Équateur : néolibéralime et Covid-19, un cocktail dévastateur (Denis Rogatyuk / Le Vent se Lève)

Le 8 avril, la Cour équatorienne a condamné l’ancien président Rafael Correa ainsi que son vice-président Jorge Glas à 8 ans de prison, tout en leur interdisant l’exercice de fonctions publiques pendant les 25 prochaines années. Cette nouvelle offensive survient à un moment de crise dans le gouvernement de Lenín Moreno. Sa mauvaise gestion de la pandémie du Covid-19 et la révélation de centaines de décès non documentés menacent de provoquer la plus grande crise socio-économique depuis l’effondrement financier et la dollarisation de 2000-2001.

Note de FAL: Cette analyse de Denis Rogatyuk, traduite par Malena Reali a été publiée le 1er mai. Des manifestations de protestation contre les nouvelles mesures économiques prises par le gouvernement équatorien ont eu lieu ces dernières semaines dans le pays.

Le président Lenín Moreno
© Présidence de la République d’Équateur

Au cours des deux dernières années, le gouvernement de Moreno est devenu de plus en plus enclin à user de tactiques autoritaires et à usurper le pouvoir du système judiciaire pour réduire ses opposants au silence. D’autres dirigeants pro-Correa du Mouvement de la révolution citoyenne, tels que la gouverneure de la province de Pichincha, Paola Pabon, et l’ancien député Virgilio Hernandez, ont été emprisonnés puis libérés faute de preuves. Ricardo Patiño, Gabriela Rivadeneira [ex-présidente de l’Assemblée nationale, ndlr] et Sofia Espin ont eux été contraints de s’exiler au Mexique.

En outre, en août 2019, plusieurs membres du Conseil pour la participation des citoyens et le contrôle social ont été démis de leurs fonctions et remplacés – alors qu’ils avaient été élus en mars de cette même année – après s’être opposés de manière constante aux mesures du gouvernement de Moreno. La répression généralisée contre les manifestants, notamment indigènes, en octobre 2019 – lorsque des mouvements massifs protestaient contre la promulgation des réformes parrainées par le FMI – a placé le gouvernement de Moreno sur la longue liste des régimes répressifs d’Amérique latine. Pendant près d’un mois d’affrontements, des dizaines de militants et de manifestants indigènes ont été tués.

Cette soudaine escalade de la répression, en particulier contre Correa et ses alliés, peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Le gouvernement Moreno est confronté à une crise politique aiguë. Le régime a du mal à se défaire des conséquences des manifestations d’octobre 2019 contre la suppression des subventions aux carburants et les autres réformes mandatées par le FMI

Ces événements ont en particulier aggravé les tensions avec les organisations politiques indigènes qui sont venues s’ajouter à l’opposition des forces politiques conservatrices traditionnelles basées à Guayaquil. Cette instabilité est aggravée par la crainte qui entoure les prochaines élections générales, prévues pour février 2021, et le possible retour de Rafael Correa à la présidence. Bien que la carte électorale actuelle soit entourée d’incertitude et qu’aucune alliance politique concrète n’ait été conclue, il est largement reconnu dans tous les secteurs politiques que Correa bénéficie du soutien d’au moins un tiers de l’électorat. Compte tenu des divisions actuelles entre les factions politiques proches du gouvernement Moreno et celles qui s’y opposent, cela rend sa victoire d’autant plus probable si sa candidature est acceptée par le Conseil national électoral.

Enfin, la crise du Covid-19 s’est présentée comme une arme à double tranchant pour le gouvernement de Moreno. D’une part, elle lui a permis d’accélérer la procédure judiciaire contre Correa et sa candidature potentielle à la présidence. D’autre part, elle a introduit une répression sévère contre les revendications ouvrières, sous couvert de faire respecter la quarantaine.

Un régime néolibéral dans la tourmente

Dans la mégapole côtière de Guayaquil, les effets de la pandémie pourraient évoquer les ravages d’une zone de guerre ou les scènes d’un film catastrophe. Des centaines de cadavres enveloppés dans des sacs mortuaires – lorsque ce ne sont pas simplement des sacs poubelles – remplissent des camions entiers qui traversent la ville pour livrer leur funeste cargaison à des morgues qui débordent déjà de victimes.

Face à l’impossibilité de cacher la catastrophe, les sources officielles ont commencé à donner des estimations plus précises : le total de personnes infectées et de morts atteignait respectivement 7 161 et 297 le 10 avril – une augmentation de 30 % en 24 heures. D’autres sources privées ont indiqué des chiffres bien plus élevés, avec plus de 1 900 cadavres collectés dans la seule province de Guayaquil au cours des deux dernières semaines. (…)

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