COP16 Biodiversité : “Les peuples autochtones sont de meilleurs acteurs que les ONG en termes de protection de la nature” (Maya Elboudrari / TV5 Monde)
La COP16 sur la biodiversité s’est ouverte lundi 21 octobre en Colombie. Au programme : financements, crédits biodiversité, « objectif 30×30 »… Des associations de défense des peuples autochtones, comme l’organisation Survival, critiquent une vision de la protection de l’environnement qui néglige leurs droits. Entretien avec la directrice de sa branche française, Fiore Longo.
TV5MONDE : La COP16 Biodiversité est présentée comme une « COP des peuples », qui intègre les peuples autochtones et valorise leur rôle dans la préservation de l’environnement. Est-ce une avancée, selon vous ?
Fiore Longo, directrice de Survival France, ONG de défense des droits des peuples autochtones : Je crois beaucoup au pouvoir des représentations et des imaginaires. Voir des délégués autochtones dans des réunions aussi importantes représente toujours une avancée positive. Ces populations ont été marginalisées, invisibilisées pendant des années. Donc je pense que c’est toujours une bonne chose que cela évolue.
Mais le changement de représentations n’est pas suffisant, il faut changer les structures de pouvoir. C’est bien d’inviter, d’inclure les peuples autochtones et leurs représentants, mais ça serait bien mieux qu’ils puissent prendre des décisions pour eux-mêmes, dans leur territoire, et qu’on respecte leurs droits. C’est donc un premier pas très positif, mais pas assez par rapport à la route qu’on devrait prendre.
TV5MONDE : Quel problème principal pointe votre organisation sur cette COP et vis-à-vis des enjeux des peuples autochtones ?
Fiore Longo : L’un des aspects les plus importants discutés lors de cette COP concerne les financements pour la mise en place du Fonds du cadre mondial de la biodiversité, approuvé l’an dernier.
Ce qui a été décidé pour l’instant, ce n’est pas un nouveau fonds de financement différencié, comme plusieurs pays du Sud le demandaient. C’est un fonds qui se trouve sous la responsabilité d’un organisme qui existe déjà : le Fonds pour l’environnement mondial (le FEM est une organisation internationale, aujourd’hui premier bailleur de fonds pour des projets liés à l’environnement, NDLR).
C’est controversé car, pour prendre un exemple, il ne prévoit pas la nécessité d’obtenir le consentement des peuples autochtones pour les projets qu’il finance.
De plus, Survival International a analysé les projets qui ont déjà été acceptés pour recevoir ce type de financements et ce qu’on remarque, c’est que 85% de ces projets sont gérés par des grandes organisations de protection de la nature ou de grands organismes internationaux, comme la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, NDLR) ou le WWF (l’une des plus importantes ONG internationales pour la protection de la nature, NLDR). Ces grandes institutions sont déjà soupçonnées d’avoir mal géré leurs projets, en termes de violations des droits humains. Il y a eu plusieurs scandales sur les aires protégées du WWF au Congo.
Au lieu d’aller aux peuples autochtones, l’argent continuera à aller à ces grandes agences. Seules les organisations accréditées peuvent accéder à l’argent de ces fonds. C’est quasiment impossible pour les organisations autochtones d’y avoir accès directement.
Enfin, les projets qui sont proposés sont des projets qui ne concernent pas ou très peu les peuples autochtones. On continue à financer des projets typiques de la « conservation-forteresse » (modèle qui repose sur le fait d’éliminer toute présence humaine des zones protégées, NDLR), donc des projets très verticaux et très militarisés. Ils ont pour objectif de protéger la nature, en expulsant les peuples autochtones.
D’un point de vue des droits humains, c’est problématique, car les populations les plus vulnérables, qui ont le moins contribué à la destruction de l’environnement perdent accès à leur terre. D’un point de vue environnemental, c’est controversé aussi, parce les territoires qui comptent le plus de biodiversité au monde se trouvent sur les terres autochtones. Les peuples autochtones produisent moins de déforestation qu’une aire protégée classique.
La question des financements constitue donc l’élément le plus « chaud » de cette COP. Il s’agit aussi d’un conflit entre le Nord global, qui est responsable de la destruction de la biodiversité, et les Sud. Pour nous, la question est centrale, parce que si l’argent finit toujours dans les mains des mêmes associations, on ne va pas avancer.
TV5MONDE : Qu’attendriez-vous comme mécanismes à la place de ceux proposés sur la question des financements ?
Fiore Longo : Nous attendons un fonds séparé qui ne soit pas inclus dans le FEM. Un fonds avec de nouvelles règles, parmi lesquelles la nécessité d’obtenir le consentement des peuples autochtones. C’est également ce que des nombreux pays du Sud demandent. Mais les “industries de la conservation” n’y ont pas intérêt.
Nous voudrions aussi que la majorité de ce fonds soit destinée aux communautés locales, aux organisations locales. Que tous les projets de type “conservation-forteresse” soient interdits. Cet angle serait d’ailleurs beaucoup moins coûteux.
Le respect et la reconnaissance des droits territoriaux des peuples autochtones seraient bien sûr les premières choses à prendre en compte. (…)
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