Engie pollue le nord du Chili avec d’antiques centrales à charbon (article et reportage photos de Marion Esnault/Reporterre)

Engie, une entreprise verte ?  Sur le papier, Engie « s’engage à respecter l’environnement ». Dans les faits, au Chili, la multinationale française pollue l’air et l’eau en exploitant des centrales à charbon. Dans le nord du Chili, la multinationale Engie (ex-GDF-Suez) possède plusieurs centrales à charbon aux conséquences néfastes pour la santé humaine et les environnements marin et terrestre. L’annonce par l’énergéticien de la fermeture de deux d’entre elles lundi 2 avril ne changera pas vraiment la donne pour les habitants. Reporterre a enquêté sur place.

Tocopilla et Mejillones (région d’Antofagasta, Chili), reportage

La production d’électricité dans les centrales à charbon génère de grandes quantités de cendres qui contiennent des produits chimiques. À Tocopilla, ces cendres sont déposées au bord de l’eau, à environ cinq kilomètres du centre-ville. En 2016, une forte inondation a tout emporté sur son passage jusqu’à l’océan, y compris les cendres contaminées. Au Chili, ces déchets, pourtant très polluants, ne sont pas considérés comme dangereux. En France, ils sont classés « toxiques ».

À Tocopilla et Mejillones, deux villes côtières situées en plein désert d’Atacama, dans le nord du Chili, il fait très chaud, l’océan Pacifique est tranquille et la brise marine très agréable. La vie quotidienne est paisible. Les familles avec leurs enfants, les groupes d’adolescents, les jeunes couples ont l’habitude de passer leur temps libre sur les plages. Dans les rues des deux « pueblos », tout le monde se salue, tout le monde se connaît, il fait bon vivre. Du moins, en apparence : car ces habitants vivent dans une « zone sacrifiée », un territoire où l’air et l’océan sont très pollués et où l’industrie prime sur la santé des gens et l’environnement.

Tocopilla et Mejillones comptent respectivement environ 25.000 et 13.000 habitants. Historiquement, les villes sont des ports de pêche, mais aujourd’hui, elles sont surtout des zones industrielles. Leur région, celle d’Antofagasta, a le triste record du taux de cancer le plus élevé du Chili. Il n’y a pas d’étude spécifique sur le taux de cancer par ville, mais Marcelo, le directeur de l’hôpital de Mejillones, a mené sa propre enquête : « La première cause de consultation à l’hôpital, ce sont les problèmes respiratoires […] nous n’avons malheureusement pas les moyens d’étudier en profondeur les causes, mais il est clair que le facteur environnemental est un des facteurs qui provoquent des maladies respiratoires. »

Engie (anciennement GDF-Suez, détenu à près de 25 % par l’État français) y possède des centrales à charbon (cinq unités à Tocopilla et quatre unités à Mejillones). Dans une des deux villes, à Tocopilla, la multinationale de l’énergie exploite les quatre plus vieilles unités du parc charbonnier chilien. À Mejillones, elle construit une nouvelle centrale à charbon, nommée « Red Dragon » (« dragon rouge »). Le 2 avril 2018, la filiale chilienne du groupe français a annoncé la fermeture de deux des unités de Tocopilla. Elles représentent environ 12 % des capacités charbon que possède Engie au Chili. Par ailleurs, les deux unités qu’Engie a annoncé fermer ont une capacité de 170 mégawatts quand Red Dragon, la nouvelle unité en cours de construction à Mejillones, à 130 kilomètres au sud, atteindrait 375 mégawatts. Dans sa charte éthique, Engie « s’engage auprès des communautés dans lesquelles il exerce son activité à respecter l’environnement […] et à minimiser son impact écologique ». L’article 19 (alinéa 8) de la Constitution chilienne affirme que « toute personne a le droit de vivre dans un environnement non pollué ». Sebastián Piñera, le président du Chili, dit lui-même que « les tragédies environnementales et sanitaires de Mejillones parlent davantage que mille mots ». En janvier 2018, le gouvernement chilien a abouti à un accord avec les énergéticiens du pays pour stopper la construction de toute nouvelle centrale et mettre en place un groupe de travail pour planifier la sortie du charbon. Pour l’instant, Engie n’a pas donné de plan précis de fermeture de toutes ses unités.

Marion Esnault

Reportage photos sur: https://reporterre.net/Engie-pollue-le-nord-du-Chili-avec-d-antiques-centrales-a-charbon