🇪🇨 Équateur : retour sur une mobilisation exemplaire et une victoire en demi-teinte (Cathy Ferré / revue de l’École Émancipée)


Juin 2022 : deux ans et demi après la grande révolte d’octobre 2019, dix-huit jours de contestation sociale et de mobilisation indigène secouent l’Équateur et entraînent la première grande crise politique à laquelle se confronte le président Guillermo Lasso, banquier conservateur élu en 2021. Malgré une répression violente, le mouvement, très combatif et bien organisé, résiste et obtient un accord qui, s’il ne donne pas satisfaction sur toutes les revendications, représente des avancées indéniables, quoique fragiles.


Cet article, rédigé par Cathy Ferré, membre du Bureau National de FAL et co-rédactrice en chef de FAL Mag, a été publié dans le numéro de septembre de la revue syndicale enseignante École Émancipée. Il revient sur le mouvement social du mois de juin 2022 en Équateur et la situation des négociations avec le gouvernement deux mois plus tard. Les photos sont de Edu León, photographe espagnol.

Depuis un an, la puissante Confédération des peuples indigènes de l’Équateur / Conaie tentait de négocier avec le gouvernement. Le 13 juin, elle appelle à un paro nacional (grève générale) contre la hausse du prix des carburants, l’octroi de concessions minières dans les territoires autochtones, le manque d’emplois, pour un contrôle des prix et pour l’accès à la santé et à l’éducation. Les choses se seraient sans doute vite calmées si l’arrestation provisoire du président de la Conaie, le populaire Leonidas Iza, n’avait pas mis le feu aux poudres : la grève se transforme en soulèvement et s’inscrit dans la durée.

Le pays traverse une sévère crise sociale et économique aggravée par deux années de pandémie qui ont creusé les inégalités, tandis que le gouvernement accentue les mesures néolibérales en donnant la priorité aux exigences du FMI et aux intérêts des grandes entreprises et des banques. La hausse constante des prix affecte le pouvoir d’achat de près de 70 % de la population. Le secteur paysan, déjà frappé de plein fouet par l’impact des traités de libre échange, souffre des effets de la guerre en Ukraine. L’état déplorable du système de santé, les licenciements, l’augmentation des taux de chômage et d’emploi informel, la réduction du budget des universités, les violences liées au narcotrafic, le veto présidentiel au projet de loi autorisant l’avortement pour viol, la recrudescence des projets extractifs dans les territoires indigènes sont autant de motifs de mobilisation pour des milliers d’Équatorien·nes qui soutiennent une plateforme unitaire de dix revendications. 

Une mobilisation indigène et populaire


Pendant presque trois semaines, malgré l’instauration de l’état d’urgence dans plusieurs provinces et la capitale Quito et une répression violente, le paro bloque le pays, ses voies de communication et son économie. Près de 10 000 membres des communautés indigènes organisent des barrages routiers et quittent leurs territoires pour marcher sur Quito.

À la différence de ce qui s’est passé lors du soulèvement d’octobre 2019 contre les mesures d’austérité du gouvernement de Lenín Moreno, les organisations syndicales ne prennent que très peu part au mouvement, à part les soignant·es durement touché·es par la crise post-pandémie. Il s’agit avant tout d’une mobilisation indigène, soutenue par les habitant·es des quartiers populaires, les étudiant·es, les artistes, les organisations féministes et les associations de minorités sexuelles qui se joignent au paro, faisant entendre leurs revendications et participant aux assemblées et aux manifestations.

Très vite, le gouvernement répond par une répression encore plus brutale qu’en 2019. L’invasion par la police de la Maison de la Culture indigène, les attaques d’universités servant de refuges, les infiltrations de policiers, les arrestations arbitraires, les tirs de gaz lacrymogènes, grenades assourdissantes et canons à eau pendant les manifestations valent au gouvernement les critiques de nombreuses ONG de droits humains. Rappelons que les gouvernements équatoriens successifs, y compris lors des mandats de Rafael Correa (2007-2017), ont renforcé l’appareil répressif de l’État et l’ont déployé contre les mouvements sociaux de ces dernières années. Le bilan est lourd : sept morts, des centaines de blessé·es ! Cependant la violence policière et les déclarations menaçantes du président Lasso intensifient la lutte en unissant les organisations populaires et en incitant plus de citoyen·es à se joindre au mouvement.


La répression est approuvée par une droite ouvertement raciste qui, sous prétexte de défendre les classes moyennes et de protéger la paix, appelle à expulser les indigènes hors de la ville. Ce racisme n’est hélas pas nouveau en Équateur, mais il est désormais décomplexé : certain·es habitant·es des quartiers privilégiés n’hésitent pas à attaquer des manifestant·es, y compris avec des armes à feu. De fait, Guillermo Lasso, dont la cote de popularité était au plus bas depuis des mois, se présente comme le garant de l’ordre en accusant la Conaie de vouloir « perpétrer un coup d’État » et de participer au narcotrafic. Il réussit à réarticuler les droites autour de lui et fait tout pour laisser pourrir la mobilisation. Les grands organes de presse  reproduisent à l’identique son discours, présentant les actions populaires comme du vandalisme et de la violence tout en taisant la répression policière et en stigmatisant les organisations indigènes. Cependant, le monopole de l’information est contré par le travail remarquable des médias alternatifs et communautaires. (…)

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Pour rappel voir ces publications du mois de juin 2022 :
– Équateur : dix-huit jours de mobilisations contre les mesures néolibérales du gouvernement de Guillermo Lasso (revue de presse actualisée / photos / vidéos)
– Notre communiqué de solidarité