Emmanuel Macron annonce que la France se retire du Traité sur la charte de l’énergie (collectif Stop Tafta)


“C’est une excellente nouvelle : suite à des années d’alertes, de sensibilisation et de mobilisation de la société civile, auxquelles le collectif national Stop CETA Mercosur et ses organisations membres ont pleinement pris leur part, Emmanuel Macron vient d’annoncer que “la France a décidé de se retirer du Traité sur la charte de l’énergie”, ce traité qui retarde, renchérit ou bloque la transition énergétique. Après l’Espagne, les Pays-Bas et avant la Pologne, cette décision doit conduire à “un retrait coordonné du TCE” comme le recommande le Haut Conseil pour le climat”.


Ces dernières années, le collectif national Stop CETA Mercosur avait :
- relayé les analyses de ses membres et organisé des rencontres publiques pour alerter sur les dangers du TCE (ici en 11 diapos, ou ici en 8 pages)
- participé à la rédaction et à la diffusion de l’appel de 280 organisations demandant aux États de l’UE de sortir du Traité sur la charte de l’énergie, décembre 2019,
- mis en oeuvre et fait signer la pétition « Sortez du TCE maintenant » qui a réuni plus d’un million de signataires en Europe
- assuré un suivi des négociations sur la “modernisation” du TCE : voir notre analyse en juin 2022
- organisé une campagne d’interpellation des ministre du gouvernement français ce mois d’octobre
- facilité la rédaction et la publication d’une lettre ouverte de plus d’une trentaine d’organisations de la société civile : publiée conjointement ce jeudi 20 octobre par MédiapartReporterreBasta (ici sur twitter), L’humanité et Politis (ici sur twitter)

Voici quelques précisions, sous forme de questions-réponses, suite à la décision d’Emmanuel Macron de faire sortir la France du TCE

1. Pourquoi cette décision ouvre-t-elle une brèche ?

Par ces dispositions de protection des investisseurs dans le secteur de l’énergie, sans aucune prise en compte du défi climatique ni du besoin de transition et sobriété énergique, le TCE incarne pleinement ces règles et institutions de la mondialisation qui ont fleuri dans les années 1990 et 2000 et qui aujourd’hui retardent, renchérissent ou bloquent la transition énergétique. Comment accepter de rester membre d’un traité qui permet à des industriels de poursuivre des États pour leurs politiques de fermeture de centrales au charbon (Pays-Bas), d’interdiction de forages pétroliers (Italie), de restriction sur l’utilisation des techniques d’exploitation les plus néfastes (Slovénie), ou d’adaptation des mesures de soutien aux énergies renouvelables (Espagne, France) ? C’est la première fois que des règles ou institutions qui organisent la mondialisation du commerce et de l’investissement sont reconnues officiellement comme étant antinomiques avec la lutte contre le réchauffement climatique. C’est un précédent et l’ouverture d’une brèche : va-t-on enfin revoir le droit du commerce et de l’investissement à l’aune de l’impératif climatique ?

2. Pourquoi les annonces successives de l’Espagne, la France et les Pays-Bas changent la donne ?

L’Italie avait décidé de se retirer dès 2015. Seule, et en restant soumise aux dispositions de protection des investissements pour 20 ans (sunset clause – voir plus bas). La décision de la France est d’une nature différente. Elle vient après celle de l’Espagne, et celle des Pays-Bas. Avant celle de la Pologne. Et sans doute de nombreux autres États qui vont désormais considérer qu’il y a bien assez de « gros » pays ayant pris une telle décision de sortie du TCE pour qu’ils puissent prendre la même sans risquer de se retrouver isolés. Qui plus est parce qu’une proposition de retrait est également en discussion en Allemagne. La décision des Pays-Bas, pays qui est généralement vu comme l’un des États les plus favorables à la protection des investissements étrangers (accueil de nombreuses entreprises « boîte aux lettres » pour utiliser les nombreux accords de ce type dont disposent les Pays-Bas avec de nombreux pays tiers), est également un tremblement de terre au sein des promoteurs des accords de protection des investisseurs.

3. Vers un retrait coordonné à l’échelle de l’UE ?

L’annonce d’Emmanuel Macron doit désormais se concrétiser. Deux grandes options sont possibles. La France décide de se retirer seule. Il lui suffit de notifier son retrait aux autres États-membres du TCE et son retrait sera effectif un an après que la conférence du TCE (plus haute instance de gestion du Traité) aura accusé réception de cette notification. C’est la voie suivie par l’Italie. Ce n’est pas celle qui est à préconiser aujourd’hui, compte-tenu du nombre d’États qui envisagent de se retirer du TCE. L’option de retrait la plus efficace serait un retrait coordonné et collectif de tous les États-membres du TCE désirant s’en retirer et d’obtenir qu’il en soit ainsi à l’échelle de l’Union européenne. Ce n’est pas encore gagné. Ce n’est pas l’option aujourd’hui que poursuit la commission européenne qui privilégie l’adoption du TCE rénové (voir plus bas). Il faudrait que le Conseil de l’UE intime à la Commission de préparer une décision de retrait collectif de l’UE et que celle-ci soit votée au Conseil de l’UE, à la majorité qualifiée (55% des pays représentant 66% de la population de l’UE). Le plus rapidement serait le mieux. Avant le 22 novembre, date de la prochaine conférence des États-membres du TCE serait optimal. Mais très incertain à ce stade.

4. La France et l’UE vont-ils être tenus pendant vingt ans par les clauses de protection des investisseurs ?

C’est l’un des aspects les plus nocifs de ce genre de traités de protection des investisseurs : l’existence d’une « sunset clause » (clause de caducité) qui engage les États se retirant de ces traités pendant une période donnée. Dans le cadre du TCE, cette clause dure 20 ans : « Les dispositions du présent traité continuent à s’appliquer pendant une période de vingt ans […] à compter du moment où le retrait de la partie contractante du présent traité prend effet [1 an après la décision de retrait] (art. 47). Mais ce n’es pas une fatalité. Dans le cas d’un retrait coordonné d’un grand nombre d’États, et a fortiori de l’UE dans son ensemble, voire de l’UE et d’autres États-membres du TCE, ils peuvent neutraliser cette clause en s’accordant conjointement à ce que les dispositions du TCE ne s’appliquent pas entre eux dès qu’ils en seront sortis. Concrètement, à l’échelle de l’UE, plus aucun investisseur ressortissant d’un pays de l’UE ne pourrait poursuivre un autre État de l’UE au titre des clauses du TCE. Comme ces poursuites intra-UE constituent une majorité des poursuites engagées au titre du TCE, une sortie conjointe des États-membres de l’UE, a fortiori avec quelques autres pays, neutraliserait donc la majorité des risques et dangers que représente le TCE.

5. Que va-t-il advenir du « TCE rénové » ?

Face aux critiques, l’Union européenne avait consenti à accepter un processus de modernisation du TCE. Après plusieurs années de négociations, un texte finalisé avait été entériné en juin dernier, puis soumis à la délibération des États-membres du TCE. Loin de régler les problèmes soulevés, ce traité modernisé prévoit de prolonger la protection des investissements dans les énergies fossiles sur une trop longue période, ainsi que d’étendre la protection des investisseurs à de nouveaux investissements dans l’énergie (captage et stockage du carbone, biomasse, hydrogène, combustibles synthétiques, etc.), et donc, les risques de litiges. C’est ce projet de traité rénové qui est aujourd’hui sur la table du Conseil de l’UE, avec la proposition de la Commission européenne de l’entériner pour que l’UE puisse voter en faveur de son adoption lors de la conférence des États-membres du TCE le 22 novembre prochain en Mongolie. Il serait inconcevable (mais pas impossible) que les États-membres de l’UE adoptent ce traité rénové à la majorité qualifiée : l’Espagne, les Pays-Bas, la France, la Pologne plus les abstentions de la Belgique et peut-être de l’Allemagne et d’autres pays doivent pouvoir, surtout si la France y met tout son poids diplomatique, empêcher cette adoption voulue par la Commission, la Suède, le Luxembourg, l’Autriche ou la Finlande. Ces mêmes pays devraient alors exiger de la Commission de proposer une décision conjointe de retrait à faire entériner par le Conseil de l’UE, également à la majorité qualifiée. Reste à savoir si une telle décision pourrait être prise avant l’Assemblée générale des États membres du TCE le 22 novembre prochain. Quoi qu’il en soit, c’es bien l’UE qui la clef de l’avenir du TCE, y compris sous sa forme rénovée.

6. La France va-t-elle rester poursuivie par un investisseur allemand ?

Depuis le 2 septembre, la France est officiellement poursuivie au titre du TCE (détails ici) : l’entreprise allemande Encavis, producteur d’énergie renouvelable (EnR), et trois de ses filiales (Capital Stage Solar IPP, Société centrale photovoltaïque d’Avon-les-Roches, Le Communal Est Ouest) ont engagé une procédure d’arbitrage contre la France, procédure qui a été enregistrée le 2 septembre par le CIRDI. Ces poursuites font suite à la révision à la baisse des tarifs d’achat de l’électricité photovoltaïque, décidée par le gouvernement français en 2020. Ces poursuites ayant été notifiées à la France avant toute décision de sortie du TCE, elles ne seront pas annulées par la décision française annoncée par Emmanuel Macron. Néanmoins, suite à des arrêts de la Cour de justice de l’UE, il semble possible de considérer que des poursuites intra-UE seraient incompatibles avec le droit européen. Cette question n’est pas définitivement tranchée. Quoi qu’il en soit, sortir du TCE au plus vite et neutraliser sa claude de caducité est le meilleur moyen, et le plus rapide, pour éviter des poursuites futures.

7. Quel est l’agenda institutionnel désormais ?

  • 24 octobre  : la commission sur le commerce international du Parlement européen débattra du TCE le lundi 24 octobre après-midi (point 5 de l’ordre du jour – vers 15h30 ; ici en direct)
  • date du vote au conseil de l’UE du projet de TCE rénové : le vote n’aura pas lieu lors du Conseil de l’énergie du 25 octobre au Luxembourg ; ce vote, s’il doit se tenir un jour, est à ce stade repoussé en novembre, peut-être via une procédure écrite ; la décision sera prise à la majorité qualifiée ; une opposition et/ou abstention de plusieurs pays pourraient empêcher son adoption ;
  • 22 novembre 2022 : c’est la date où tous les États-membres du TCE doivent se réunir en Mongolie pour adopter le texte rénové ; si l’UE n’a pas mandat de voter « pour », le texte rénové ne sera pas adopté.

Voir également ici