🇨🇱 Cinquante ans du coup d’État au Chili : “Allende a pensé sa mort et son sacrifice” (entretien avec Franck Gaudichaud par Olivier Bras / France 24)


Le 11 septembre 1973, le palais présidentiel de la Moneda, situé à Santiago, est bombardé par des avions de chasse et assiégé par des militaires putschistes, à la tête desquels se trouve le général Augusto Pinochet, alors chef de l’armée de terre. Le président Salvador Allende, élu en 1970, résiste pendant plusieurs heures dans ce bâtiment en feu, donnant notamment plusieurs allocutions radiophoniques. Il accepte finalement d’évacuer les lieux avec ses derniers collaborateurs, mais se donne la mort avant de sortir.

Salvador Allende se trouve encore dans le palais présidentiel de La Moneda en flammes, le 11 septembre 1973, alors que les forces pustchistes emmenées par Augusto Pinochet assiègent le bâtiment. © AFP

Une version qui fait toujours débat aujourd’hui, malgré l’enquête d’experts ayant notamment exhumé sa dépouille. Un demi-siècle après, un nouveau livre doutant de cette version vient ainsi de sortir au Chili [“Allende, autopsia de un crimen” (“Allende, autopsie d’un crime”), de Francisco Marin Castro et Luis Ravanal Zepeda], dans lequel de nombreux opposants à la dictature continuent d’affirmer qu’il a été tué.

Une vérité peine également à s’imposer dans le cas d’autres opposants politiques ayant disparu au cours des mois ou des années suivantes. À commencer par celui de l’écrivain et poète Pablo Neruda, mort douze jours après le coup d’État. Hospitalisé à Santiago, il est décédé, selon les autorités de l’époque, d’un cancer dont il souffrait. Mais selon certains témoins, il aurait été empoisonné. Une affaire sur laquelle revient la journaliste Laurie Fachaux-Cygan dans son récent livre “Chambre 406. L’affaire Pablo Neruda” (éd. de l’Atelier).

Si la justice a réussi à avancer sur certains crimes de la dictature, comme celui de l’assassinat du chanteur populaire Victor Jara, elle a été défaillante pour de très nombreuses victimes qui désespèrent de voir un jour leurs bourreaux condamnés. Regrettant la lenteur de procédures judiciaires, le président classé à gauche Gabriel Boric – aux affaires depuis mars 2022 – vient d’ailleurs d’annoncer un plan national pour la recherche de la vérité et de la justice visant à retrouver plus de 1 000 personnes toujours portées disparues. Une étape essentielle, selon le gouvernement, pour permettre au pays “de configurer sa mémoire et de faire en sorte que cela ne se reproduise jamais”.

France 24 : Pourquoi le 11 septembre chilien reste-t-il un événement aussi marquant cinquante ans après ?

Franck Gaudichaud : Il s’agit d’un événement-monde en direct, immédiatement, avec des images marquantes : le bombardement du palais de la Moneda, suivi par la mort d’Allende, les fameuses lunettes noires de Pinochet. Des générations entières ont été marquées par cela. Si on demande d’identifier Videla, le dictateur argentin, peu de gens peuvent le faire, contrairement à Pinochet. Il incarne, à lui seul, le dictateur sud-américain. En face, Salvador Allende a pensé sa mort et son sacrifice en sachant à quel point cela allait avoir un écho sur le long terme. Il le dit d’ailleurs dans son dernier discours. La caricature du dictateur Pinochet a contribué à renforcer l’image d’Allende, le démocrate assassiné.

Dans quel état d’esprit se prépare la commémoration du cinquantième anniversaire du coup d’État au Chili ?

La commémoration suscite un vif débat politique et médiatique. C’est une blessure ouverte dans une société qui reste fracturée, y compris au niveau de l’héritage des 1 000 jours d’Allende et du 11-Septembre. Ce pays reste très divisé. J’ai un doute sur la possibilité d’avoir un récit historique commun. C’est lié à la transition politique (après le retour de la démocratie en 1990) et à la présence notamment d’anciens membres de la dictature au Sénat. Tant que la justice ne passe pas, cela me semble très difficile.

La figure du président Allende et du gouvernement de l’Unité populaire continuent-elles de diviser fortement ?

C’est un héritage qui est évidemment rejeté par les conservateurs mais avec lequel les gauches ont aussi beaucoup de mal. Si l’on regarde la figure du président Boric, on voit qu’il revendique Allende dans son discours d’investiture. Mais il revendique un Allende républicain, celui qui est mort le jour du coup d’État, pas celui qui incarnait l’espérance révolutionnaire et anti-impérialiste.

Les figures de Pinochet et d’Allende restent omniprésentes dans la vie politique chilienne ?

Effectivement. Et comment commémorer de manière commune une date aussi dramatique alors que les spectres de Pinochet et d’Allende restent présents ? On a un candidat comme José Antonio Kast qui revendique la dictature et une gauche qui revendique un Allende, même aseptisé et débarrassé de sa radicalité. Le fait qu’une extrême droite pinochétiste soit en capacité de conduire la rédaction de la nouvelle Constitution, et d’être au second tour de la prochaine présidentielle (en 2025), montre à quel point les blessures restent ouvertes. (…)

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