Colombie: l’avortement dépénalisé jusqu’à vingt-quatre semaines de grossesse (Anne Proenza -Libération / Olga Gonzalez -Club Mediapart)


Après un marathon juridique de 518 jours, la Cour constitutionnelle a décidé lundi par cinq voix contre quatre de dépénaliser les interventions volontaires de grossesse. Une gageure dans un pays très catholique, dirigée par un président hyper conservateur qui invoque Dieu à chacun de ses discours. En Amérique Latine, encore quatre pays criminalisent complètement l’avortement : le Salvador, le Honduras, le Nicaragua et Haïti.

Dans la foule à Bogotá lundi, après la décision de la cour constitutionnelle dépénalisant l’avortement. (Luisa González / REUTERS)

C’est historique, l’avortement n’est plus un délit en Colombie, au moins jusqu’à la 24ème semaine de grossesse. Après un marathon juridique de 518 jours, la Cour constitutionnelle en a décidé lundi par cinq voix contre quatre.

Une foule de femmes et de jeunes filles arborant, comme en Argentine il y a un peu plus d’un an, des foulards verts, a explosé de joie devant le palais de justice de la capitale tandis que les réseaux sociaux s’inondaient de messages euphoriques : «Perdre la peur de décider pour nos corps, nous fera, vous verrez, perdre toutes les peurs» ou plus pédagogiques : «La Cour constitutionnelle parle de dépénalisation de l’avortement, pas de le rendre obligatoire.»

«C’est un pas gigantesque même si nous n’avons pas obtenu la dépénalisation totale. Les droits des femmes et des filles sont garantis», soupire de joie la docteure Laura Gil, gynécologue et dirigeante du Grupo Médico por el Derecho a Decidir (Groupe Médecin pour le droit à décider). C’est l’une des associations rassemblées dans Causa Justa (Cause Juste), le mouvement qui a saisi la Cour constitutionnelle il y a deux ans en arguant que la criminalisation de l’avortement constituait une violation des droits fondamentaux des femmes.

Seize ans de combat

Cette décision rétroactive devrait permettre de faire sortir des dizaines de femmes de prison et faire passer la Colombie dans la catégorie des pays les plus progressistes de la région et l’un des rares du monde à autoriser l’avortement sans restriction jusqu’à la 24ème semaine. Une gageure dans un pays très catholique, dirigée par un président hyper conservateur qui invoque Dieu à chacun de ses discours, et dont les deux chambres du Congrès sont à majorité à droite. La loi n’a d’ailleurs jamais été discutée au Congrès et les mouvements féministes ont préféré porter leur lutte du côté constitutionnel et de la société civile, une stratégie payante.

En 2006, le mouvement avait ainsi obtenu la dépénalisation de l’avortement dans trois cas de figure : viol, malformation du fœtus incompatible avec la vie et risque pour la santé de la mère. Mais il a fallu attendre et se battre pendant seize ans pour cette nouvelle victoire… Passé le délai de 24 semaines, les femmes pourront encore avorter légalement mais seulement dans les trois cas de figure déjà autorisés.

Le mouvement Causa Justa a développé 90 arguments juridiques pour convaincre la Cour constitutionnelle. Expliquant, entre autres, que l’avortement est un délit inégalitaire puisqu’il ne touche que les femmes, qu’il affecte surtout les femmes les plus vulnérables, et qu’il est inefficace puisqu’interdire l’avortement n’a jamais fait baisser le nombre d’interventions nulle part. Depuis près de deux ans, les militantes ont aussi fait le siège du palais de Justice à chaque fois que les magistrats se réunissaient (même virtuellement), affrontant les groupes dits pro-vie armés de missels et de croix… (…)

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L’avortement, dépénalisé en Colombie (et remis en cause) (Olga Gonzalez / Club Mediapart)

En Colombie, en pleine campagne électorale, la Cour constitutionnelle vient d’émettre un avis favorable à l’avortement. La décision, historique, veut modifier la vie de centaines de milliers de femmes et éviter les emprisonnements pour cette cause. Cependant, la coalition des droites et des églises mène sa croisade.

Les féministes célèbrent leur victoire devant la Cour constitutionnelle, février 2022. Photo: Nelson Cardenas.

En Colombie, la Cour constitutionnelle vient d’émettre un avis favorable à l’avortement. Avec une très fragile majorité (cinq magistrats pour, quatre contre), la Cour autorise le recours à l’IVG jusqu’à la 24ème semaine de grossesse. Ainsi, après Cuba, l’Uruguay, le Porto Rico, l’Argentine, de nombreux États du Mexique, le Surinam, la Guyana et bientôt le Chili, voici le troisième pays le plus peuplé de l’Amérique latine (après le Brésil et le Mexique) adopter le droit à l’avortement.

Le verdict était attendu depuis deux ans. Dans les bureaux de la Cour constitutionnelle attendent de très nombreuses demandes sous la forme de « tutelas », un recours constitutionnel interposé par les citoyens en cas d’atteintes à leurs droits fondamentaux et perçue très souvent comme le meilleur moyen, sinon le seul, permettant de résoudre nombre de problèmes qui se posent au quotidien.

L’une de ces tutelas émanait de la plateforme féministe Causa, laquelle arguait que l’état des choses actuel (avortement autorisé en trois cas de figure : s’il y a un risque vital pour la femme enceinte, s’il y a une malformation du fœtus, ou en cas de viol), n’était pas respecté. Afin d’éviter que les « barrières du système » (obstacles du système de santé, objections de conscience des médecins, etc) n’obstruent le recours à l’avortement thérapeutique, disaient ces féministes, il fallait statuer à nouveau. Et pour respecter le droit à leur autonomie, la demande allait dans le sens de dépénaliser l’avortement. Une seconde « tutela », introduite en 2020 par un juriste, allait dans le même sens.

La Cour a mis quasiment deux ans à se prononcer sur ces tutelas. Des raisons de procédure ont entraîné le report de la décision. Entre autres : la Cour avait-elle, oui ou non, le droit de se prononcer, vu qu’il existait un jugement préalable de cette même Cour sur le même sujet ? Par ailleurs, des magistrats ont été écartés (par exemple, parce que l’un avait déclaré dans un média que ce sujet était une « patate chaude »). Ces derniers jours, l’intrigue consistait à savoir comment un des neuf magistrats, croyant et conservateur, mais en voie de transformation idéologique, allait finalement se prononcer. Les journalistes ont été enquêter sur ses lectures. Il semblerait qu’il lisait un ouvrage d’Umberto Eco sur l’éthique des non croyants…

Tel était le climat dans les hautes cours en ce mois de février 2022. Enfin, après une intense campagne sur les réseaux sociaux et des manifestations de chacun des deux camps à côté du tribunal, la Cour s’est prononcée le 21 février.

Cette décision est historique. Elle va modifier la vie de centaines de milliers de femmes, qui avortent chaque année dans l’illégalité. Un certain nombre d’entre elles, particulièrement les plus pauvres et les plus éloignées des grands centres urbains, sont même dénoncées devant les autorités et traduites en justice : tous les ans il y a environ 400 plaintes contre des femmes ayant tenté d’avorter, et la plupart des plaignants appartiennent au corps médical et sanitaire.  D’après la Mesa por la Vida y la Salud de las Mujeres, 25% des condamnés sont des mineures. (…)

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Voir également : La Colombie dépénalise l’avortement jusqu’à vingt-quatre semaines (Le Monde / AFP)

Voir le communiqué de soutien de FAL : Droit d’avortement en Colombie (Communiqué FAL / Groupe de Travail Luttes de genre et féminismes)