Un vent de dégagisme secoue l’Amérique latine (interview de Christophe Ventura par Angelique Schaller/ La Marseillaise)
Christophe Ventura est chercheur à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques où il est spécialiste de l’Amérique latine. Il décrypte l’actualité de cette zone en pleine turbulence.
Équateur, Chili et maintenant Colombie : un point commun aux différentes mobilisations est la contestation du modèle libéral. D’où cela vient-il ?
L’arrière-fond de tout ça est une région qui vit, depuis 2010, une décennie de ralentissement économique permanent. Cette crise économique s’est traduite partout par des phénomènes comparables de dégradation des conditions de vie en particulier des classes populaires mais aussi d’une partie des classes moyennes. L’OCDE a publié récemment une étude qui montre qu’un des changements majeurs de l’Amérique latine dans ces dernières années est l’émergence massive d’une classe moyenne cependant qualifiée de « vulnérable ».
Ce sont en effet des gens sortis de la pauvreté dans les années 2000, mais qui, sous les coups de la crise économique, se retrouvent à nouveau en proie à un déclassement et à la pauvreté. S’y ajoutent les populations déjà pauvres et qui ont recommencé à augmenter en Amérique latine depuis 2015-2016 et on a une majorité de gens frappés à différents niveaux par des problèmes de pauvreté, d’inégalité sociale, d’accès au service public des transports, de l’électricité, de l’eau… avec des États qui ont de moins en moins de ressources pour en financer le bon fonctionnement. Cela donne un cocktail un peu explosif qui aujourd’hui, de nouveau, s’exprime dans ces pays à la faveur de déclencheurs qui peuvent paraître comme limités – le prix du carburant en Équateur, du ticket de métro au Chili – mais viennent en fait dégoupiller une grenade qui était déjà là.
Si ce n’est en Bolivie où la situation économique et sociale allait plutôt bien ?
En Bolivie, le terreau n’est effectivement pas économique et social mais d’abord lié à une polarisation politique qui est devenue hors de contrôle. Le pays est traversé par de forts clivages politiques depuis la première élection d’Evo Morales en 2006 et n’a cessé de vivre des affrontements assez élevés. La tension est encore montée en 2016 quand Morales a perdu le référendum où il demandait à se présenter une troisième fois.
Il est passé outre via un recours à la cour suprême mais cela a eu comme conséquence d’élargir l’archipel des oppositions. Il y avait son opposition historique, de droite et ultra-droite, mais aussi une partie des gens au sein des classes moyennes modérées qui l’ont abandonné. Ceci dit, indépendamment de la controverse électorale sur la présidentielle du 20 octobre, qui n’est pas tranchée aujourd’hui, Morales a fait au minimum 45 % des voix. Si son capital est entamé, il reste donc à la tête du principal mouvement politique.
Intervention de l’armée, départ de Morales, droite qui en a profité pour s’arroger le pouvoir… Tout cela donne un chaos institutionnel et politique qui dégénère mécaniquement et ouvre la voie à la violence. Le pays est embourbé dans une dynamique de chaos. (…)
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