🇧🇷 Brésil. «La faim et la misère sont directement liées à la question agraire» (Guy Zurkinden / À l’Encontre)


Le 28 février dernier, deux mois après le début de son troisième mandat, le président Luiz Inácio Lula da Silva a signé le décret confirmant la remise sur pied du Conseil national pour la souveraineté alimentaire et nutritionnelle (Consea). Le Consea est un organe consultatif de la présidence, responsable de la formulation, de l’évaluation et du suivi des politiques publiques en matière de sécurité alimentaire et nutritionnelle.

Tio Mauro (Mouvement des Sans Terre). Photo : Guy Zurkinden

Les représentant·e·s de la société civile y jouent un rôle important. Lors des deux premiers mandats présidentiels de Lula (2003-2011), au cours desquels le Brésil était sorti de la «carte de la faim» dressée par l’ONU, le Consea avait joué un rôle moteur dans l’éradication de ce fléau. En janvier 2019, la suppression du conseil avait constitué l’un des premiers gestes politiques du gouvernement Bolsonaro.

Lors de sa campagne électorale, conclue par une victoire serrée au deuxième tour, le 30 octobre dernier, Lula avait mis la lutte contre la faim au sommet de son agenda. L’explosion de l’insécurité alimentaire – combinée à celle de la pauvreté extrême – a en effet constitué un des traits marquants des quatre années du mandat de Jair Bolsonaro. Selon une enquête menée par le réseau brésilien de recherche sur la souveraineté et la sécurité alimentaire, 33,1 millions de Brésiliens et Brésiliennes ne mangeaient pas à leur faim en 2022, et 58,7% de la population ne se nourrissait pas correctement. La sous-alimentation fait notamment rage dans les périphéries des grandes métropoles.

Dans ce contexte terrible, l’ensemble des mouvements sociaux et progressistes du pays a donc salué le rétablissement du Conseil national pour la souveraineté alimentaire et nutritionnelle par Lula. En parallèle, ils ont rappelé que seules des réformes de fond permettront d’éradiquer durablement le problème.

La conférence brésilienne des évêques, qui a fait de la faim son thème d’intervention cette année, énumère dans un document les causes socio-économiques de l’insécurité alimentaire. Elle cite notamment: la concentration historique des terres et l’absence de réforme agraire; la dévastation des milieux naturels pour y imposer élevage et monocultures destinées à l’exportation; l’activité des extracteurs de mines et de l’orpaillage illégal; ainsi qu’une «politique agricole perverse, qui place le système productif au service du système économique et financier».

Le Mouvement des sans-terre (MST), principal mouvement social du pays, fait un constat similaire. «La faim et la misère sont deux formes de violence structurelle directement liées à la question agraire non résolue du Brésil», affirmait ainsi Ceres Hadisch, membre de la direction nationale du MST, un mois avant l’annonce de Lula. «Si le pays établissait sérieusement des politiques publiques permettant la démocratisation de l’accès à la terre et une réforme agraire qui favoriserait le développement des campagnes, des personnes qui l’habitent et des technologies, de la production d’aliments et de l’accès à ces aliments pour la population, nous ne serions certainement pas en train d’affronter un contexte d’inégalités et de violences aussi grave que celui que nous connaissons aujourd’hui.»

Dans ce contexte, les expériences de lutte menées par les mouvements populaires brésiliens peuvent constituer des points d’appui vers des changements plus profonds. Comme celle de la «commune de la terre Dom Tomas Balduíno», en cours dans la périphérie du grand São Paulo depuis plus de

vingt ans.

L’apprentissage de la terre et de la dignité

Novembre 2022. Le cadre paisible – arbres fruitiers, plants réguliers de légumes et de salades, maisons, simples mais bien construites, auxquelles mène une route de terre battue – fait oublier qu’on se trouve à quelques kilomètres du centre de la principale métropole brésilienne: São Paulo, 22 millions d’habitants avec ses périphéries. Casquette rouge sur la tête, les pieds bien ancrés sur le sol, Tio Mauro («Oncle Mauro»), comme on l’appelle affectueusement ici, nous raconte l’histoire de la «commune de terre Dom Tomas Balduíno». Celle de soixante familles, dont la sienne, arrachées à la misère urbaine par la lutte collective et l’accès à la terre. (…)

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