🇧🇷 Brésil : Déforestation, sécheresse… l’Amazonie proche “d’un point de basculement irréversible” (France 24)


Au moins 38 % de la forêt amazonienne pourrait avoir été dégradée par l’activité humaine et la sécheresse, selon deux études scientifiques publiées jeudi. Alors que l’opinion publique s’est surtout concentrée sur sa déforestation, les impacts indirects de la sécheresse, des incendies et de l’exploitation forestière sélective sans déforestation peuvent être bien “plus graves”. Une situation urgente que le Brésil vise lors du sommet des pays d’Amazonie.

Les parties les plus extérieures de l’Amazonie préservée peuvent subir de graves conséquences de l’effet de bordure, entraînant des “dégradations irréversibles” pour la planète. Ici, une zone intouchée de l’Amazonie face à une partie exploitée à Humaita, dans l’Amazonas, en septembre 2022. © Edmar Barros, AP

L’Amazonie est proche “d’un point de basculement irréversible”, selon des scientifiques. Deux études publiées dans la revue Science, jeudi 26 janvier, ont pour la première fois estimé les effets de la “dégradation” dans le biome sud-américain. Les dommages infligés par l’activité humaine et la sécheresse sont significativement plus importants que ceux qui avaient été observés auparavant, ont indiqué les chercheurs, issus notamment de l’université brésilienne Universidade Estadual de Campinas (Unicamp).

L’opinion publique s’est surtout concentrée sur la déforestation, qui atteint désormais 17 % de la zone amazonienne originelle. Mais les impacts de ces “dégradations” concernent environ 2,5 millions de km², soit au moins 38 % de l’Amazonie encore préservée.

Selon les études, la forêt – qui recouvre neuf pays – fait face, en quelques décennies, à des changements qui auraient normalement dû s’étaler sur des millions d’années.

“Alors que nous approchons d’un point de basculement irréversible pour l’Amazonie, la communauté mondiale doit agir maintenant”, écrivent les auteurs de l’un des articles, adoptant une rhétorique de mise en garde rare dans les rapports scientifiques.

“Passé ce point, d’ici 30 à 50 ans, nous perdrons entre 50 et 70 % de la forêt, qui deviendra un écosystème ouvert, très dégradé avec une immense perte de biodiversité”, explique au quotidien O Globo le chercheur brésilien et l’un des auteurs, Carlos Nobre.

Ces “dégradations” issues de l’activité humaine pourraient devenir d’ici 2050 l’une des principales sources d’émission de carbone. Et ce indépendamment de l’augmentation ou de la diminution de la déforestation, poursuit l’étude.

“La zone dégradée en Amazonie et les émissions de carbone en raison de la dégradation sont égales, voire supérieures, à celles dues à la déforestation”, a déclaré à BBC News Brésil le responsable de l’étude, David Lapola, chercheur au Centre de recherche météorologique et climatique appliquée à l’agriculture de l’Unicamp et docteur de l’université allemande de Kassel.

La sécheresse comme principale “dégradation”

Au cours de leur étude, les chercheurs se sont concentrés sur les conséquences de phénomènes autres que la déforestation directe : la sécheresse, les incendies, l’exploitation forestière sélective – lorsque des éléments spécifiques de la forêt sont exploités, laissant les autres autour intouchés – ou encore les effets de bordure – quand des changements en raison d’une déforestation affectent les habitats en lisière de la forêt encore restante.

Le principal phénomène parmi ces dégradations est la sécheresse. Les autres phénomènes ont dégradé au moins 5,5 % des forêts amazoniennes, entre 2001 et 2018. Or, une fois les effets de la sécheresse inclus, la zone détériorée représente au moins 38 % de l’Amazonie encore préservée actuellement, révèlent les scientifiques.

Ceux-ci ont analysé des données du Brésil et des autres pays voisins, en se basant sur des études antérieures et des images de satellites de 2001 à 2018.

“L’extrême sécheresse est devenue de plus en plus fréquente en Amazonie du fait de l’évolution des manières d’exploiter le sol et du changement climatique induit par les humains qui affectent la mortalité des arbres, le nombre d’incendies et les émissions de carbone dans l’atmosphère”, ont déclaré les scientifiques.

“Les feux de forêts se sont intensifiés pendant les années de sécheresse”, ont-ils ajouté, alertant sur les dangers que représenteront les “feux de grande ampleur” dans le futur.

Les bordures des zones préservées de plus en plus fragilisées

Comme pour la déforestation, les incendies – même finis – peuvent continuer à compromettre les zones préservées, enclenchant les effets de bordure. Réduits à des pans isolés, parfois encerclés par des zones agricoles ou urbaines, ces fragments les plus extérieurs deviennent de plus en plus chauds, plus secs, plus exposés à de nouveaux incendies et habités par des espèces différentes. Les caractéristiques originelles de la zone disparaissent alors graduellement.

S’enclenche alors un cercle vicieux des catastrophes naturelles extrêmes. L’équipe dirigée par David Lapola estime, par exemple, que les deux épisodes les plus intenses de sécheresse dans la région, en 2005 et en 2010, ont conduit à des incendies géants : ils ont respectivement atteint des tailles deux et quatre fois supérieures à la moyenne des feux de forêt de la zone, rapporte le quotidien brésilien Folha de São Paulo.

Selon une deuxième étude publiée également dans la revue Science, conduite par James Albert, de l’Université Lafayette dans l’État américain de Louisiane, les effets vont au-delà des sécheresses : les inondations extrêmes ont également frappé la région sur neuf des 15 dernières années. Or, le dernier siècle n’a connu que sept événements de cette intensité.

Des parties du “poumon de la planète” émettent plus de CO2 qu’elles n’en absorbent

Ces phénomènes deviennent non seulement plus graves, mais s’accélèrent également et deviennent la norme, s’alarme cette seconde étude, concentrée sur les conséquences de l’activité humaine sur l’écosystème amazonien. Elle dresse un bilan de conditions que l’Amazonie n’a jamais vues depuis des dizaines de millions d’années d’existence.

Les effets sont déjà visibles à court terme. En plus de la perte de la biodiversité et de l’ensablement des cours d’eau, les chercheurs avertissent que, dans des larges pans, le “poumon de la planète” n’absorbe plus de CO2 mais, au contraire, il en émet.

Alors que les forêts absorbent du carbone dans des conditions naturelles, notamment au cours de la croissance de jeunes plantes, les zones boisées finissent par émettre du CO2 quand elles sont exposées à des conditions extrêmes… Un mécanisme qui empire encore les effets du réchauffement climatique.

Selon le géologue brésilien Pedro Val, professeur à l’Université de New York et également signataire de l’un des articles, la réponse passe obligatoirement par la fin de la déforestation : “Si vous coupez des forêts, vous commencez à avoir un impact sur la quantité d’eau que vous avez dans ce système, sur l’échange d’énergie, sur la chaleur. Elle augmente la quantité de précipitations et d’orages qui affectent le sol. Cela provoque l’érosion et la perte de nutriments, et la forêt perd une partie de sa capacité à utiliser ces nutriments pour s’auto-régénérer.”

“Les forêts stockent plus de 150 milliards de tonnes de carbone, et ces tonnes deviendront plus de 200 milliards de tonnes de dioxyde de carbone émis dans l’atmosphère, ce qui rendra impossible la réalisation des objectifs de l’accord de Paris visant à maintenir la température en dessous de 1,5°C”, ajoute-t-il, interrogé par O Globo.

“Abandonner l’Amazonie, c’est abandonner la biosphère”

Luiz Inacio Lula da Silva s’est engagé à mettre fin à la déforestation en Amazonie, après quatre ans de présidence d’extrême-droite de Jair Bolsonaro sous laquelle la législation de protection de l’environnement a été ignorée ou affaiblie. (…)

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