Chili: élection de l’Assemblée constituante (Marie Normand – RFI / Franck Gaudichaud – Monde Diplomatique / Angèle Savino – Le Courrier – Bastamag)


Ce samedi 15 mai, les Chiliens élisent les membres de l’Assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle Constitution. C’est le début d’un long processus démocratique arraché par la rue. Changer cette loi fondamentale, héritée de la dictature Pinochet, était l’une des principales revendications du soulèvement populaire de 2019 contre les inégalités sociales.


Manifestation, le 6 novembre 2020. AFP – Martin Bernetti

Vers une nouvelle Constitution
(Marie Normand – RFI)

En octobre 2020, plus de 78 % des Chiliens s’étaient prononcés par référendum en faveur du remplacement de la Constitution. À la fin de ce week-end, le pays connaîtra la composition de l’Assemblée qui la rédigera.

Plusieurs règles ont été négociées entre le gouvernement Piñera et les partis politiques ces derniers mois. D’abord, l’Assemblée constituante sera totalement paritaire, ce qui constitue une première mondiale. Plus de 45 % des sièges seront obligatoirement occupés par des femmes, ce qui constitue une victoire pour le mouvement féministe chilien. « C’est un mouvement très dynamique, qui a été le fer de lance des mobilisations récentes et qui a très clairement fait comprendre qu’il n’y aurait pas de changement de Constitution sans les femmes », note Marion Di Méo, docteure en Sciences politiques.

Dix-sept sièges sont aussi réservés à des représentants autochtones, comme les Mapuche, qui vont essayer de faire avancer leurs combats et d’être enfin reconnus dans la future charte fondamentale du pays. « Ce sont des avancées importantes, surtout dans un Chili qui reste très conservateur, où les partis sont obsédés par la question de la stabilité, du consensus »,  commente Franck Gaudichaud, professeur en histoire et études des Amériques latines contemporaines à l’Université Toulouse – Jean Jaurès.

Déconstruire un modèle néo-libéral très inégalitaire

Cette Assemblée aura neuf mois – un an maximum – pour rédiger le texte qui remplacera la Constitution datant de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990). C’est surtout un modèle de société qui est rejeté.

« La Constitution de 1980 a mis en place un modèle économique basé sur la privatisation des biens publics, rappelle la journaliste indépendante chilienne Paola Martinez Infante. L’éducation et la santé sont privatisées. Même l’eau est privatisée, alors qu’il s’agit d’un droit fondamental. Cette Constitution a construit un modèle néo-libéral très inégalitaire. L’objectif de cette nouvelle loi fondamentale est de créer un modèle de pays dans lequel tous ces biens publics seraient accessibles à l’ensemble des citoyens chiliens. »

Ces inégalités se sont encore creusées depuis le mouvement social de 2019, en raison de la pandémie. « Le pays connaît l’une de ses plus graves crises depuis les années 1930, estime Franck Gaudichaud. Au-delà du taux de participation de ce week-end, c’est la capacité de cette Constituante à répondre aux préoccupations sociales qui sera la clé de sa légitimité. » (…)

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Au Chili, le pari de la Constitution
(Franck Gaudichaud / Monde Diplomatique)

Depuis longtemps, la colère gronde au Chili, un pays façonné par la dictature du général Augusto Pinochet. Mais comment rompre avec le passé et réparer la société? Confronté à un mouvement social puissant, le président conservateur Sebastián Piñera a avancé l’idée d’une nouvelle Constitution. Cédait-il à la contestation ou venait-il de trouver un moyen de la torpiller?

On aurait pu s’attendre à ce qu’elle exprime de la joie, mais Mme Alondra Carrillo fulmine. Depuis de nombreuses années, cette jeune militante féministe de Santiago du Chili attendait le moment où son pays se débarrasserait de la Constitution de 1980, héritée de la dictature du général Augusto Pinochet (1973-1989). Alors que, depuis la transition «vers» la démocratie, tous les gouvernements se sont employés à préserver le statu quo, des manifestations massives ont finalement contraint le pouvoir à accepter la rédaction d’une nouvelle «Carta Magna», en pleine pandémie de Covid-19.

Une plate-forme virtuelle a été mise en place pour faciliter les parrainages citoyens des deux mille personnes ayant fait le choix d’une candidature indépendante à la convention constitutionnelle, qui se tiendra les 15 et 16 mai 2021, loin des formations traditionnelles. Avec des camarades de la Coordination féministe du 8 mars , Mme Carrillo s’est portée candidate. Et pourtant, en ce 2 mars, elle tempête : l’autorité électorale vient de rendre public le mode de financement de l’élection, qui refuse aux indépendants des conditions similaires à celles des grands partis. Une forme de «discrimination antipopulaire», dénonce-t-elle, consciente que, pour les 450 indépendants qui ont déjà obtenu les signatures validant leur candidature, le parcours du combattant est loin d’être terminé.

Depuis la fin négociée du régime militaire en 1989, le Chili a été décrit par les élites latino-américaines comme une «démocratie de consensus» exemplaire. Néanmoins, la success story de la contre-révolution néolibérale inaugurée par les militaires en 1975 s’est progressivement fissurée pour dévoiler le mal-être d’une société inégalitaire, marchandisée et anomique. Malgré l’écrasement du mouvement populaire sous la botte du général Pinochet et la précarisation généralisée du travail, les colères éparses couvaient sous la cendre. Étudiants, travailleurs des ports ou des mines, féministes et minorités sexuelles, retraités dépendant de fonds de pension, classes moyennes endettées : depuis 2006, plusieurs secteurs ont manifesté leur mécontentement. L’embrasement attendait son étincelle.

Pour comprendre la situation actuelle, il faut revenir à 2019. «Au milieu d’une Amérique latine en convulsion, nous voyons que le Chili est une véritable oasis, avec une démocratie stable», se félicite, le 9 octobre de cette année-là, le président multimillionnaire de droite Sebastián Piñera. Quelques jours plus tard, débordé par l’ampleur des émeutes populaires, son gouvernement invoque la loi de sécurité de l’État (une loi d’exception permettant des condamnations immédiates au nom du maintien de l’ordre public) et se voit contraint de fermer l’ensemble des lignes de métro d’une capitale qui compte six millions d’habitants. Toute la nuit, les carabiniers — forces de police locales — affrontent violemment des manifestants juchés sur des barricades. Plusieurs stations de métro sont incendiées, ainsi qu’une guérite de police et un immeuble de la multinationale de l’énergie Enel. On compte de nombreux blessés.

Au petit matin, M. Piñera paraît avoir oublié sa belle image de paisible oasis. Le couvre-feu est décrété dans dix villes. Fait inédit depuis la fin de la dictature, l’armée se déploie dans les rues. Le lendemain, le président se présente au pays flanqué du ministre de la défense et d’un général de brigade en tenue de combat. Le ton est martial : «Nous sommes en guerre contre un ennemi puissant, implacable, qui ne respecte rien ni personne et qui est disposé à utiliser la violence et la délinquance sans limite» L’ennemi? Le peuple mobilisé du nord au sud, et en particulier la jeunesse, dans un mouvement qui, par son ampleur, rappelle ceux des années 1980 contre la dictature. (…)

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Chile: ¿Bastará con cambiar la Constitución? Leer en español aquí


Le petit-fils d’Allende veut renvoyer la Constitution de Pinochet dans les poubelles de l’histoire
(Angèle Savino / Le Courrier / Bastamag)

Après avoir été reportées en raison de la crise sanitaire, les élections pour l’organisation d’une Convention constitutionnelle auront finalement lieu au Chili les 15 et 16 mai, parallèlement à des élections régionales et municipales. Cette convocation est une victoire politique en soi, car elle doit mettre fin à la loi fondamentale actuelle promulguée sous la dictature militaire d’Augusto Pinochet en 1980. Elle est le résultat direct des mobilisations massives de 2019.

La plus grande manifestation du Chili a réuni 1,2 million de participant.e.s à Santiago, le 25 octobre 2019. Les manifestants demandaient, entre autres, l’élection d’une nouvelle assemblée constituante / Hugo Morales, via Wikimédia Commons CC BY-SA

Un an après la « rébellion d’octobre », les Chiliens avaient accepté par référendum le 25 octobre, à une très forte majorité, la rédaction d’une nouvelle Constitution pour réaliser des changements structurels dans le système politique, économique et social du pays. Les listes sont dirigées par des femmes en alternance avec des hommes. Sur les 155 sièges, dix-sept sont réservés aux représentants de neuf peuples autochtones.

Le 15 novembre 2019, les partis au pouvoir et une partie de l’opposition s’étaient mis d’accord sur les règlements qui régiront la rédaction de la Constitution et le fonctionnement interne de la Convention. L’une des décisions les plus contestées de cet accord est celle qui stipule que chaque proposition doit être approuvée avec un quorum de deux tiers des membres. Le pouvoir de veto aux mains d’un seul tiers de l’hémicycle risque de freiner les mesures de transformation sociale, mais peut aussi bloquer des mesures ultra-conservatrices.

L’accord a été protégé par la loi n° 21200, promulguée par le président Piñera le 23 décembre 2019. Les délégués constituants ne pourront pas discuter et approuver leurs propres règles de fonctionnement. En outre, l’article 135, ajouté dans la réforme constitutionnelle, limite la possibilité de revoir les traités internationaux en vigueur dans le nouveau texte constitutionnel. Pour Pablo Sepúlveda, candidat des mouvements sociaux, c’est d’ailleurs « pourquoi le président Sebastian Piñera veut signer l’Accord de partenariat transpacifique avant qu’une nouvelle Constitution ne soit écrite ».

Les élections législatives prévues en novembre de cette année peuvent avoir un impact important sur les règles du jeu, car la Convention constitutionnelle a jusqu’à un an pour rédiger la nouvelle Constitution. Actuellement, Daniel Jadue, maire communiste du quartier de la Recoleta, à Santiago, et l’écrivaine et députée du Parti humaniste Pamela Jiles sont en tête des sondages. Ils représentent une gauche alternative à celle qui a gouverné pendant la période dite de la « concertation » après la dictature.

Initialement prévues le 11 avril, les élections à la Convention ont été reportées en raison de la forte recrudescence des contaminations au Covid-19. Selon le gouvernement, il n’était pas possible d’assurer de bonnes conditions sanitaires, ni une participation suffisante. Entre-temps, cent candidats issus des mouvements sociaux ont exigé la démission du président Piñera en raison de sa mauvaise gestion de la crise sanitaire. Plus de 26 000 personnes sont mortes des suites du Covid dans ce pays d’environ 19 millions d’habitants.


Pablo Sepúlveda Allende, petit-fils de Salvador Allende, le président renversé par le coup d’État du général Augusto Pinochet, se présente à l’élection de la Constituante chilienne, obtenue par le mouvement social, qui se tiendra le 16 mai.

Il ne pouvait être absent des élections qui, le 16 mai prochain, doivent envoyer la Constitution d’Augusto Pinochet dans les poubelles de l’histoire. Pablo Sepúlveda Allende, petit-fils de Salvador Allende, le président socialiste du Chili renversé le 11 septembre 1973 par l’armée, se présente dans le district 10 de la capitale, sur la liste « Mouvements sociaux, unité des indépendants ». Né au Mexique en 1976, où il a grandi avec sa famille en exil, il passe son adolescence au Chili avant de reprendre la route pour étudier la médecine à Cuba. Arrivé au Venezuela comme coopérant de la Mission Barrio Adentro, il y pratiquera pendant onze ans. Le choc de la répression subie en 2019 par le mouvement social chilien le ramène au Chili, où il intègre la brigade qui porte secours aux manifestant·es blessé·es. Installé à Santiago, Pablo Sepúlveda Allende s’investit désormais dans un centre communautaire dédié à la santé mentale.

Le Courrier  : Vous êtes devenu médecin. Souhaitiez-vous suivre le chemin tracé par votre grand-père ?

Pablo Sepúlveda Allende : Au fond, oui, mais ce n’était pas conscient. J’ai été inspiré par sa réflexion sur le lien entre pauvreté et santé. Mon grand-père est devenu ministre de la Santé à la fin des années 1930 après la Grande Dépression. Dans l’introduction de son livre, La réalité médicale sociale chilienne, il explique qu’aucune mesure sanitaire ne sera efficace si nous ne changeons pas les structures économiques et financières du pays. Ce sont les déterminants sociaux de la santé. Ce concept a été rendu visible par la pandémie. « L’inégalité tue », disent-ils dans les débats télévisés, c’est fou, comme s’ils découvraient l’eau chaude ! On ne peut pas parler de santé publique en disant qu’il faut juste améliorer les hôpitaux. Oui, il faut le faire, mais ce n’est qu’un des quatre facteurs déterminants. Le déterminant socio-économique est le plus important, puis viennent les organisations du système de santé, ensuite l’environnement – si une population vit à côté d’une usine, c’est un environnement totalement insalubre – et enfin, le quatrième, c’est votre héritage biologique. Ici, il y a des communes pauvres, où les décès dus au Covid sont cinq ou six fois plus nombreux que dans les municipalités riches, car les gens vivent dans des quartiers surpeuplés, ils ont une mauvaise nutrition, doivent faire la queue dans les hôpitaux, emprunter les transports en commun. Ce sont des conditions matérielles qui font que vous êtes plus susceptibles d’être contaminés.

Pourquoi avez-vous décidé de présenter votre candidature à la Convention constituante ?

Je voulais parler d’un sujet peu abordé : la renationalisation du cuivre et du lithium. Mon grand-père Salvador Allende a nationalisé le cuivre en 1971. Le 11 juillet prochain, jour de la dignité nationale, on célébrera les 50 ans de la loi de nationalisation. Aujourd’hui, le Chili possède plus de 40 % des réserves mondiales de cuivre, mais elles sont monopolisées par des capitaux privés. Avant la dictature, 30 % du cuivre était transformé au Chili, maintenant nous n’exportons que du concentré de minerai de cuivre. C’est le seul pays au monde où l’eau est un bien privé. Le droit fondamental à l’eau doit être consacré dans la Constitution. Les inégalités qui résultent de sa gestion privée sont sans précédent dans le monde et insoutenables. (…)

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