🇵🇪 Crise politique au Pérou : un coup d’État parlementaire contre Pedro Castillo (une analyse de Johnatan Fuentes, Marisa Glave et Pablo Stefanoni / Viento Sur – Traduction par Contretemps)


La victoire électorale de Pedro Castillo et de Perú Libre aux élections présidentielles de 2021 augurait de l’approfondissement de la crise politique péruvienne qui dure depuis plus de cinq ans, avec la particularité de la sauvagerie des classes dirigeantes envers un leader syndical d’origine paysanne qui cristallisait grossièrement le racisme et le maccarthysme ambiants de la société péruvienne.

28 juillet 2021 Cérémonie d’investiture du Président Pedro Castillo (Wikimedia Commons)

Leer en español : Destitución de Pedro Castillo y nuevo gobierno


Un populisme de faible intensité

Contrairement aux expériences nationales-populaires récurrentes en Amérique latine, le projet de Castillo ne disposait pas d’une stratégie définie, d’une base populaire solide et d’une large majorité parlementaire pour mettre en œuvre les changements proposés lors de la campagne électorale. En outre, la coexistence avec le parti Perú Libre était plus un accord pratique qu’un engagement dans la construction d’un parti, qui a finalement été formalisé il y a quelques mois.

Face aux manœuvres putschistes de l’extrême-droite, Castillo a constamment choisi d’accorder des concessions aux classes dirigeantes, au point d’enterrer les mesures minimales du programme de changement avec lequel il avait remporté le second tour des élections.  Cela s’est manifesté lors du changement de cabinet, où la technocratie néolibérale a récupéré le ministère de l’économie et certains secteurs de droite se sont retrouvés à l’exécutif après seulement 6 mois de mandat.

Castillo a fait échouer les deux premières motions de censure en établissant des accords avec des parlementaires de droite implantés régionalement et avec une certaine bourgeoisie provinciale, comme Alianza para el Progreso (APP) et une fraction d’Acción Popular (AP) et de Podemos Perú. D’une certaine manière, la division de la gauche, les disputes entre Perú Libre et Nuevo Perú, au cours des six premiers mois du gouvernement ont contribué à cette dynamique, renforçant l’entourage régionaliste et familial proche de Castillo, qui a fait office de direction politique informelle de l’exécutif, soutenant sa droitisation et sa capitulation.

L’encerclement putschiste permanent

L’extrême-droite péruvienne, dirigée par  le fujimorisme, a ignoré dès le premier jour la victoire électorale de Castillo, et a tenté de diverses manières d’empêcher l’investiture du président en recourant à un pool d’avocats réactionnaires, ainsi qu’aux grands médias, qui ont cherché à saper la légitimité du nouveau gouvernement de gauche.

Les mobilisations antigouvernementales auxquelles ils ont appelé n’ont réussi qu’à rassembler les vieux partis APRA et le Parti Populaire Chrétien (PPC), ainsi que certaines fractions de la classe moyenne et de la bourgeoisie de Lima qui ne toléraient pas que quelqu’un d’origine populaire soit devenu président de la République. Dans une certaine mesure, l’équilibre du pouvoir dans les rues et au Congrès entre l’opposition bourgeoise et le parti au pouvoir a permis la politique de survie qui a conduit Castillo à maintenir le pilote automatique néolibéral.

Face à cette impasse, un autre front de contestation politique a été ouvert avec plus de force par le pouvoir judiciaire et le bureau du Procureur Général de la Nation, qui ont ouvert en un temps record 6 dossiers de poursuites contre le président Pedro Castillo, afin de parvenir à son renversement après l’avoir délégitimé aux yeux de l’opinion publique.  Le procureur chargé de l’enquête, qui aurait des liens avec le trafic de drogue, est maintenant devenu une référence dans la lutte contre la corruption, selon le récit des grands médias alignés sur les putschistes. Jusqu’à présent, ils n’ont pu obtenir que des témoignages contre l’ancien président Castillo de la part d’anciens hauts fonctionnaires et de lobbyistes du monde des affaires, sans aucune preuve à l’appui de leurs allégations.

Le Congrès préparait une demande de suspension du président Castillo, car elle nécessitait un vote moins important que les motions de censure, mais cette voie n’ayant pas abouti c’est donc la troisième demande d’admission de la motion de censure présidentielle qui a été approuvée, par un second vote le 7 décembre pour son approbation finale.

Une sortie précipitée

Face à la crise politique non résolue, Castillo décida la fermeture du Congrès putschiste sans bénéficier d’un rapport de force politique nécessaire et sans le soutien populaire écrasant qui lui aurait permis de mener à bien son projet de mesure d’exception. Son isolement était tel que tous les ministres finirent par démissionner en quelques heures ou minutes, y compris des secteurs de la gauche pro-Castillo, comme Roberto Sánchez de Juntos por el Perú et Betssy Chávez de Voces del Pueblo.

La déclaration des forces armées contre la fermeture du Congrès a clarifié le rapport des forces, ainsi que le caractère précipité et absurde de la mesure d’exception que Castillo a tenté de mettre en œuvre, au-delà des questions formelles/constitutionnelles prioritaires dans l’analyse de la gauche libérale, qui a qualifié l’ancien président Castillo de putschiste, le comparant même à Alberto Fujimori. Certains anciens ministres comme Pedro Francke et Mirtha Vásquezse sont joints au chœur médiatique de la réaction pour  condamner la tentative frustrée de fermer le Congrès.

Après le rejet de la mesure précipitée de Castillo, le Congrès était prêt à approuver la troisième motion de censure présidentielle avec les votes favorables de certains membres du Congrès de Perú LibreNuevo Perú et du Partido Magisterial y Popular. Une fois le coup d’État parlementaire consommé, des policiers ont arrêté l’ancien président sous l’accusation de rébellion, démontrant une fois de plus l’acharnement des classes dirigeantes péruviennes contre le leader syndical d’origine paysanne.

La crise continue

L’investiture présidentielle de Dina Boluarte, ancienne vice-présidente, est le produit de l’accord tacite des forces politiques du Congrès dans leur manœuvre de normalisation du coup d’État parlementaire victorieux. Quelques mois auparavant, l’extrême-droite avait tenté de la disqualifier alors qu’elle était vice-présidente pour des motifs absurdes, mais ces derniers jours, elle a reculé sur la mesure d’exception afin de permettre le transfert du pouvoir présidentiel sans soulèvement populaire.

Dina Boluarte a annoncé la formation d’un gouvernement d’unité nationale, ce qui signifie en réalité une continuité néolibérale, avec peut-être maintenant un rapprochement plus prononcé avec la technocratie et la droite traditionnelle.  Elle n’a pas tenu sa promesse de démissionner en cas de vacance du poste de Castillo, comme elle l’avait déclaré dans l’un de ses derniers discours politiques et n’a pas non plus évoqué le processus constituant ou des réformes progressistes lors de son investiture présidentielle. Malgré cela, l’extrême-droite n’abandonnera pas ses projets de coup d’État : elle attend simplement un meilleur contexte pour sa politique séditieuse.

Il est plus clair aujourd’hui que jamais que l’indépendance politique de la gauche et des mouvements populaires est vitale pour préparer une issue démocratique et anti néolibérale à la crise politique permanente. Dans cette mesure, la construction d’un outil  politique pour les majorités populaires est la tâche principale du moment et des nouvelles générations de militantisme révolutionnaire.

De Pedro Castillo à Dina Boluarte ou la crise sans fin au Pérou

La crise politique du Pérou a pris un nouveau tournant. Après avoir pris le pouvoir le 28 juillet 2021 en tant qu’expression du « Pérou profond », méprisé par les élites de Lima, Pedro Castillo n’a jamais trouvé de direction. Il a changé de cabinet ministériel les uns après les autres, a perdu des alliés, s’est montré politiquement erratique et a fini par s’appuyer sur des cercles obscurs de conseillers et par être mêlé à des allégations croissantes de corruption de son entourage et de sa famille. Mais c’est sa décision de fermer le Congrès, qu’il a accusé d’obstructionnisme dans un discours à la voix tremblante, qui a scellé sa fin. Deux heures plus tard, le Congrès, qui n’avait jusqu’alors pas de majorité pour le « libérer », l’a trouvée, et dans les minutes qui ont suivi, le président a été arrêté, alors qu’apparemment il tentait de rejoindre l’ambassade du Mexique. 

Comment expliquer cette accélération de la crise et les erreurs du président péruvien ? Dans cet entretien, Marisa Glave nous donne quelques informations clés. Entre 2007 et 2013, Marisa Glave a été conseillère à la municipalité métropolitaine de Lima et entre 2016 et 2019, députée de la République. Elle est actuellement chercheuse associée au Centre d’Etudes et de Promotion du Développement (DESCO). 

(…) Lire l’entretien ici


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