🇧🇷 Un Brésil fracturé : quelles conséquences sur le mandat de Lula ? (Christophe Ventura / IRIS)


Ce dimanche 8 janvier, plusieurs milliers de partisans du président sortant brésilien Jair Bolsonaro ont envahi la place des Trois Pouvoirs à Brasilia et ont saccagé le Congrès, le Tribunal suprême fédéral (TSF) et le palais présidentiel. Ces manifestants s’opposent aux résultats des élections présidentielles qui ont vu Lula obtenir un troisième mandat en tant que Président. Quelle est la genèse de cette fracture brésilienne ? N’est-elle pas révélatrice d’une tendance plus globale en Amérique latine ? Comment a réagi l’appareil sécuritaire lors de ces évènements ? Où se positionne l’armée au niveau de la fracture brésilienne ? Quelles sont les perspectives d’avenir du Brésil pendant le mandat de Lula ?

Le point avec Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS, en charge du Programme Amérique latine/Caraïbe.

Des soutiens de l’ex-président Jair Bolsonaro ont réalisé une tentative d’insurrection dimanche 8 janvier. Opposés au retour au pouvoir de Lula, ils ont saccagé le Congrès, le TSF et le palais présidentiel. Quelle est la genèse de cette fracture brésilienne ? N’est-elle pas révélatrice d’une tendance plus globale en Amérique latine ?

Les événements qui se sont déroulés à Brasilia constituent un épisode spectaculaire, violent, fait pour stupéfier, faire peur… et être vu. Cette « prise » de la place des trois pouvoirs devait frapper les esprits et faire parler d’elle dans le monde entier en quelques minutes. Elle a mobilisé des éléments des franges radicalisées d’extrême-droite du bolsonarisme et s’est voulue une démonstration de force montrant qu’il existerait au Brésil un volcan populaire qui s’oppose à la victoire de Lula à la présidentielle qui a pris ses fonctions ce 1er janvier. En réalité, cet épisode nous révèle l’existence d’un Brésil fracturé et polarisé entre des options politiques qui non seulement divergent et ne se parlent plus, mais qui sont a fortiori des forces à peu près similaires dans ce qu’elles représentent au sein de la société brésilienne. Elles s’affrontent en permanence, non pas depuis l’élection de Lula, mais depuis maintenant plusieurs années. Ce qui vient de se passer rappelle que l’élection de Lula ne suffit pas à dépasser cette situation. Il y a aujourd’hui une partie du bloc bolsonariste qui assume un positionnement séditieux, factieux et qui assume, d’une part, la rupture avec le cadre de l’État de droit et de la démocratie, et d’autre, la violence comme un moyen politique pour régler des divergences et les différends.

On observe une tendance de fond en Amérique latine. C’est une région où les événements brutaux et les dynamiques radicales s’expriment dans beaucoup d’endroits et dans des formes différentes, que ce soit au Pérou avec la chute du président Pedro Castillo, ou encore en Bolivie. En Amérique latine, les sociétés sont rongées par les crises sociales et économiques très fortes qui font que des pans toujours plus importants des populations – notamment au sein des « classes moyennes » et populaires – ne croient plus en la capacité du politique à résoudre les problèmes auxquels elles sont confrontées et rejettent non seulement les personnels politiques, mais également les institutions et donc in fine l’État lui-même. C’est ce qui se passe au Brésil. La question sociale est au cœur des dynamiques politiques de crise de la démocratie libérale. Les émeutiers de Brasilia ne se sont pas simplement attaqués à Lula puisque ce dernier n’était même pas présent. Ils se sont attaqués aux institutions de l’État dans son ensemble, c’est-à-dire au pouvoir exécutif, au pouvoir législatif et au pouvoir constitutionnel.

Les manifestants réclament notamment l’intervention de l’armée pour empêcher Lula d’exercer le pouvoir. Certains manifestaient déjà devant des casernes militaires depuis la défaite du président sortant le 30 octobre dernier. Comment a réagi l’appareil sécuritaire lors de ces évènements ? Où se positionne l’armée au niveau de la fracture brésilienne ?

Effectivement, les émeutiers de Brasilia sont en réalité mobilisés depuis des mois. Avant l’élection de Lula déjà, ils empêchaient les électeurs d’aller voter. Ils ont bloqué des routes et des places après son élection et se sont rassemblés en nombre devant des casernes pour exiger que l’armée intervienne pour faire tomber ce nouveau gouvernement qu’ils croient élu par une fraude. Au Brésil, l’armée en tant qu’institution ne souhaite pas rompre la légalité constitutionnelle ou faire un coup d’État. Il faut rappeler qu’elle est déjà largement au pouvoir, qu’elle occupe des positions importantes au sein de l’appareil d’État. Elle est présente dans les administrations, l’économie du pays et les grandes entreprises publiques. Cela a commencé dans les années 2010 et s’est beaucoup accéléré sous Bolsonaro. L’armée est associée au pouvoir, elle ne va donc pas faire un coup d’État.Par ailleurs, elle est légaliste. L’armée a exprimé sa position après les élections : elles ont été remportées par Lula de manière sincère. Rien n’indique que les militaires puissent emboîter le pas à ces franges radicales et violentes. En revanche, cela n’est pas contradictoire avec le fait que des éléments bolsonaristes puissent agir au sein de l’armée, de l’appareil de sécurité et de renseignements, ainsi que des administrations, pour agiter, le cas échéant favoriser l’existence de tels événements, et affaiblir, harceler et déstabiliser le gouvernement nouvellement élu. Tout du moins, ils souhaitent installer un rapport de forces avec lui.

Ce sera le rôle des enquêtes que de vérifier cette hypothèse et d’aboutir à des décisions permettant de sanctionner ces acteurs si nécessaire. Il faut ajouter que les forces militaires font des coups d’État lorsque les élites politiques et économiques civiles les appuient pour cela et qu’elles sont soutenues à l’extérieur, notamment par les États-Unis historiquement dans la région. Ces conditions ne sont pas remplies dans le contexte actuel. Lula a pris une décision : il a signé un décret qui lui permet de demander à l’armée d’aller se substituer aux forces de police civiles de l’État de Brasilia qui ont dysfonctionné lors de ces événements pour assurer la sécurité publique, voire qui n’ont rien fait pour les empêcher. Ce qui vient de se passer dans la capitale sera porteur d’enseignements sur les relations à venir entre les militaires et le nouveau gouvernement. (…)

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