, peu importe notre âge. Alors que la mine, c’est pour les jeunes hommes qualifiés de la ville ou les étrangers. » Elle craint de donner son nom. « Vous pouvez écrire :- “Les habitants du district de Cocachacra-.” » Une vieille dame, attentive à la conversation, ajoute : « Tout le monde pense la même chose ici. »

L’entreprise minière Southern Copper Corporation opère au Pérou depuis 1960. Elle est connue des habitants pour être la plus polluante de toutes [En 2008, l’enquête de l’Observatoire des entreprises transnationales relevait déjà les conséquences dramatiques pour l’environnement des activités de la compagnie]. En apprenant la décision du gouvernement d’octroyer une licence d’exploitation à la firme, le 15 juillet 2019, les habitants des villages de la vallée (Cocachacra, Mollendo, Punta de Bombón) ont immédiatement commencé une grève. Depuis, ils bloquent les routes de leur commune pour empêcher les camions de livrer la production de mines alentour.

« L’État ne voit que l’intérêt des grandes entreprises, mais jamais des plus petits, comme les agriculteurs »

Leur mobilisation a obtenu un écho jusqu’à la ville d’Arequipa, deuxième agglomération la plus peuplée du Pérou. La Fédération syndicale des travailleurs de la ville (FDTA) a rejoint le mouvement, le 25 juillet, en bloquant le port de Matarani, d’où partent les minerais destinés à l’exportation. « Malheureusement, s’attaquer au portefeuille des entreprises est la seule méthode qui fait réagir l’État, justifie Jose Luís Chapa, secrétaire général du syndicat. L’État ne voit que l’intérêt des grandes entreprises, mais jamais des plus petits, comme les agriculteurs. »

L’État a répondu par la force, en envoyant l’armée débarrasser le port des manifestants. Trois civils ont été blessés par balle. Le 9 août, face aux risques de pertes humaines et économiques — le port a déclaré 500 millions de dollars de pertes — le Conseil national de la mine a annoncé la suspension de la licence d’exploitation pour 120 jours, pensant calmer les révoltés.

« Cette décision n’implique pas une annulation complète », a dit le 15 août le ministre de l’Économie et des Finances, Carlos Oliva, au Congrès, l’équivalent de l’Assemblée nationale française. « Ce que nous demandons, c’est l’annulation totale du projet, la lutte continue », a réagi le syndicaliste Jose Luis Chapa. Depuis, des manifestants défilent chaque jour dans les rues d’Arequipa.

Au-dessus de chaque maison flottent des drapeaux jaunes fluo : « L’agriculture, oui, la mine, non »

Selon l’ONG péruvienne CooperAcción, le gouvernement poursuit la même stratégie depuis 2011 : « Ils espèrent qu’avec le temps, les manifestants se lasseront », note José De Enchave, son cofondateur. À Cocachara, petit village de la vallée et épicentre des premières manifestations, la mobilisation dure depuis un mois. Le 13 août 2019, toutes les fenêtres, portes et devantures des magasins étaient fermées. Des drapeaux jaunes fluo, avec les inscriptions « agro si, mina, no », flottaient au-dessus de chaque maison. Le silence régnait, sauf sur la place principale où plusieurs centaines de personnes étaient réunies. Plus personne ne travaillait. L’école était fermée.

« Depuis une décennie, le peuple se bat contre Tía María. Ici, personne ne veut de ce projet », dit au micro le maire de Cocachara, Julio Cornejo, lors d’une réunion. L’élu fait référence aux précédentes manifestations de 2011 et de 2015 qui ont déjà causé la mort de huit personnes et fait des centaines de blessés lors d’affrontements avec la police.

Contrairement aux mobilisations précédentes, la grève est soutenue par le gouverneur régional, Elmer Cáceres Llica. Experts, ingénieurs, avocats sont venus en son nom expliquer les raisons de son soutien. « Ici, nous sommes sur le seul territoire péruvien où poussent le riz et la canne à sucre, vante l’avocat Augusto Palaco Toro. C’est aussi une zone de production de la pomme de terre et de l’oignon, qui bénéficient aux habitants de la région et qu’on exporte jusqu’à la Bolivie et au Chili. »

L’appui des autorités locales à la lutte contre Tía María encourage certains agriculteurs concernés par la pollution des mines à rejoindre le mouvement. C’est le cas de Guillermo Oliva Paz, qui possède un élevage de lamas et de vaches à plus de 300 km d’Arequipa. « Avec ma femme, nous sommes venus manifester parce que nous ne voulons pas que ce qu’il se passe chez nous arrive aux habitants de la vallée de Tambo. » Il raconte comment, depuis 2015, l’activité de la mine Imaculada, détenue par le groupe Hostchild, a pollué l’eau de sa vallée. « Plusieurs de mes bêtes sont mortes en buvant l’eau. J’ai demandé à ce qu’on l’analyse depuis 2017, je n’ai toujours pas reçu de réponse », se désole le vieil homme en énumérant tous les recours qu’il a employés pour qu’on détermine sérieusement le lien entre la pollution et la mine, en vain.

 

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