🇲🇽 Les causes derrière l’incendie du Centre de détention de migrants de Ciudad Juárez (Nacla / traduction par Jack Forton – Ritimo)


L’incendie qui a tué quarante personnes le 27 mars dernier est la conséquence prévisible de l’application des mesures binationales sur l’immigration par les États-Unis et le Mexique.

Devant le centre pour migrants du National Migration Institute (INM) à Ciudad Juárez, après l’incendie qui a fait des dizaines de victimes le 27 mars 2023. (La Prensa)

Nous écrivons avec une profonde tristesse et une indignation justifiée. Quarante personnes sont mortes dans l’incendie du Centre pour demandeurs d’asile Estación Lerdo dépendant de l’Institut National de l’Immigration du Mexique (INM) à Ciudad Juárez dans la soirée du 27 mars dernier. Vingt-huit autres personnes ont été blessées, plusieurs grièvement. L’incident était prévisible. La politique actuelle imposée par les États-Unis utilise le Mexique comme un piège pour empêcher les gens de passer au Nord, piégeant les gens au Mexique ‒spécialement dans ses villes frontières du nord‒ avec tous les dangers que cela implique. Les politiques et les pratiques mexicaines aggravent les conditions meurtrières que les gens subissent dans cette situation d’oubli et de prise au piège.


Pour rappel sur ce sujet, voir ces articles d’avril 2023 : Mexique : au moins 39 morts dans l’incendie d’un centre de migrants à Juárez, à la frontière avec les États-Unis (Yohanna Herrera – Libération / RFI / Espaces Latinos) et Incendie dans un centre de rétention au Mexique: le chef de l’office local des migrations arrêté (RFI)


Parce que l’asile s’applique traditionnellement aux personnes physiquement à l’intérieur des États-Unis, une demande d’asile commence souvent lorsque des individus sont arrêtés du côté états-unien de la frontière. Cette procédure est maintenant transférée au Mexique par des systèmes de gestion et d’application inadéquats. La surpopulation de centres tels que Estación Lerdo est une conséquence directe des ordres de détention de migrants dans le centre ville de Ciudad Juárez, bien que beaucoup d’entre eux possédaient un statut légal au Mexique. Mais diverses politiques orchestrées par les deux pays ont placé ces hommes dans un bâtiment gouvernemental pour immigrés, aux portes fermées à clé, où ils ont été piégés par un terrible incendie.

Les États-Unis sont complices de ces morts et les politiques actuelles incluent problématiquement le Mexique comme un élément clé de l’application des politiques frontalières. Notre analyse se base sur des recherches récentes que le co-auteur Jeremy Slack réalise sur les demandeurs d’asile de Ciudad Juárez.

Actuellement, la politique frontalière des États-Unis implique des expulsions presqu’immédiates sans procès ni options d’asile pour de nombreuses personnes qui ne sont pas autorisées à traverser la frontière. Cela passe par le Titre 42, une loi de santé publique états-unienne qui restreint l’entrée de citoyen·nes étranger·ères s’iels posent un « danger sérieux » d’introduction d’une maladie contagieuse. Le Titre 42 permet d’expulser les migrant·es soit vers leur pays d’origine soit vers le Mexique. L’expulsion de non-Mexicain·es vers le Mexique, un accord entre les deux pays, inclut des personnes provenant du Guatemala, du Honduras, du Salvador, du Venezuela, de Cuba et d’Haïti. Les migrant·es des quatre premiers pays forment la majorité des mort·es et des blessé·es lors de l’incendie.

Bien qu’il soit possible que les victimes du feu aient toutes été expulsées sous le Titre 42, certaines étaient peut-être en attente d’une nouvelle tentative de traversée d’une frontière étroitement surveillée. Néanmoins, sans le Titre 42, ces personnes n’auraient probablement pas été au Mexique pendant la longue période qui a mené à leur détention dans les rues de Juárez puis dans « le refuge ».

Le Titre 42 devait expirer le 11 mai, la date donnée par l’administration Biden pour mettre fin à la situation d’urgence de santé publique due au Covid-19, bien que des procès soient en cours pour tenter de le conserver. De nombreuses autres personnes sont expulsées en vertu de la loi d’immigration dite Titre 8, qui permet des procès équitables limités et des « transferts accélérés » de migrant·es non autorisé·es. Une demande d’asile au titre d’une peur crédible, ou dans certains cas d’une peur raisonnable, peut arrêter la procédure d’expulsion sous le Titre 8, mais les pratiques étasuniennes aux frontières impliquent l’application incohérente des lois sur l’asile. De plus, certains migrants manquent d’argument pour demander l’asile et peuvent être rapidement expulsés vers le Mexique.

En 2019, le président AMLO a renforcé la Garde nationale dans le but d’empêcher les demandeurs d’asile de traverser le Mexique. Ici, une manifestation en 2017 contre la militarisation croissante au Mexique.(ProtoplasmaKid / Wikimedia Commons / CC BY-SA 4.0)

Pour un nombre limité de demandeur·euses d’asile qui attendent au nord du Mexique, une alternative imparfaite consiste à chercher un rendez-vous avec des autorités étasuniènes sur une application smartphone appelée CBP One. Si l’appel est couronné de succès, les demandeur·euses obtiendront un rendez-vous directement à un poste frontière étatsunien. Cette application remplace les personnels des organisations de défense des droits qui faisaient un tri des personnes en attente dans les villes de la frontière nord du Mexique, et identifiaient celles qui étaient à risque sanitaire ou de sécurité devant être examinées pour obtenir l’asile.

Nos recherches et d’autres éléments montrent que cette application n’a pas bien fonctionné, avec de constants pépins et d’insuffisantes tranches horaires pour les rendez-vous. Des données de service de bonne qualité et des téléphones adéquats ne sont pas faciles à trouver, et vu la grande demande, toute erreur de donnée ou panne du software peut voir refuser l’accès au rendez-vous du jour. Des utilisateur·rices dénoncent que le portail se ferme souvent quelques minutes à peine après son ouverture le matin. La reconnaissance faciale de personnes à la peau plus sombre est gênée par les biais raciaux du software, ce qui empêche certain·es demandeur·euses d’obtenir un rendez-vous. L’application n’a pas été conçue pour un rendez-vous unique pour les membres d’une même famille ce qui requiert des rendez-vous multiples même pour de jeunes enfants qui doivent déposer leur demande seuls (certains agents renvoient les gens lorsque cela se passe, alors que d’autres leur permettent de déposer leur demande). En raison de crainte concernant la Chine, les téléphones Huawei sont incompatibles avec le CBP One, même si ces appareils sont meilleur marché et fréquemment utilisés par les demandeur·euses d’asile. Même lorsque le/la demandeur·euse complète son application dans les deux minutes allouées, le rendez-vous est invalide sans confirmation par e-mail. Les demandeur·euses ont raconté qu’arrivé·es à leur rendez-vous avec seulement des captures d’écran, ils et elles ont été renvoyé·es par des fonctionnaires étasuniens. Les critères de risque sanitaire ou de sécurité pour les demandeur·euses d’asile est étroit et n’inclut pas d’importants facteurs, tels que le statut LGBTQIA+. De plus, comme l’incendie de Ciudad Juárez le montre, être un·e outsider dans ces circonstances tendues pose plus de risques. Les non-Mexicain·es sont souvent discriminé·es au Mexique et les personnes qui n’ont pas de liens sociaux locaux deviennent rapidement victimes de représailles dans les villes frontières du nord.

La réponse bureaucratique des États-Unis à ces problèmes a été, au mieux, lente, au pire malveillante. Il y a peu de recours pour les demandeur·euses d’asile qui veulent déposer une plainte concernant cette application. Résoudre ces problèmes au moyen de l’application ‒fournir des tranches horaires adéquates pour les rendez-vous, une fonctionnalité technique et des expectatives claires‒ pourrait réduire les risques encourus par les demandeur·euses d’asile. Un rendez-vous au poste frontière d’entrée est préférable à une traversée dangereuse et onéreuse que doivent aujourd’hui réaliser les migrant·es pour contacter les autorités et demander l’asile. Même avec de substantiels temps d’attente, une date fiable permettrait que les demandeur·euses d’asile puissent trouver un endroit plus confortable et plus sûr pour attendre leur rendez-vous. En l’état actuel des choses, les demandeur·euses potentiel·les doivent être physiquement présent·es dans les villes frontalières, suivi·es par géo-localisation et obligé·es de vivre dans des centres, des édifices abandonnés ou des campements sauvages où ils et elles subissent insécurité et exposition aux éléments. Cette situation a provoqué une montée des tensions entre des résidents de Ciudad Juárez et des demandeur·euses d’asile, surtout avec des Vénézuélien·nes qui mendient dans les rues du centre ville. La réponse des autorités locales et provinciales a été d’augmenter des opérations anti-migrants dans toute la ville.

Le gouvernement étasunien a ouvert une autre route vers un refuge temporaire aux États-Unis : la liberté conditionnelle humanitaire pendant deux ans, qui devrait réduire la nécessité pour les migrant·es de traverser le Mexique et de converger vers les villes frontières. Cette condition est généralement demandée dans le pays d’origine des demandeur·euses et implique de prendre l’avion vers les États-Unis. Elle a cependant de sérieuses limitations et s’applique seulement aux demandeur·euses originaires du Venezuela, à Cuba, au Nicaragua et en Haïti. Seuls les Vénézuélien·nes apparaissent sur la liste des victimes à Ciudad Juárez. Les autres principales nationalités ‒Guatemala, Honduras et El Salvador‒ ne sont pas éligibles, même si des cas irréfutables d’asile pourraient être considérés pour des personnes provenant de ces pays (et du Mexique). La liberté conditionnelle humanitaire requiert aussi un sponsor avec des ressources économiques aux États-Unis, un billet d’avion et un passeport ce que beaucoup de demandeur·euses potentiel·les ne possèdent pas. Ces facteurs favorisent les demandeur·euses plus fortuné·es et privilégié·es. De plus, les personnes qui ont irrégulièrement passé la frontière du Panama ou du Mexique ne sont pas éligibles, ce qui signifie que cette disposition ne s’adresse pas à de nombreuses personnes piégées au Mexique.

Une autre menace pointe à l’horizon : l’administration Biden a proposé une réduction draconienne du droit à demander asile, ce qui ferait largement revivre des mesures proposées pendant les années Trump qui avaient été bloquées par les tribunaux. Elles incluent l’obligation de demander l’asile dans des pays tiers et des restrictions lors de demandes d’asile réalisées entre des postes frontières. Pour de nombreux migrant·es, l’expulsion immédiate par ces distorsions de la politique d’asile remplacera le Titre 42 si et quand il se termine. La continuation de ces politiques conduira sans aucun doute vers de futures tragédies telles que l’incendie de la Estación Lerdo car plusieurs milliers de personnes restent piégées au Mexique.

Le rôle du Mexique dans cette tragédie va au-delà des politiques étasuniènes de renvoi les demandeur·euses d’asile au Mexique. L’augmentation des centres frontaliers et les politiques d’immigration du Mexique se centrent beaucoup sur la formation d’une Garde Nationale. En 2019, lorsque Trump a menacé le Mexique de couper les liens commerciaux, le président Andrés Manuel López Obrador a dissous la police fédérale et intégré ses membres et des secteurs des forces armées à la Garde Nationale (GN), dont la mission principale a été d’empêcher les demandeur·euses d’asile de traverser le Mexique. La GN collabore étroitement avec l’Institut National de l’Immigration (INM) mais a été rongée par des scandales. Près de 8.565 plaintes ont été déposées contre la GN entre 2019 et 2022 pour conduite criminelle, mais seulement 1135 enquêtes ont été ouvertes pendant cette période. Les plaintes incluent des liens avec des organisations criminelles, des extorsions, des enlèvements et même des meurtres. Sur la frontière nord, les demandeur·euses d’asile dénoncent des liens proches entre la GN et des organisations criminelles pour le contrôle de la contrebande d’humains, arrêtant souvent des personnes pour leur soutirer des pots-de-vin ou exiger qu’ils et elles traversent la frontière avec des contrebandiers « approuvés ». (…)

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