🇨🇱 Au Chili, la terrible répression des indigènes en lutte contre l’industrie forestière (reportage de Lucas Lazo et Cristóbal Olivares / Reporterre)


Dans une prison du sud du Chili, quatre militants politiques mapuche en lutte contre l’industrie forestière mènent depuis trois mois une grève de la faim. Voilà longtemps que l’État criminalise les revendications de ce peuple indigène.

Comme Ernesto, dont la photo est tenue par sa mère, trois autres Mapuche sont emprisonnés, condamnés à de lourdes peines. – © Cristóbal Olivares / Reporterre

FAL vous invite à signer la pétition de solidarité avec les quinze prisonniers politiques mapuche, lancée par Tierra y Libertad pour Arauco Walmappu : ici


Autour d’une petite table ronde, un maté circule de main en main. Les traits sont tirés et les regards graves, mais l’atmosphère, chaleureuse, aide à oublier un instant le vacarme des poids lourds. Ils vont et viennent le long de la route qui borde le centre pénitentiaire de Concepción, dans le sud du Chili. Face à la prison, sous la passerelle de béton qui enjambe l’autoroute, les familles de quatre prisonniers mapuche ont installé un modeste campement.

Pamela Pezoas, les yeux rougis par l’épuisement et l’angoisse, a attendu toute la journée du 2 février des nouvelles de son fils. Ernesto, 28 ans, a été hospitalisé en urgence le matin même, à la suite d’une décompensation cardiaque. Lui et trois de ses camarades ont été condamnés le 16 novembre 2023 à quinze ans de réclusion pour le sabotage de camions de l’industrie forestière.

Cette industrie est omniprésente sur les terres revendiquées de haute lutte par les Mapuche, première population indigène du Chili qui compte 1,7 million de personnes. Pour protester contre ce qu’ils considèrent être un jugement politique, les quatre détenus ont engagé une grève de la faim, qui dure depuis 12 semaines, déterminés à résister « jusqu’aux ultimes conséquences ».

Josefa Ainardi, l’avocate des militants, l’affirme : les quatre Mapuche ont été condamnés pour leur appartenance à la Coordinación Arauco-Malleco (CAM). Ce groupe politique nationaliste mapuche organise depuis la fin des années 1990 des opérations de sabotage contre les intérêts des multinationales du bois. Selon les termes mêmes de la sentence, en l’absence de preuve formelle, la justice les a condamnés pour avoir incendié ces camions en se fondant sur un « faisceau d’indices », dont le fait d’appartenir à la CAM. 

L’avocate considère que pour alourdir la peine, le délit « d’homicide frustré » (une tentative d’homicide non aboutie) a été ajouté à la condamnation. Elle dénonce cette pratique récurrente de la justice chilienne consistant « à condamner sans preuve et souvent sans crime ». Contacté, le ministère de la Justice n’a pas répondu à nos sollicitations.

En 2014, le Chili a été condamné par la Cour interaméricaine des droits de l’Homme pour avoir violé un certain nombre de droits fondamentaux lors des procédures judiciaires à l’encontre de prévenus mapuches, notamment via la mobilisation d’un arsenal juridique antiterroriste.

Pour Pablo Barnier, docteur associé au Ceri (Sciences Po), spécialiste du droit à l’autodétermination au Chili, les gouvernements de gauche comme de droite prennent « des mesures exceptionnelles pour répondre à des actes avant tout politiques ». Il est bien question, selon lui, « d’une criminalisation et d’une judiciarisation dangereuse » de la lutte pour l’autonomie des Mapuche.

Josefa Ainardi, l’avocate des militants, dénonce de son côté un « populisme pénal », qui témoigne de la criminalisation des revendications indigènes par l’État. Pour elle, « c’est une vision du monde divergente que l’on condamne avant tout ». La défense a déposé un recours devant la Cour suprême pour faire annuler le verdict au motif de l’absence de preuves. Le résultat du recours sera rendu le 9 février.

Sur les murs de béton qui bordent le campement, des doigts errants ont peint les visages des jeunes hommes emprisonnés, les cheveux noués du bandeau traditionnel des combattants mapuches. Pamela balaie la fresque du regard : « En tant que mère, c’est douloureux. Je souhaiterais qu’il existe d’autres voies que la grève de la faim pour résoudre le problème des droits de notre peuple. » Pour s’opposer à ce qu’elle considère comme une « nouvelle colonisation » par l’industrie forestière, Pamela invoque un droit collectif à se défendre, prôné par la CAM, à travers la méthode dite du « contrôle territorial ».

Cette stratégie consiste à récupérer les terres ancestrales des Mapuche dont les titres de propriété ont été spoliés par les puissants acteurs du bois — notamment pendant la dictature de Pinochet. La population autochtone était alors exsangue depuis la conquête au XIXᵉ siècle du sud du pays par la toute nouvelle République chilienne. Ce sont plus de 3 millions d’hectares qui auraient été usurpés dans la région de l’Araucanie, dont plus 2,3 millions appartiennent aujourd’hui à l’industrie du bois. En 2019, ce sont 45,3 millions de m3 qui ont été coupés au Chili pour un secteur qui représente selon les années entre 2 et 3 % du PIB du pays. (…)

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