Haïti : un tournant dans l’enquête sur l’assassinat de l’ex-président Jovenel Moïse (Frédéric Thomas / CETRI)


L’enquête sur l’assassinat de l’ex-président haïtien, Jovenel Moïse, a connu ces derniers jours un rebondissement. Si n’apparaît pas encore le sommet de l’écheveau criminel, la thèse d’un règlement de compte au sein de l’oligarchie locale se confirme, ainsi que la nécessité d’un changement radical pour mettre fin à l’impunité.

Des manifestants demandent que la vérité soit faite dans l’assassinat du président Jovenel Moïse, à Port-au-Prince, le 6 octobre. (Richard Pierrin / AFP)

Dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021, le président haïtien, Jovenel Moïse était assassiné chez lui par un groupe composé d’une vingtaine de mercenaires colombiens et de plusieurs Haïtiens. Une quarantaine de personnes furent arrêtées (quatre d’entre-elles ont depuis lors été relâchées), sans que pour autant l’enquête n’avance, et que les mobiles et commanditaires de l’assassinat ne soient mis au jour.

L’extradition vers les États-Unis, début janvier, de Mario Antonio Palacios, l’un des chefs des mercenaires colombiens, qui avait réussi à fuir en Jamaïque, permet de relancer l’enquête. Elle a permis en outre qu’une autre personne-clé soit appréhendée, quelques jours plus tard, en République dominicaine : l’ex-trafiquant de drogue, et homme d’affaire haïtien, Rodolphe Jaar, qui aurait, en partie, financé le commando.

Si nombre de questions demeurent en suspens, cette double arrestation tend à confirmer la thèse d’un règlement de compte au sein de l’élite haïtienne. De plus, elle rend caduque la lecture souvent complaisante, voire néocoloniale, qui est faite de ce crime et, plus globalement, des tourments que traverse Haïti.

Enseignements de l’enquête

D’ores et déjà, plusieurs enseignements peuvent être tirés de ce développement. Les deux personnes arrêtées l’ont été en dehors d’Haïti – la seconde, juste après avoir quitté le pays –, et en raison de mandats de la justice états-unienne. Cela confirme la passivité du pouvoir judiciaire haïtien. Sans pression, cette affaire, comme toutes les autres, sera classée sans suite.

Ensuite, la diversité des profils impliqués – militaires, policiers, hommes d’affaires et politiciens – dessine, en creux, la composition du pouvoir haïtien et un portrait de son oligarchie. Qu’il ait semblé si facile de fomenter un coup d’État, avec l’aide de quelques mercenaires colombiens, en se faisant passer pour des agents états-uniens anti-drogue – ce que certains avaient d’ailleurs été –, témoigne à la fois du mépris dans lequel on tient Haïti et de la mise à mal de sa souveraineté sur la scène internationale.

Ancien trafiquant de drogue, agent de la DEA, et homme d’affaires, Rodolphe Jaar, « Whiskey » comme il est surnommé, est représentatif de cette oligarchie, dont les membres occupent et monopolisent le sommet de l’État et de la sphère économique, dans ce pays parmi les plus inégalitaires au monde. Issu d’une des familles les plus riches d’Haïti, ayant la franchise Coca-Cola, il est lié à l’ex-président Michel Martely, dont Jovenel Moïse était le dauphin, et sous la coupe duquel, il semble être resté.

Le parcours de « Whiskey » illustre le tropisme international de cette élite, dont le pouvoir et les ressources proviennent prioritairement de ses relations avec les États-Unis. Il témoigne surtout de la perméabilité des frontières publiques et privées, légales et illégales au sein de ce milieu, où politique, affaires et détournements se confondent. Dans le contexte de déliquescence des institutions publiques, le trafic de drogue a étendu son domaine, et semble avoir joué un rôle dans l’élimination de Jovenel Moïse.

La principale leçon n’en demeure pas moins la faillite de la stratégie poursuivie par Washington, et docilement reprise par l’Union européenne. L’État haïtien, victime des bandes armées, serait trop faible pour les affronter. Il faut donc le renforcer ; ce qui revient, pour les États-Unis, à renforcer la police. Depuis 2010, ils ont pourtant fourni plus de 220 millions d’euros à celle-ci, avec les résultats que l’on sait. Poser le problème sous cet angle permet de poursuivre la même politique, d’éviter de reconnaître son échec, et d’écarter tout autre choix. (…)

(…) Lire la suite de l’article ici


Voir également:
Haïti, un pays sans président et toujours dans le chaos (François-Xavier Gomez / Libération)
Haïti: Jovenel Moïse, victime des narco-trafiquants ? (Pascal Boniface / IRIS)