Colombie. L’oubli que nous serons : un film pour ne pas oublier ! (articles et vidéos)


El olvido que seremos, le nouveau long-métrage du cinéaste espagnol Fernando Trueba aurait dû être présenté au festival de Cannes de 2020 : la pandémie en a décidé autrement. Mais finalement, sa sortie sur nos écrans au moment où le peuple colombien se soulève massivement dans l’espoir des changements si nécessaires tombe à pic car cette histoire bouleversante, qui se déroule dans le Medellín des années 1970 / 1980, résonne comme un écho de la Colombie d’aujourd’hui en résistance contre la violence, la misère, l’injustice, les inégalités, pour le droit à la paix, la santé et l’éducation.

Goya du meilleur film hispano-américain 2021et Horizon d’or du festival Cine-Horizontes de Marseille, L’oubli que nous serons a été présenté en avant-première fin mai en présence du réalisateur qui, lors des débats, a manifesté sa solidarité avec le peuple colombien en lutte. Centré sur le personnage de Héctor Abad Gómez, médecin spécialiste de santé publique, universitaire, essayiste et défenseur des droits humains – interprété par un Javier Cámara éblouissant -, le film de Trueba, tourné sur les lieux des événements, nous livre le formidable portrait d’un homme généreux et engagé qui a marqué l’histoire récente de la Colombie et dont le destin tragique a été raconté par son fils dans un livre éponyme publié avec grand succès en 2006. C’est d’ailleurs le regard aimant et fasciné de ce fils, d’abord enfant puis jeune écrivain, que la caméra adopte pour livrer la chronique d’une famille nombreuse et joyeuse, soudée autour de la figure paternelle, héros généreux, admiré par ses étudiants et adulé par ses patients, qui lutte inlassablement pour imposer la règle des cinq A des droits humains élémentaires (alimento, abrigo, agua, aire, afecto), et refuse de rentrer dans le rang malgré les menaces qui pèsent sur lui. Alternant images en couleurs et noir et blanc, le cinéaste concentre le récit sur deux périodes capitales : l’enfance du fils au sein du paradis familial rempli de rires et de musique, et la mise à la retraite forcée du père, prélude de la descente aux enfers. À la fois mélo romanesque et peinture réaliste d’une époque marquée par l’escalade de la violence, les mobilisations universitaires, les disparitions, les assassinats, le paramilitarisme, El olvido que seremos – un titre qui fait référence à unpoème attribué à Jorge Luis Borges retrouvé dans la poche du docteur Abad après sa mort -ne peut que susciter l’émotion et met en évidence l’importance de la mémoire aussi bien familiale qu’historique. Nul doute que le public français appréciera ce très beau film !

Cathy Ferré (article publié dans FAL Mag 147)


Bande-annonce du film El olvido que seremos

Extrait en VO

Héctor Abad Gómez, une histoire tragique qui inspire littérature et cinéma (Culture-RFI)

Médecin, écrivain, journaliste et défenseur des droits de l’homme, le Dr Héctor Abad Gómez a marqué de son empreinte l’histoire de la Colombie.

Dans les années 1980, il s’est élevé contre les violences et les enlèvements, qu’ils soient commis par les guérillas, les paramilitaires ou l’armée. Assassiné en 1987, son destin tragique a été raconté par son fils dans un livre à succès : « L’Oubli que nous serons » et adapté au cinéma par le réalisateur espagnol Fernando Trueba, dans un film qui a reçu le label « Festival de Cannes 2020 ».

Portrait du docteur Héctor Abad Gómez

“Les Colombiens ont la douleur et le refus de l’oubli inscrits dans leur chair”(entretien avec Marie Estripeaut-Bourjac par Pauline Le Gall / Zéro de conduite)


Le film L’oubli que nous serons de Fernando Trueba est adapté d’un roman autobiographique d’Héctor Abad Faciolince, paru en 2006, qui a connu un succès très important en Colombie. Nous avons demandé à Marie Estripeaut-Bourjac, spécialiste de la question de l’écriture de la mémoire en Colombie, de nous expliquer en quoi ce récit témoignait d’une période particulièrement mouvementée dans le pays.

Vous avez travaillé sur l’écriture de la mémoire en Colombie. Comment le roman d’Héctor Abad Faciolince, L’oubli que nous serons, s’inscrit-il dans cet élan littéraire ? 

Ce récit autobiographique, et revendiqué comme tel, a pour objectif de dénoncer l’incurie des pouvoirs publics. À l’heure actuelle, les causes de l’assassinat d’Héctor Abad Gómez ne sont toujours pas éclaircies. Aucun jugement n’a été rendu. Le récit est donc une forme de réparation et de thérapie pour l’auteur et pour sa famille. Faciolince n’a d’ailleurs de cesse de l’écrire : «Jj’ai enfin pu parler ». Ce témoignage est particulièrement important parce qu’il se situe à l’un des moments les plus tragiques de l’histoire de la Colombie, dans les années 80. 

Le film, tout comme le roman, mêle récit intime et histoire de la Colombie. Comment cette forme permet-elle de raconter la complexité de la situation dans le pays, notamment dans les années 1980 ?

Les quinze dernières années de la vie d’Héctor Abad Gómez, qui sont racontées dans le livre et le film, sont étroitement liées à l’histoire de la Colombie. Il était très investi socialement et s’est d’ailleurs présenté à la mairie de Medellín. Toutes les vexations et les persécutions dont il a été victime montrent bien qu’à cette époque il valait mieux se taire en Colombie. Il s’exprimait notamment sur des sujets Or, comme le dit l’une de ses anciennes élèves, à l’époque personne n’en parlait dans le pays. Il s’agissait là d’une préoccupation qui semblait réservée aux étrangers, notamment américains, alors que la santé est un enjeu majeur pour le bien-être et le progrès du pays. Les années 80 marquent aussi les grandes années de Pablo Escobar et la naissance des brigades paramilitaires, aussi appelées « escadrons de la mort ». En 1985 a lieu la prise du Palais de justice par la guérilla M-19, suivie de l’assaut de l’armée puis de l’incendie dans lequel une centaine de civils trouvent la mort. En marge de cela, des membres du parti communiste et des anciens guérilleros, qui avaient décidé de revenir à la vie civile et se présentaient aux élections sous l’étiquette de l’UP (Union Patriotique) sont massacrés. Il y a eu en tout 5000 morts et cela n’a jamais été élucidé. (…)

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