Haïti agonise et le monde se tait (Amaury Perrachon/HuffPost)
“Peyi lok” depuis dix semaines. Plus d’essence. On pille, on attaque le Sénat. Dix semaines sans école, sans administration, sans importation de nourriture, de médicaments ou d’aide humanitaire. Dix semaines d’une crise supplémentaire.
“Haïti? Ça va, on connaît! Y a eu un gros séisme en je-ne-sais-plus-quelle-année, ils sont pauvres et il fait chaud. Pourquoi? Ça bouge? Non, ça ne bouge pas non”.
Plus personne ne veut entendre parler d’Haïti, et surtout pas nos médias. En parler eux-mêmes? Encore pire. L’AFP fait pourtant son travail, elle envoie des dépêches à tous les bureaux de presse de nos grands informateurs. Depuis deux mois, ces dépêches disent “Crise sociale”, “Morts”, “Blocages”, “Manifestations”, “Urgence humanitaire”, “Faim” mais rien ne suffit parce qu’ “Après tout, c’est Haïti quoi. Et puis on a nos gilets jaunes, chacun sa merde”. Tout le monde sait que ça va mal en Haïti, pas besoin d’en rajouter une couche, ce serait mauvais pour le moral. Libé a fini par faire une petite chronique, La Croix et Mediapart aussi. RFI, qui est sur place, en parle tous les jours mais l’information ne passe toujours pas: c’est grave, ce qu’il se passe!
C’est pire que vous ne le pensez
Ayiti, première république noire libre, s’enfonce un peu plus chaque minute dans un marasme dont même les plus optimistes ne peuvent envisager la fin. Depuis l’indépendance de 1804 se sont succédé au pouvoir des dictateurs, des imposteurs, des voleurs. Parfois les trois à la fois. Les premiers étaient des révolutionnaires, les derniers étaient médecin, prêtre, chanteur, et aujourd’hui businessman. Tous ont tenté leur chance, sans rien faire qu’empirer les choses. Il y a aussi eu des gens intègres, droits dans leurs bottes, bien sûr, enfin peut-être, mais personne ne les laissait vraiment agir, ou pas assez longtemps. Depuis l’indépendance, sur 52 dirigeants, une dizaine ont achevé leur mandat. Les autres ont été assassinés, exilés, renversés, ou sont morts au pouvoir.
Qu’ils leur parlent d’économie, de politique ou de société, en Haïti les plus vieux n’ont pas d’apogée, de période glorieuse dont parler à leurs enfants pour les faire rêver. Pour leur donner du courage ou de l’espoir. D’apogée, il n’y en a pas eu, ou alors c’était avant 1492, les Haïtiens étaient une tribu heureuse, les Taïnos, et leur pays était deux fois plus grand.
Une vieille dame ruinée
En 2009, le pays semblait enfin sur la bonne voie, remontant la pente avec témérité. Et puis il y eut le 12 janvier: deux plaques tectoniques qui se frôlent et 300.000 morts dans la capitale. Tout repart à zéro. En 2016, c’est l’ouragan Matthew qui rase le sud, les grandes villes de Jérémie et des Cayes. Haïti est une vieille dame malade et ruinée qui se prend un crochet ou une béquille à chaque fois qu’elle daigne relever la tête d’un demi-centimètre. Cette dame a bien une aide-soignante, le record du monde du nombre d’ONG par habitant, mais une aide-soignante aussi épuisée et démoralisée que sa patiente.
En 2018, les Haïtiens sont encore et toujours en train de reconstruire leur pays quand ils apprennent que les 3,8 milliards de dollars du fonds PetroCaribe (l’accord pétrolier vénézuélien de soutien aux pays des Caraïbes) qui devaient les aider à se relever se sont évanouis dans les poches d’une vingtaine de dirigeants. Ministres et sénateurs sont accusés, dont les deux derniers présidents et leur poulain: Jovenel Moïse, l’ultime escroc en date élu en février 2017.
C’est un nouveau coup de poing bien affûté dans le visage osseux de la vieille dame. (…)
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