Il y a quinze ans : la commune de Oaxaca (Patrick Guillaudat / Contretemps)

Alors qu’en 2021 nous fêtons le 150ème anniversaire de la Commune de Paris, il y a quinze ans, en 2006, le Mexique connaissait un mouvement social d’une ampleur sans précédent depuis la révolution mexicaine de 1910. Une grève enseignante allait embraser l’État de Oaxaca pour déboucher sur une remise en cause globale du système politique mexicain. Cette lutte va élaborer des formes d’organisation et d’échanges puisées dans deux sources distinctes mais complémentaires.


D’une part, elle s’inspire du fonctionnement des communautés indigènes fondé sur la recherche du consensus dans la prise de décision, communautés par ailleurs particulièrement présentes dans cet État. D’autre part elle reprend à son compte une tradition issue des mouvements révolutionnaires en lutte pour l’émancipation, comme la Commune de Paris en 1871, la brève Commune de Canton en 1927, la révolte polonaise de 1980, celle de 1945 en Indonésie, etc.

Mouvements fortement marqués par une identité de classe, mouvements des opprimés et exploités, qui posent tous les mêmes questions : une aspiration à l’égalité et à la construction d’une véritable démocratie. Ces traditions jalonnent l’histoire du Mexique, et ce n’est pas un hasard si, pas loin de l’Oaxaca, au Chiapas s’est déclenchée en 1994 l’insurrection zapatiste, mélange de culture indigène et de multiples références, libertaires et marxistes.

Cet anniversaire de ce que l’on désigne comme la Commune de Oaxaca doit être l’occasion de rappeler l’histoire de cette formidable lutte et de préserver sa mémoire.


Au départ, une grève des enseignants

Quand la grèves des enseignants se déclenche au Mexique en cette année 2006, le pays est dirigé pour la première fois par un président membre du PAN (Parti d’Action Nationale, droite néolibérale), mettant ainsi fin à une hégémonie politique du PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel) qui durait depuis 70 ans[1]. Le mouvement syndical, malgré l’opposition de quelques syndicats comme celui des électriciens, est largement encadré par le PRI. Depuis qu’il est passé dans l’opposition, ce parti ne voit plus d’un mauvais œil les revendications syndicales, dans la mesure où il garde les rênes des négociations et de la direction du mouvement. Mais il se trouve que la section 22 du syndicat des enseignants (SNTE), celle d’Oaxaca, a rompu depuis 1982 avec le PRI et s’oppose à cette direction syndicale corrompue[2]. Le SNTE n’est pas une organisation syndicale « classique ». Puissant, avec plus d’un million d’adhérents, il est intrinsèquement lié au PRI et à sa politique éducative.

C’est aussi ce qui explique l’imbrication entre les fonctions syndicales et les fonctions politiques au sein du PRI. La direction de ce syndicat gère une petite fortune (dont une partie a été détournée par sa présidente) et monnaye son soutien au PRI [3]. Mais l’arrivée du PAN au pouvoir change la donne et l’étau qui impose un suivisme des 61 sections du SNTE à la direction nationale du syndicat est desserré. La section 22, déjà dans l’opposition syndicale, a les mains libres pour organiser le mouvement dans l’État d’Oaxaca. La grève des enseignants débute le 22 mai 2006 sur de simples revendications salariales, en lien avec les mesures néolibérales édictées par le gouvernement fédéral (suppression de la prime de trois mois de salaires, de la plupart des congés payés, …)

Il y a deux raisons essentielles à la naissance de ce mouvement.

La première est la situation sociale de l’État de Oaxaca. Il s’agit de l’État le plus pauvre du Mexique, composé à majorité par une population indigène. 70% de la population n’a ni accès à l’eau potable, ni à l’électricité[4]. Les salaires sont en-dessous de la moyenne nationale avec un salaire minimum des plus bas du Mexique[5]. Pendant près de quatre-vingt ans, cet État, ainsi que d’autres états voisins comme le Guerrero, Puebla ou Veracruz ont servi de base solide pour l’implantation du PRI. Fait exceptionnel au Mexique, en Oaxaca, le PRI reconnait les autorités coutumières. Cela a deux conséquences majeures et apparemment contradictoires. D’un côté l’exclusion électorale des populations indigènes qui se désintéressent des autorités politiques et donc de leur élection. De l’autre l’organisation du vote d’allégeance en fonction des besoins du moment. Le PRI assoit ainsi son pouvoir par le clanisme et la constitution de bandes armées. Mais depuis quelques années, la crise du priisme libère des aspirations démocratiques dans tout le pays. En Oaxaca, elles ont été multipliées par le choc des politiques néolibérales sur les populations indigènes et le réveil de cette population marginalisée socialement et politiquement. (…)

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