🇧🇷 Au Brésil, «c’était bien un coup d’État !» (Renaud Lambert et Marius Viaud / Blog du Monde Diplomatique)


C’est une décision passée largement inaperçue, y compris au Brésil où l’on aurait compris qu’elle fasse la « une ». Le 21 août 2023, le Tribunal régional fédéral de la première région (TRF-1) a balayé la plainte pour « pédalage budgétaire » pesant contre Mme Dilma Rousseff — une accusation qui avait justifié la destitution de l’ancienne présidente, en 2016. En d’autres termes, la justice brésilienne vient de confirmer la nature de cet épisode récent de la vie politique brésilienne : un coup d’État.

Déclaration de Dilma Roussef à la presse après sa destitution, le 31 août 2016. Photo : Roberto Stuckert Filho/PR

Retour sur les faits. Héritière politique de l’ancien président Luis Inácio Lula da Silva, du Parti des travailleurs (PT, gauche), Mme Rousseff est élue en 2010. Son projet politique se caractérise par une accentuation du modèle « néo-développementiste » initié par son prédécesseur : une forme d’interventionnisme de l’État dans l’économie destiné à favoriser l’essor d’un secteur industriel encore rachitique au Brésil. La clef de voûte de son projet ? Réduire les taux d’intérêt, exorbitants, qui freinent les investissements productifs et gavent le secteur financier. À commencer par les détenteurs de la dette interne, environ vingt mille familles, dont la rémunération – qui dépend desdits taux d’intérêt — accapare près d’un tiers du budget fédéral. « Nous projetons de revenir à une situation où les niveaux de profits seront normaux. Cela signifie que certains d’entre nous vont devoir investir dans des activités productives qui bénéficient également au reste du pays », explique Mme Rousseff au Financial Times le 2 octobre 2012. Pour les spéculateurs, l’équivalent d’une déclaration de guerre.

À l’époque, la présidente brésilienne mise sur le soutien d’un patronat industriel et « patriotique », qui accepterait d’investir et de voir les salaires augmenter de façon à pouvoir écouler sa production sur le marché interne, contre le secteur de la finance, internationalisé et sans conscience nationale. Ses efforts pour séduire les « bons patrons » décoiffent jusqu’au très libéral Veja : « La présidente a fait tout ce que les entrepreneurs exigeaient, constate l’éditorial du magazine le 12 décembre 2012. Ils voulaient que les taux d’intérêt baissent ? Ils ont baissé, à des niveaux records. Ils souhaitaient des taux de change favorables à l’exportation ? Le dollar a dépassé les 2 réaux. Ils réclamaient une baisse des coûts salariaux ? Ceux-ci ont été réduits dans plusieurs secteurs d’activité. » Pourtant, ni la production industrielle ni l’investissement privé n’augmentent. Membre du PT, M. Valter Pomar n’est pas vraiment surpris. « Les patrons rencontrent une vraie difficulté : ils sont capitalistes. Il ne serait pas responsable de leur part de choisir une autre voie que celle qui optimise la rentabilité », nous explique-t-il. Au Brésil comme ailleurs, la financiarisation de l’économie a effacé l’opposition entre capital industriel et spéculatif. Miser sur des produits financiers s’avère beaucoup plus rentable que d’investir dans l’appareil de production… Une fois n’est pas coutume, le patronat refuse donc de « jouer le jeu ».

Mme Rousseff pensait diviser le secteur privé, elle l’unit contre elle. Ses représentants au Congrès, où le PT n’a jamais eu la majorité, cherchent le moyen de se débarrasser d’elle. Puisque le PT demeure inamovible électoralement, cela prend la forme d’une instrumentalisation de la justice. Avec l’aide des États-Unis, soucieux de fragiliser les grands groupes brésiliens, des procureurs brésiliens mettent au jour divers « scandales de corruption ». Ceux-ci entachent les groupes Petrobras et Odebrecht, ainsi que la réputation de l’ancien président Lula da Silva — ce qui l’empêchera de concourir au scrutin présidentiel de 2018, alors qu’il sortira blanchi de toutes les procédures. (…)

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