🇨🇱 Échec du référendum sur le projet de Constitution chilienne : quelques analyses (Revue de presse)


Le référendum sur la nouvelle Constitution proposé par le gouvernement Gabriel Boric a été massivement rejeté par les Chiliens le dimanche 4 septembre alors que, en 2020, le oui à la rédaction d’un nouveau texte l’avait emporté à 78 %. Comment expliquer un tel échec ? Quelques analyses ci-dessous.

Référendum au Chili : le spectre de Pinochet plane toujours (Interview de Franck Gaudichaud par Irving Magi / Le Média – 9 septembre 2022)

C’est la douche froide, pour la gauche chilienne. Dimanche 4 septembre dernier, la proposition de nouvelle constitution, qui devait mettre fin à celle héritée du régime d’Augusto Pinochet, a été massivement rejetée par les électeurs chiliens. 61 % de ceux qui se sont déplacés aux urnes ont dit « non ».

Si l’on pouvait présumer que cette nouvelle constitution, qui prévoyait entre autre de garantir des droits pour les populations indigènes, allait mobiliser la frange la plus conservatrice de la population chilienne, personne n’avait imaginé un rejet si large. Ce, d’autant que la conjoncture politique semblait au vert depuis l’élection de Gabriel Boric à la présidentielle de décembre dernier.

À peine 6 mois après une élection à la présidence du Chili qui donnait plein d’espoir, la gauche soupire déjà. Pendant ce temps, l’extrême-droite jubile et les conservateurs du pays se disent « soulagés » que « trop » de droits aux minorités ne soient finalement pas gravés dans la nouvelle constitution. Gabriel Boric doit maintenant appréhender un nouveau processus constitutionnel, qu’il devra rendre sans doute plus consensuel.

Pour analyser et comprendre une telle déconvenue et les perspectives pour la future constitution chilienne, nous nous sommes entretenus avec le chercheur et spécialiste du Chili Franck Gaudichaud, présent sur place.   

Voir ici ou ci-dessous


Constitution chilienne : « La victoire du non est un coup de massue » (interview de Sergio Coronado / La Midinale / Regards / 5 septembre 2022)


Le non à la Constitution au Chili relance-t-il le processus démocratique ? (Podcast de France Culture “Le Temps du débat” – 5 septembre 2022)

Des partisans du rejet de la nouvelle constitution lors de l’annonce des résultats partiels, à Santiago, le 4 septembre 2022 ©AFP

62 % des Chiliens ont rejeté, ce 4 septembre 2022, le projet de nouvelle constitution qui devait remplacer celle héritée de la dictature Pinochet. Progressiste, le texte a fortement divisé la population. Dans ce contexte, le processus démocratique chilien peut-il encore aboutir ?

Intervenants: Patricio Guzmán (cinéaste), Carolina Cerda-Guzmán (maîtresse de conférences en droit public à Bordeaux), Paola Martínez Infante (journaliste chilienne).

Contexte: Le non à la constitution au Chili relance-t-il le processus démocratique ? Voilà une question que les défenseurs de “l’apruebo”, le oui à la réforme constitutionnelle entamée depuis trois ans, ne voulaient pas se poser jusqu’à la nuit dernière. Car le refus à 62% de ce nouveau texte fondamental, préparé par une assemblée constituante de 155 membres, est une surprise de taille pour celles et ceux qui avaient applaudi au vote à 78% d’octobre 2020 pour la rédaction de cette nouvelle constitution. Que s’est-il passé en quelques mois ? Ce referendum raté interrompt-il le processus démocratique ou le relance-t-il ?

Pour en débattre, Emmanuel Laurentin reçoit Paola Martínez Infante,  journaliste indépendante chilienne, basée à Paris, Carolina Cerda Guzmán, maitresse de conférences à l’Université Bordeaux, en droit constitutionnel, spécialisée en droit comparé avec l’Amérique Latine, et Patricio Guzmán, cinéaste chilien dont le dernier documentaire Mon pays imaginaire, présenté au festival de Cannes, sort en salle le 26 octobre.

Ce vote de rejet du projet de nouvelle constitution, Patricio Guzmán, ne se l’explique pas : “Pour la constitution de Pinochet, de Jaime Guzmán, [l’adoption du texte] n’était pas une surprise : on savait que c’était une constitution manipulée, par Pinochet lui-même, puis imposée au peuple”.

Le caractère obligatoire du scrutin sur la nouvelle constitution a probablement donné à voir un pan de l’opinion jusque là occulté. C’est ce que soutient Paola Martínez Infante : “Finalement mon pays est un pays très conservateur, je le découvre comme ça. Pris dans l’idée de l’ordre et de la patrie, qui a fait des ravages pendant la dictature, il ne faut pas oublier que l’on a eu 17 ans de dictature”. C’est aussi ce que semblent démontrer les chiffres, comme l’explique Carolina Cerda Guzmán : “Ce que je retiens maintenant avec le recul, c’est qu’au referendum d’entrée dans le processus constitutionnel, le oui l’a emporté à 78% mais avec 51% de participation, soit 5.8 millions de vote. Ensuite la présidentielle qui porte Boric à la présidence, avec 4.6 millions de votes et enfin ce referendum sur le projet de constitution qui emporte l’adhésion de 4.8 millions de votes”.

Pour écouter le podcast, c’est ici


Chili: les raisons d’un échec (Les Humanités, média alter-actif/ Jean-Marc Adolphe – 5 septembre 2022)

Vaincue à l’élection présidentielle de décembre 2021, l’extrême-droite nostalgique de Pinochet tient sa revanche. Avec une participation record, cependant marquée par l’abstention des jeunes et une campagne polluée par une multitude de fake news, les Chiliens ont rejeté, à 61,9 % des voix, la nouvelle Constitution qui leur été proposée.

Des partisans de la nouvelle Constitution s’étreignent en prenant connaissance des résultats du référendum pour ou contre une nouvelle Constitution à Santiago du Chili, dimanche 4 septembre 2022. Photo Cristobal Escobar / Associated Press

Deux ans plus tôt, ils étaient pourtant à 78,3 % à plébisciter un changement de constitution. Pour sortir du néolibéralisme de l’extrême, le Chili devra encore attendre. Les héritiers des “Chicago Boys”, qui s’étaient ralliés à Pinochet, sont encore parvenus à tenir en laisse les exigences sociales et écologiques qui avaient pourtant porté la gauche au pouvoir. Et cette fois-ci, sans coup d’État.

En 2020, 78,3 % des Chiliens avaient approuvé par référendum le choix de se doter d’une nouvelle Constitution. Deux ans plus tard, les Chiliens rejettent à près de 62 % le projet de nouvelle Constitution élaboré par une Assemblée constituante qu’ils ont eux même élus, après avoir élu en décembre 2021 un jeune Président de gauche. Paradoxes ? Oui et non.

Lors du référendum de 2020, 7,8 millions de personnes avaient voté. Le référendum de ce dimanche a mobilisé près de 13 millions d’électeurs (sur 15,2 millions d’inscrits), un niveau de participation jamais atteint au Chili, très au-delà de ce que prévoyaient les sondages (qui misaient sur une participation de 10 millions de personnes). Pour la première fois au Chili, le vote était obligatoire, avec risque d’amende à la clé.

Selon de premières analyses, les “abstentionnistes traditionnels” qui ont voté cette fois-ci sont en majorité des personnes âgées. Les 18-25 ans semblent s’être grandement désintéressés du référendum. Or, c’est parmi les plus âgés (pas tous forcément nostalgiques de la dictature de Pinochet) que la campagne de la droite (pour le Rechazo) a fait mouche, à base de fausses nouvelles distillées tout au long de la campagne, avec d’énormes moyens financiers et publicitaires. De toute évidence, cette campagne, destinée à semer la peur parmi la population (avec parfois des relents racistes : les peuples autochtones, notamment Mapuche, allaient du jour au lendemain exproprier les “braves gens” ; ultra-catholiques : au nom de l’égalité des genres, des cours sur l’homosexualité seraient introduits à l’école dès le primaire ; ou triviaux : au nom de la protection du bien être animal, la consommation de viande serait interdite ; etc., etc.), résulte d’une opération d’intense “marketing” qui ne doit rien au hasard. Certains lobbys (financiers, industriels, extractivistes…) menacés par le projet de nouvelle Constitution, alliés aux forces les plus réactionnaires du pays, ont donc réussi à saboter le processus démocratique de l’Assemblée constituante. (…)

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Référendum sur la nouvelle constitution au Chili : les raisons du rejet (IRIS – Christophe Ventura)

Christophe Ventura revient sur les raisons multiples du rejet d’une nouvelle constitution au Chili, proposée par le nouveau président Gabriel Boric par référendum dimanche 4 septembre.


Chili : “Le corps électoral silencieux s’est exprimé et a choisi massivement le rejet” (TV5 Monde – le 5 septembre 2022)

Le référendum sur la nouvelle Constitution proposé par le gouvernement de Gabriel Boric a été massivement refuté par les Chiliens. Après une période de fortes contestations sociales qui appelaient au changement en 2019, ce résultat interroge sur les aspirations de la population chilienne. Précisions avec Franck Gaudichaud, professeur d’études latino-américaines à l’Université Toulouse – Jean Jaurès.

Des Chiliens célèbrent le rejet du projet de nouvelle Constitution après les résultats du référendum, à Santiago, le 4 septembre 2022. – © AFP/Martin Bernetti

TV5MONDE : Comment comprendre ce “non” massif alors qu’en 2020, 79% des Chiliens avaient approuvé la nécessité de la rédaction d’une nouvelle Constitution ? 

Franck Gaudichaud, professeur d’études latino-américaines à l’Université Toulouse – Jean Jaurès : L’ampleur de la victoire du rechazo (“rejet”) est en effet une surprise, y compris pour les sondeurs. Il y a plusieurs facteurs qui peuvent cependant l’expliquer. Le premier, c’est qu’il y a eu une campagne très offensive de la part des grands médias et des milieux conservateurs contre la Constitution. Il y a eu tout une série importante de fake news qui a vraiment marqué l’opinion publique. J’ai pu m’en rendre compte en parlant dans la rue avec les gens qui affirmaient qu’on allait prendre leur maison, qu’une partie des héritages serait finie. 

Il y a aussi tout un travail d’explication de ce qu’est la convention constitutionnelle qui n’est pas arrivé jusqu’au bas de la société. Toutes les discussions sur les avancées possibles, sur la sécurité sociale, les droits fondamentaux, le retour de l’eau comme bien public, sont restées dans les hautes sphères de la société. (…)

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Chili : comment expliquer le large rejet du projet de nouvelle Constitution ? (Franck Gaudichaud et Miguel Urrutia – Contretemps, le 10 septembre 2022)

La nouvelle Constitution n’allait pas démanteler le néolibéralisme à elle seule, mais elle pouvait sans aucun doute créer de meilleures conditions pour continuer à mener la bataille. Comment alors expliquer qu’une grande majorité de Chilien·nes ait tourné le dos à cette proposition constitutionnelle, considérée par de nombreuses organisations sociales et de gauche comme un pas en avant historique ? 


Dimanche 4 septembre, Santiago du Chili : les militants de la Coordination des mouvements sociaux pour le « oui » (apruebo) à la nouvelle Constitution [Comando de los movimientos sociales para el Apruebo] étaient réunis au siège du syndicat Bata dans le centre de la capitale, à quelques pas de l’emblématique Plaza Dignidad, centre névralgique de la grande rébellion populaire d’octobre 2019. Les résultats du référendum sur le nouveau texte constitutionnel, élaboré pendant une année par la Convention constitutionnelle, instance élue au suffrage universel en mai 2021, ont commencé à tomber à 18 heures.

On comprend alors vite que le rejet (rechazo) allait l’emporter, mais personne n’avait prévu l’ampleur de la défaite. Après des mois de mobilisation, il a fallu faire face et accepter la victoire des secteurs conservateurs opposés à la proposition constitutionnelle, qui ne cherchait rien de moins qu’à mettre fin à la Constitution de 1980, élaborée pendant la dictature de Pinochet, et à instaurer une des Constitutions les plus démocratiques de la planète.

Un rejet retentissant

Le résultat a été écrasant : 61,88% en faveur du rechazo (rejet) et 38,12% pour apruebo (approbation), avec une participation de plus de 13 millions d’électrices.eurs (85,81% des inscrit.e.s), soit 4,5 millions de plus qu’au second tour de l’élection présidentielle de décembre 2021, une hausse principalement déterminée par l’installation d’un système de vote obligatoire avec inscription automatique.

Dans la région de Magallanes, à l’extrême sud, où vit la famille du président Gabriel Boric, le rechazo a atteint 60 % : une défaite personnelle pour le jeune leader de gauche. Dans le Nord, l’apruebo n’a pas atteint 35 % et dans la région d’Araucanía, où vivent la plupart des communautés mapuches, le rechazo a atteint 74 %. Même dans le grand Santiago ou Valparaíso, zones urbaines traditionnellement plus enclines au changement et où plusieurs maires de gauche (y compris communistes) ont été récemment élus, il n’y a pas eu de majorité en faveur de la nouvelle Constitution : l’approbation n’a atteint une majorité que dans 8 des 346 municipalités du pays !

Les porte-parole de la droite et du « centre » (dont des membres de la Démocratie Chrétienne), opposés au texte, sont immédiatement apparus dans les médias pour célébrer leur succès dans certaines rues et places des quartiers aisés de Santiago. L’extrême droite s’est également réjouie du résultat. Plusieurs dirigeant.e.s conservateurs se sont étonnés de l’ampleur de leur victoire, un scénario improbable il y a deux ans, lorsque le Chili – « oasis » et « vitrine » du néolibéralisme – semblait prendre un nouveau chemin historique marqué par la rébellion d’octobre 2019.

Les élites néolibérales ont tenté à plusieurs reprises de colmater « par en haut » les fissures béantes du modèle et la profonde crise de légitimité (et de représentativité) du système politique, qui ont quasiment conduit à la destitution du président milliardaire Sebastián Piñera par la rue, en octobre. C’est ainsi que le 15 novembre 2019, la quasi-totalité des partis présents au Parlement (de la gauche jusqu’à l’extrême droite) ont signé « l’Accord pour la paix sociale et une nouvelle Constitution ».

Cet accord a divisé le Frente Amplio (coalition de gauche parlementaire, en partie issue du mouvement étudiant, créée en 2017), entre celles et ceux qui soutenaient l’accord et une « nécessaire » canalisation des luttes en cours, et celles et ceux qui voyaient – à juste titre – dans cet accord un moyen de désactiver la force de la rébellion populaire en imposant une issue institutionnelle. Les franges du mouvement les plus mobilisées ont ainsi décrit et conspué l’accord comme le produit d’une nouvelle « cuisine » entre les partis politiques du système, un pacte conclu « à portes fermées » alors que le mouvement populaire faisait face à une violente répression criminelle de la part de l’État chilien (avec des milliers de blessé.e.s, mais aussi l’emprisonnement de centaines de « prisionnier.e.s politiques de la révolte sociale). (…)

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Pourquoi le Chili a rejeté sa nouvelle Constitution ?
(Analyse de Christophe Ventura pour le média Blast)


Voir également Au Chili, la nouvelle Constitution massivement rejetée par référendum (Revue de presse)