En Argentine, la colère monte contre l’austérité

La grève générale qui a paralysé le pays jeudi 6 avril témoigne du mécontentement face à la politique ultra-libérale du président. Avions cloués au sol, transports publics à l’arrêt, incidents avec la police : l’Argentine a vécu au ralenti jeudi en raison de la grève générale à l’appel des principales organisations syndicales, la première contre le président libéral Mauricio Macri. “Le pays a été paralysé. Nous soulignons l’ampleur de cette grève et le niveau d’organisation et de discipline”, a déclaré Juan Carlos Schmid, secrétaire général de la Confédération Générale du Travail (CGT). Le mouvement est “suivi à 90%”, a assuré Pablo Micheli, dirigeant de la Centrale des Travailleurs d’Argentine (CTA).

Au beau milieu des quatorze voies désertes de la 9-de-Julio, l’avenue la plus large du monde, le seul indice permettant de réaliser qu’une apocalypse éradiquant toute activité humaine n’a pas eu lieu, est un passant esseulé, qui prend un selfie pour immortaliser cette scène exceptionnelle. Pas de transports publics, écoles, banques et aéroports fermés, principaux accès à la capitale bloqués: jeudi, l’Argentine était en grève générale. Après un mois de mars passé à s’époumoner en des manifestations quasi quotidiennes, un silence pesant a envahi la capitale d’ordinaire si tumultueuse. «La grève est quasi-totale, a exulté Hugo Yasky, secrétaire général de la CTA (Centrale des Travailleurs d’Argentine, qui regroupe les employés publics, les enseignants et des organisations sociales de gauche, ndlr), l’un des organisateurs du mouvement avec la CGT. Le pays a rejeté les politiques d’austérité du gouvernement de Mauricio Macri.»

40% de pauvres

Arrivé au pouvoir il y a seize mois, le président a en effet mené au pas de charge une série de mesures libérales visant selon lui à «normaliser le pays» après douze ans de gestion péroniste des époux Kirchner. Une dévaluation du peso accompagnée notamment de la suppression des subsides aux services publics tels que l’eau, le gaz, l’électricité ou les transports en commun ont entraîné une forte inflation et une baisse considérable du pouvoir d’achat et de la consommation. Le pays est en récession et la pauvreté frappe près de 40% de la population.

Sonnée par l’échec de son candidat à la présidentielle et la brutalité des changements engagés, l’opposition est restée amorphe durant la première année de gouvernement Macri. Mais depuis la rentrée le mois dernier, elle semble avoir retrouvé le sentier de la guerre. Les chercheurs et les enseignants en sont le fer de lance : dans la province de Buenos Aires, la plus grande du pays, les professeurs sont en grève depuis quatre semaines et les cours n’ont toujours pas repris. Ils réclament une hausse de salaire proportionnelle à l’inflation et défendent une école publique jadis gloire du pays, qu’ils jugent aujourd’hui menacée.

Accès à la capitale bloqués

La bronca s’est généralisée à d’autres secteurs de la société et a culminé le 7 mars lors d’une marche qui a réuni 400 000 personnes à Buenos Aires. C’est sous cette pression que les syndicats, jusqu’alors enclins au dialogue avec le gouvernement, ont fini par convoquer la grève générale de jeudi.

Le mot d’ordre de la CGT était de rester chez soi, mais plusieurs organisations de gauche ont décidé, fidèles à la tradition argentine, de bloquer les accès à la capitale. Le gouvernement, qui avait prévenu qu’il ne les tolérerait pas, a répondu en chargeant les manifestants aux gaz lacrymogènes et aux canons à eau. «Nous avons appliqué à 100% notre nouveau plan anti-piquete (les piquets de grève qui coupent les routes), a déclaré la très polémique ministre de la sécurité Patricia Bullrich. C’est symbolique, il s’agissait de démontrer que nous étions décidés à les déloger. C’est une bataille culturelle qui se mène.»

Et en effet, au-delà des préoccupations liées au pouvoir d’achat, ce sont bien deux visions de l’Argentine qui s’affrontent. Car si le président Mauricio Macri a perdu 37% de popularité depuis son arrivée au pouvoir, sa base lui reste fidèle et veut croire que l’actuelle austérité fera repartir l’économie argentine. En outre, la droite soupçonne dans l’agitation sociale récente la patte de l’ancienne présidente Cristina Kirchner. Samedi dernier, une marche en soutien au président a réuni des milliers de personnes et sur les réseaux sociaux, le hashtag #YoNoParoEl6 («Moi je ne fais pas grève le 6») a rencontré un grand succès.

Félicitations du FMI

Depuis l’hôtel Hilton où se tenait en parallèle de la grève générale une réunion du Forum économique mondial, Mauricio Macri a commencé son discours en s’exclamant: «Comme c’est bon que nous soyons là à travailler!» Il a insisté: «Il nous faut approfondir ce changement qui nous mène à la croissance.» Le Fonds monétaire international, dont l’histoire avec le pays a traversé des moments pour le moins tendus, se félicite aujourd’hui des changements récents en Argentine et table aussi sur une reprise de la croissance pour cette année.

Mais la question est de savoir qui en verra les fruits. Le président, issu d’une famille de riches entrepreneurs et son gouvernement, principalement composé d’anciens chefs d’entreprise, sont soupçonnés de nombreux conflits d’intérêts et accusés d’ignorer les besoins des classes populaires. 
En octobre auront lieu des élections législatives, et l’opposition a l’air bien décidée a faire barrage à Macri et à son modèle économique.

Mathilde Guillaume 

http://www.liberation.fr/planete/2017/04/08/en-argentine-la-colere-monte-contre-l-austerite_1561436