Haïti : la honte de l’international (Frédéric Thomas / CETRI / France 24)


Depuis le 7 février 2022, le Premier ministre haïtien, Ariel Henry, a perdu le semblant de légitimité que certains lui accordaient encore. Nommé deux jours avant l’assassinat du président Jovenel Moïse, en juillet dernier, il a laissé la situation empirer davantage. Il entend pourtant garder le pouvoir. Avec le soutien de l’international.

Ariel Henry, Premier ministre d’Haïti, le 15 août 2021 (Photo : Ministère de la Communication / Commons Wikimedia)

Le 7 février dernier devait marquer la passation du pouvoir présidentiel en Haïti. Un an plus tôt, le président Jovenel Moïse refusait de reconnaître la fin de son mandat, prétendant rester au pouvoir, jusqu’au 7 février 2022, le temps, disait-il, d’organiser des élections et un référendum sur la Constitution. Cinq mois plus tard, il était assassiné.

Deux jours avant son assassinat, le 7 juillet 2021, Jovenel Moïse avait nommé Ariel Henry Premier ministre. Ce dernier héritait d’un pouvoir illégitime, issu d’un chef d’État contesté, mis en cause dans des affaires de corruption, et qui avait catalysé l’effondrement des institutions publiques, en laissant s’installer la corruption et l’impunité, se multiplier les bandes armées, et s’achever les mandats des parlementaires et des deux tiers des sénateurs.

Le bilan d’Ariel Henry

Depuis, le gouvernement a passé l’essentiel de son temps à faire des déclarations sans effet, et à participer à des réunions internationales où se discute la solution à la crise haïtienne. Personne, à ce jour, n’a été mis en accusation en Haïti, dans le cadre de l’assassinat du président Jovenel Moïse. L’enquête est au point mort. Le constat est identique concernant les divers assassinats et massacres, et l’examen du dossier Petrocaribe avec le détournement de centaines de millions d’euros par la classe politique. L’impunité règne.

Sous la double pression de l’insécurité et de la vie chère, écoles et hôpitaux ouvrent de moins en moins, et fonctionnent de plus en plus mal. La faim qui touchait 40% de la population s’étend, et l’effondrement des institutions publiques se poursuit. Les gangs armés ont conquis de nouveaux territoires, et contrôlent désormais la majeure partie de la capitale. Au cours du week-end précédant le 7 février, une dizaine de personnes ont été tuées et une vingtaine d’autres enlevées.

Qui plus est, la responsabilité d’Ariel Henry a été mise en cause dans l’assassinat de Jovenel Moïse. La nuit du meurtre et par après, il a eu des conversations téléphoniques – et même des rencontres à en croire le New York Times – avec l’un des principaux suspects, en fuite. Interrogé à ce sujet, Henry a simplement répondu qu’il ne se souvenait plus de ce dont ils avaient parlé.

Faillite internationale

Mais, tout cela est loin de troubler la communauté internationale, qui, alignée sur Washington, continue de soutenir le gouvernement d’Ariel Henry, comme elle a soutenu celui de Jovenel Moïse. Elle a laissé passer le 7 février 2022, comme elle a laissé passer le 7 février 2021, et le massacre (71 morts) de La Saline, le 13 novembre 2018. Fin janvier 2022, le sous-secrétaire d’État nord-américain, Brian Nichols, et l’ambassadrice de l’Union européenne en Haïti, Sylvie Tabesse, convergèrent ainsi pour débarrasser le Premier ministre de toute idée d’échéance.

La communauté internationale se plaît à donner une image chaotique de la situation haïtienne pour la faire correspondre à ses présupposés idéologiques et à ses solutions toutes faites. Ces dernières se réduisent d’ailleurs à un double levier, dont la France, par la voix du ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a récemment donné la clé : la police et l’humanitaire. Renforcer la première, augmenter l’aide. Et tant pis, si ce programme a échoué depuis longtemps ; l’important est, comme au temps de l’État colonial, de « contenir les Noirs ».

On peut discuter la part d’aveuglement ou de cynisme, d’intérêt à court terme ou de mépris néocolonial dans cette stratégie, mais force est de reconnaître que l’Europe s’est complètement alignée sur les États-Unis, et que le gouvernement d’Ariel Henry ne tiendrait pas quarante-huit heures sans le soutien international. Le Premier ministre en est conscient : le 6 février, il publiait une tribune dans un journal américain plutôt qu’haïtien, s’adressant à ses bailleurs et à ses commanditaires, plutôt qu’à la population d’Haïti. (…)

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“La date du 7 février marquait un garde-fou institutionnel en Haïti”
(interview de Frédéric Thomas par France 24)

Le Premier ministre de transition Ariel Henry a justifié, lundi, son maintien au pouvoir en Haïti, profitant d’un vide juridique sept mois après l’assassinat de Jovenel Moïse. Mais il est contesté pour “son manque de légitimité”, selon le chercheur Frédéric Thomas contacté par France 24, d’autant plus depuis de nouvelles révélations pointant sa responsabilité dans l’enquête autour de la mort du président haïtien. Interview. 

Le Premier ministre haïtien Ariel Henry (24 novembre 2021. © Valerie Baeriswyl, AFP)

Le 7 février est un jour important en Haïti. Il marque, en 1986, la chute de la dictature des Duvalier et aurait dû être, il y a quelques jours, une journée de passation du pouvoir présidentiel comme la Constitution du pays le prévoit. Mais il n’en a rien été. Le Premier ministre, Ariel Henry, – arrivé au pouvoir pour assurer la transition après l’assassinat de Jovenel Moïse, en juillet 2021 – a justifié son maintien à la tête du pays.

Depuis le début de l’année, une autre voie politique pour Haïti se dessine : plusieurs groupes de l’opposition ont organisé des réunions dans le pays et aux États-Unis, afin de nommer des dirigeants pour un éventuel régime de transition.

Outre cette tentative de consensus, le Premier ministre haïtien doit aussi faire face ces derniers jours à des informations, révélées par CNN, qui pointent sa responsabilité dans l’enquête sur l’assassinat du président haïtien il y a sept mois. Frédéric Thomas, docteur en science politique, chercheur au Centre tricontinental (CETRI) à Louvain et spécialiste d’Haïti, fait le point sur la situation pour France 24.

France 24 : comment définiriez-vous la situation politique actuelle en Haïti 

Frédéric Thomas : c’est une impasse. On est face à une crise politique très forte avec un blocage institutionnel important et un Premier ministre de transition dont le reste de légitimité a disparu le 7 février (le mandat présidentiel s’achève à cette date-là d’un point de vue constitutionnel, NDLR). Il est à la tête d’un gouvernement illégitime et discrédité mais il refuse de quitter le pouvoir. 

À côté de cela, il y a un large consensus autour de partis politiques et d’organisations civiles qui revendiquent une transition de rupture soutenue par la population haïtienne. Mais ce consensus n’a pas le soutien international – à la différence du pouvoir en place – et fait face au refus du Premier ministre d’accepter ce processus de transition.

Pourquoi la légitimité du Premier ministre haïtien Ariel Henry est-elle remise en cause 

L’origine de son arrivée au pouvoir a été en elle-même source d’un manque de légitimité : Ariel Henry a été nommé deux jours avant l’assassinat du président Jovenel Moïse – qui était lui-même contesté et poursuivait un mandat qui devait avoir pris fin – et il a été ‘intronisé’ par la communauté internationale. (…)

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Voir également : Haiti : un tournant dans l’enquête sur l’assassinat de l’ex-président Jovenel Moïse (Frédéric Thomas / CETRI / 19 janvier 2022)