Brumadinho et Mariana: les deux tragédies de la société Vale au Brésil/ analyse et note de presse à l’occasion de la journée internationale de la protection des fleuves.

Le 25 janvier 2019, une mer de boue a détruit les bâtiments administratifs et le réfectoire de la mine Córrego do Feijão ainsi qu’une partie de la communauté de Vila Ferteco à Brumadinho, entraînant l’inhumation et la mort de plus de 300 personnes. Une tragédie humaine et environnementale, incommensurable et annoncée. Encore une fois, la rupture d’un barrage minier dans l’état de Minas Gerais. Encore une fois une catastrophe impliquant la multinationale Vale. 


Impacts locaux des catastrophes de Brumadinho et Mariana.

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Au Brésil et dans les autres pays où elle opère (27 pays au total; dans dix pays elle n’a que des bureaux, dans quatorze pays, elle a des projets extractifs en cours, tandis que des activités d’exploration sont en cours dans les trois pays. Voir la couche correspondante dans la légende de la cart) cette société recense de nombreux cas de conflits, de violation des droits de l’homme, de procédures douteuses d’octroi de licences environnementales et d’indemnisations, d’amendes environnementales non payées, de dommages environnementaux irréversibles et de destruction des moyens de subsistance des populations indigènes et autochtones.

Dans cet article, avec la contribution de chercheurs et de membres de mouvements sociaux de différents pays, nous présentons une enquête sur des cas de conflits environnementaux liés à l’entreprise Vale, qui montre comment la négligence et l’insécurité ressenties par les populations touchées par les tragédies de Brumadinho et de Mariana au Brésil ne sont pas des cas isolés et s’inscrivent dans un modus opérandi systématiquement reproduit par Vale à l’échelle internationale.

Cet échantillon de près de 30 cas au Brésil, au Pérou, en Argentine, au Chili, au Mozambique, en Nouvelle-Calédonie, en Guinée, en Australie et en Indonésie renforce sans aucun doute les nombreuses voix qui disent:

“Ce n’était pas un accident. C’était un crime.”

Il y a à peine trois ans, à Mariana, suite à la rupture du barrage minier Fundão,  le fleuve Doce fût complètement contaminé sur près de 700 km jusqu’à atteindre l’océan. Dix-neuf personnes ont perdu la vie dans cet accident, tandis que des centaines de familles ont vu leurs maisons détruites. Curieusement, ce même Rio Doce inspira le nom original de Vale: Companhia Vale do Rio Doce (CVRD).

Dans cette région de l’Etat de Minas Gerais, où le CVRD, propriété de l’État, a vu le jour en 1942, en plus de l’insécurité croissante due à la présence de nombreux barrages, les populations souffrent également des impacts quotidiens de l’exploitation minière et de la lutte contre l’expansion des projets de Vale (par exemple, dans la chaîne de montagnes de Gandarela et à Nova Lima, MG).

Croissance de CVRD et des “zones de sacrifiées” dans le nord du Brésil

CVRD, fondée pendant la dictature de Getulio Vargas pour exploiter les ressources naturelles et stimuler l’industrialisation de l’économie brésilienne, a développé et élargi ses activités d’un point de vue sectoriel et géographique. À partir des années 1980, la société étendit ses activités au nord du Brésil, dans l’État de Pará.

Aujourd’hui, selon le Système d’Information Géographique de l’exploitation minière (SIGMINE), Vale dispose de 1 630 concessions minières au Brésil, couvrant une superficie totale de 53 977 km2 (équivalent à la surface de la Croatie): activez la couche de concession minière sur la carte et faites un zoom sur le Brésil pour voir l’emplacement des concessions minières de Vale.


Extractivisme minier au Brésil et conflits liés à la société Vale.

Pour voir la carte en grand format, c’est ici

En outre, selon l’Agence Nationale Brésilienne de l’exploitation minière (ANM), en plus des barrages de résidus miniers de Brumadinho et Mariana, Vale possède 160 autres barrages à travers le pays, dont 65 sont identifiés comme présentant un risque potentiel élevé de dommages en cas de rupture  (activer la couche de barrages de barrages de résidus miniers dans la légende de la carte pour voir leur emplacement ou voir carte en format image).

Dans un contexte international dans lequel les industries polluantes et électro-intensives ont été progressivement délocalisées dans les pays du Sud, la municipalité de Barcarena dans l’État de Pará se spécialise dans l’industrie de l’aluminium. Dans ce processus, les populations autochtones (les quilombolas et d’autres communautés locales) ont subi les impacts négatifs de l’industrie sans bénéficier du développement promis (par exemple du projet hydroélectrique Alunorte, de celui du pipeline de Moju ou de l’exploitation de la bauxite à Oriximiná, PA).

En outre, le projet ferroviaire de Carajás, construit par CRVD, dans l’objectif d’exporter les importantes réserves de minerai de fer extraites dans la région, a accéléré la déforestation de la forêt amazonienne, le bois coupé étant ensuite transformé en charbon de bois et utilisé par l’industrie de la fonte établie le long du chemin de fer de Carajás. Dans l’une des communautés situées le long du chemin de fer de Carajás (Piquiá de Baixo, MA), où la population souffre de problèmes de santé en raison de la pollution de l’industrie de la fonte, plusieurs groupes de résistance se sont organisé et formé la Rede Justiça nos Trilhos (Réseau de Justice sur les Rails) en 2007. Cette articulation fût fondamentale afin que la relocalisation exigée par las habitants de la communauté de Piquiá da Conquista (Piquiá de Conquest) vers un lieu non pollué, soit enfin entamé.

La Rede Justiça nos Trilhos joue également un rôle actif dans une autre affaire d’injustice environnementale impliquant CVRD: le projet S11D  qui n’est autre que le plus grand projet de minerai de fer au monde. Le projet S11D a été vivement contesté pour ses incidences sur l’environnement dans la forêt nationale de Carajás, pour la suspicion d’acquisitions irrégulières de terres et d’expropriations violentes dans la communauté de Canaã dos Carajás ainsi que pour diverses autres violations des droits de l’homme liées à l’implantation du chemin de fer de Carajás, utilisé pour transporter le minerai.

Les Xikrin, un des peuples indigènes concernés, implantés en bordure de la forêt de Carajás, sont aussi touchés par deux autres projets de la société (le projet de nickel Onça Puma et le projet de cuivre Salobo, PA). Entre cette communauté et Vale, plusieurs poursuites sont en cours. Une des préoccupations majeures des Xikrin est la pollution de la rivière Cateté par les métaux lourds, ce qui a des conséquences dramatiques sur leur survie et leur culture. Ils reçoivent une compensation de Vale, mais exigent aussi la fermeture des opérations afin d’assurer la préservation de leur mode de vie.

De CVRD à la multinationale Vale.

Ces affaires impliquant la communauté autochtone xikrin et les nombreux autres cas cités précédemment, indiquent que Vale ne comprend ou n’écoute délibérément pas les revendications locales, en particulier lorsque la destruction de modes de vie (ou de vies) et de valeurs culturelles et écologiques ne peut être compensée financièrement.  Après tout, combien vaut une rivière? Et si l’histoire passée de Vale a toujours été celle de la destruction, l’histoire récente est, à certains égards, encore plus troublante.

Depuis 1997, CVRD a connu un processus intense de privatisation et d’internationalisation. Ce processus a été couronné en 2007 par le changement de nom pour celui de Vale, plus moderne.  Le V de CVRD, qui signifiait vallée en référence à la dépression géographique naturelle du fleuve Rio Doce désormais occupée par les résidus miniers, céda ainsi sa place à un nouveau Vale, annoncé en grande pompe dans les déclarations de l’ancien président de la société Roger Agnelli: “Partout dans le monde, le mot Vale est facile. Vale est synonyme de valeur. C’est un nom court et facile à retenir.”

Ce changement de patronyme visait à améliorer la communication de Vale avec ses actionnaires dans le monde entier. Par contre, l’effet ne fût évidemment pas le même pour toutes les communautés locales, comme indiqué dans les cas présentés.

En général, les activités de Vale en dehors du Brésil sont marquées par des injustices environnementales très similaires à celles observées dans les cas brésiliens. L’une des initiatives prises pour lutter contre les impacts et les violations des droits de l’homme causés par Vale, au niveau mondial, est la coalition internationale des personnes impactées par Vale, qui rassemble depuis 2009 des organisations et des mouvements sociaux des pays où la société est présente.

Pendant qu’au Brésil, Vale a consolidé sa position de premier producteur mondial de minerai de fer (avec plus de 350 millions de tonnes produites en 2017), l’acquisition de la société minière canadienne Inco Limited en 2006 et les investissements à Moatize au Mozambique en 2004 ont permis de consolider la société en tant que producteur majeur de nickel et de charbon à l’échelle internationale. Le fer, le charbon et le nickel constituent l’ensemble des éléments nécessaires pour la production d’acier, alliage métallique dont la consommation a drastiquement augmenté en raison de la forte croissance économique chinoise. Inco possédait les plus grandes réserves de nickel au monde et représentait le deuxième producteur mondial de nickel avec des activités en Indonésie et en Nouvelle-Calédonie.

En Indonésie, Inco (maintenant Vale depuis 2012) a commencé ses activités en 1968. Depuis plus de cinquante ans, les peuples autochtones protestent pour avoir accès à leurs terres ancestrales et à leurs moyens de subsistance ainsi que contre la pollution de l’eau, de l’air, du sol et les problèmes de santé causés par l’exploitation du nickel. La protestation s’est aussi orientée contre les projets hydroélectriques de la région, présentés comme fournisseur “d’énergie propre ” alors qu’ils servent principalement à alimenter en électricité l’activité minière locale. Moatize fût considérée comme la plus grande province minière inexplorée du monde. Dans la région, des centaines de petits agriculteurs mozambicains, réinstallés dans des conditions précaires par Vale, continuent de réclamer  une indemnisation appropriée et respectueuse.

Au cours de la période récente, Vale a également étendu ses activités aux secteurs de l’énergie et de la logistique, en raison de leur rôle clé dans le soutien des activités minières. Au Brésil, outre le chemin de fer Carajás, la société a réalisé d’importants investissements dans l’énergie, notamment le gigantesque projet hydroélectrique de Belo Monte en Amazonie.

Dans le secteur minier, outre le “paquet acier”, Vale a investi dans des activités de cuivre et de phosphates principalement en Amérique du Sud.  Au Pérou, par exemple, selon l’Institut Géologique de l’activité minière et métallurgique  (INGEMMET), Vale dispose de 432 concessions minières (242 concessions autorisé, 188 en attente d’autorisation et deux annulées), ce qui représente une superficie totale de 4297 km2 (activer la couche des concessions minières de Vale au Pérou dans la légende de la carte).

Dans l’un des rares cas de justice environnementale sur notre liste, les communautés de Cajamarca (Pérou) ont réussi à suspendre un projet d’exploitation de cuivre de Vale après avoir prouvé les innombrables irrégularités existantes dans l’approbation des permis d’exploration et des licences environnementales.

Enfin, il est également important de souligner que la privatisation et l’internationalisation de Vale offrent une plus grande flexibilité pour promouvoir les acquisitions et les cessions sur de courtes périodes. Dans de nombreux cas, Vale a vendu des projets miniers sans assumer sa responsabilité environnementale et sociale (par exemple, un projet de cuivre au Chili, un projet de phosphate au Pérou, un projet de potasse en Argentine). Dans le cas du projet de phosphate Bayóvar au Pérou, la communauté locale a dénoncé une appropriation illégale de la terre et les pêcheurs une pollution de la mer et de l’air. Deux pêcheurs ont été tués en 2012 lors de manifestations contre Vale.

Si la présence d’importants passifs sociaux et environnementaux est l’un des traits communs des cas analysés, le peu de bénéfices sociaux ou économiques pour les communautés locales des pays ou Vale et le fait que la société essaie toujours de se décharger de sa responsabilité en est un autre.

En raison de cela il apparaît nécessaire de veiller à ce que l’impunité ne prévale pas dans les deux tragédies de Mariana et de Brumadinho ainsi que dans les autres cas cités dans cet article.

Mais il apparait aussi  nécessaire de réfléchir aux problèmes engendrés par l’intense extractivisme  existant dans Sud globale, mené para grandes sociétés minières telles que Vale, afin de subvenir aux “besoins ” de consommation des sociétés du Nord globale.

“¡Esto no Vale! Isso não Vale! Opérations et conflits socio-environnementaux de la société Vale” (note de presse)

À l’occasion de l’Action Internationale pour les rivières 2019, l’équipe ENVJUSTICE – EJAtlas de l’Institut des sciences et technologies de l’environnement (ICTA) de l’Université autonome de Barcelone publie “¡Esto no Vale! Isso não Vale! Opérations et conflits socio-environnementaux de la société Vale”, une carte thématique des conflits socio-environnementaux dans le monde liés aux projets miniers et d’infrastructure de la société Vale.

Cette carte est une réponse aux catastrophes provoquées par la rupture de barrages de résidus miniers de la société Vale à Mariana (2015) et Brumadinho (janvier 2019) au Brésil, qui ont laissé derrière eux des centaines de morts et contaminé de manière irréversible les rivières et les terres.

La carte montre aussi que la société minière est responsable d’un large éventail d’autres impacts socio-environnementaux dans d’autres régions du Brésil et dans d’autres pays.

Pour la journée internationale de la protection des fleuves, cette investigation souhaite contribuer aux efforts mondiaux des groupes de justice environnementale pour réclamer justice et mettre fin à l’impunité des entreprises.

En outre, elle permet également de réfléchir aux problèmes plus vastes générés par la logique d’extraction de ressources, préconisée par de grandes sociétés minières telles que Vale et leurs alliés politiques dans la poursuite de la croissance économique et du “développement”. Un tel modèle ne se limite pas à accentuer la dépendance vis-à-vis des exportations primaires des pays du Sud, mais il provoque aussi une distribution inégale des coût de la destruction de l’environnement, les communautés locales continuant à faire face à une myriade d’injustices et à un risque constant de nouvelles catastrophes.

La carte a été réalisée par le groupe de recherche EJAtlas de l’Université Autonome  de Barcelone (Daniela Del Bene, Sara Mingorría, Grettel Navas, Lucrecia Wagner, Raquel Neyra et Max Stoisser), par Yannick Deniau du collectif Geocomunes (Mexique) et par Beatriz Saes. (Universidade Federal Fluminense, Brésil). Le texte qui accompagne la carte est de Beatriz Saes.

Cette investigation a été coproduite par des universitaires activistes, des chercheurs indépendants et des activistes locaux. Les auteurs des fiches de conflits sont indiqués à la fin de chaque fiche. Nous sommes reconnaissants aux organisations et aux collectifs qui ont échangé avec nous des informations et des données et qui luttent chaque jour sur le terrain, devant les tribunaux, chez eux.

Nous remercions spécialement les organisations suivantes :

Movimento d’Atingid@ s por Barragens (MAB); Articulação Internacional da Atingid@ s Pela Vale; Movimento Aguas de Gandarela; FASE;  Jubileu Sul Brasil, Movimento pela Soberania; Grupo de pesquisa de Mapa de Conflitos envolvendo Injustiça Ambiental e Saúde no Brasil; Mining Watch Canada; JATAM Indonesia.


Pour plus d’informations:
Beatriz Saes: [email protected]
Daniela Del Bene: [email protected]
Equipe de rédaction du projet: EJAtlas [email protected]