Israël-Hamas : pourquoi la guerre de Soukkot divise l’Amérique latine ? (Kevin Parthenay / Le Grand Continent)


En Amérique latine, comment comprendre la diversité des réactions à l’opération « Déluge Al-Aqsa » déclenchée par le Hamas ? Dans une étude fouillée, Kevin Parthenay propose une grille de lecture très fine, fondée sur l’historique des relations complexes et composites qu’entretiennent les pays de la région avec Israël — du Guatemala qui fut le deuxième pays à le reconnaître après les États-Unis au Chili où est rassemblée la principale diaspora palestinienne des Amériques.


Les attaques orchestrées par le Hamas contre Israël le samedi 7 octobre 2023 ont suscité l’effroi de la communauté internationale. Les États d’Amérique latine ne sont pas restés silencieux et ont réagi rapidement face aux événements. Avec le retour de la guerre dans la région s’ouvre également une nouvelle ligne de clivage diplomatique sur laquelle l’Amérique latine se divise. Alors que certaines réactions latino-américaines à la suite de l’invasion russe en Ukraine avaient suscité l’étonnement ou l’incompréhension parmi les États dits « occidentaux », il avait fallu expliquer la volonté de distanciation vis-à-vis des logiques d’alignements aux puissances et celle de s’inscrire pleinement dans la dynamique de reconfiguration des équilibres internationaux. Associer ces postures diplomatiques à l’ambition d’une réaffirmation exclusive d’un « Sud Global » avait alors constitué une fâcheuse simplification. La diversité des réactions face à la guerre en Ukraine en avait été une éclatante manifestation. Les récentes attaques terroristes menées par le Hamas contre Israël, allié traditionnel du « bloc occidental », réouvrent les termes de ce vif débat et justifient un bref examen des positions latino-américaines.

Les positionnements politico-diplomatiques en réaction aux événements majeurs internationaux constituent des indicateurs de choix pour mieux comprendre la place et le rôle des États sur la scène internationale, leurs stratégies diplomatiques ainsi que pour observer l’évolution des alliances et coalitions. Le devoir de réaction place souvent les forces politiques nationales au-devant de dilemmes politiques et idéologiques et mettent à l’épreuve leur solidité et leurs stratégies. Il en va de même sur le plan diplomatique. À l’échelle internationale, ces positionnements sont le plus souvent formulés à travers deux canaux  : 1) des communiqués officiels par les ministères des Relations extérieures  ; et 2) des déclarations des chefs d’États ou ministres des Relations extérieures sur les réseaux sociaux (notamment « X », anciennement Twitter) ou les médias traditionnels (télévision ou presse écrite). 

Aux premières heures du conflit, trois positionnements avaient été prioritairement identifiés par Le Grand Continent dans une carte des réactions internationales constamment mise à jour depuis  : 1) une condamnation ferme avec soutien d’Israël  ; 2) un appel à la désescalade (avec ou sans condamnation)  ; 3) un soutien au Hamas. À plus de dix jours de ces attaques, de nouveaux États ont pris position — intervenant plus tardivement — et ont contribué à étendre le spectre des réactions latino-américaines. Il est par ailleurs possible de préciser certaines des positions et leurs implications diplomatiques. En effet, la nature (diverse) des condamnations et les messages (solution, justifications, critiques) qui lui sont associés constituent autant de critères de distinction des réactions latino-américaines.

Au 20 octobre, compte tenu de la spécificité des réactions latino-américaines, on peut produire une typologie un peu plus fine pour cette région, en isolant six options parmi l’ensemble des réactions en Amérique latine  :

  1. Une condamnation des attaques accompagnée d’un soutien explicite à Israël  : Paraguay, Uruguay, Argentine, Costa Rica, Honduras, Guatemala, Panamá.
  2. Une condamnation des attaques accompagnée d’un appel à la solution des deux États  : Brésil, Mexique, Colombie, Équateur, Pérou. 
  3. Une condamnation des attaques accompagnée d’une critique des actions menées par Israël  : Chili.
  4. Une condamnation des attaques du Hamas  : El Salvador. 
  5. Une préoccupation face à l’escalade du conflit dans la région  : Bolivie, Cuba.
  6. Une condamnation des actions menées par Israël accompagnée d’un soutien à la cause palestinienne : Venezuela, Nicaragua. 

Quels enseignements tirer de la diversité de ces réactions latino-américaines  ? À consulter l’ensemble des déclarations, le rejet de la violence et la crainte d’une escalade du conflit constitue le plus petit commun dénominateur entre tous les États latino-américains. Pour autant, ce que certains ont pu considérer comme une source d’« union du continent » ne parvient cependant pas à occulter la très grande hétérogénéité des positions diplomatiques. 

Premier enseignement : la systématisation des positions radicales formulées par la Bolivie, Cuba, le Venezuela et le Nicaragua qui à travers leurs déclarations dénoncent l’occupation israélienne des territoires palestiniens.

Dans une allocution télévisée, le Président vénézuélien Nicolás Maduro évoque le « génocide qui a été lancé contre le peuple palestinien à Gaza » et mentionne le fait que « depuis 75 ans, le peuple palestinien a enduré une ‘razzia’, a été soumis à ce qui est maintenant considéré comme un nouvel apartheid »2. De la même manière, le ministère des Relations extérieures cubain souligne que les évènements sont la « conséquence de 75 ans de violation permanente des droits inaliénables du peuple palestinien et des politiques agressives et expansionnistes d’Israël ». Les positions de ces quatre États illustrent une ligne radicale opposée à toute forme d’impérialisme, caractérisée par un anti-américanisme historique, étendu au bloc occidental et à tous ses alliés. Par ailleurs, pour ces États, la défense de la cause palestinienne entre en cohérence avec un discours d’affirmation de la souveraineté, de l’autonomie et de la lutte contre toute forme d’oppression par les puissances. À noter que le Honduras de la présidente Xiomara Castro, qui a parfois accompagné ce groupe — lors de précédentes positions aux Nations Unies sur la Syrie, le Nicaragua ou bien la Russie —, ne se positionne pas ici sur cette ligne plus radicale. Concernant ces quatre États, précisons qu’aucun soutien n’a été explicitement formulé envers le Hamas contrairement à ce qui avait pu être anticipé aux premières heures du conflit.

Deuxième enseignement : le positionnement sur l’échiquier politique ne détermine pas les réactions face aux attaques en Israël.

On ne retrouve pas de positions homogènes des gouvernements plutôt progressistes (Brésil, Mexique, Chili, Colombie, Argentine) ni de positions homogènes des gouvernements plutôt conservateurs (Équateur, Pérou, Uruguay, Paraguay, Costa Rica, El Salvador, Guatemala). L’une ou l’autre de ces positions ne déterminent pas une inclinaison des soutiens vers Israël ou bien la Palestine. L’Équateur et le Pérou – dirigés par des conservateurs (respectivement Dina Boluarte et Guillermo Lasso) – ont tenu des positions communes avec les dirigeants dits « de gauche » du Brésil (Lula), du Mexique (Andrés Manuel López Obrador) et de Colombie (Gustavo Petro). L’antagonisme entre ces chefs d’État s’est estompé pour dénoncer uniformément des « actes terroristes », pour appeler au retour du dialogue, et promouvoir la coexistence entre les États israéliens et palestiniens.

Le Secrétariat aux Relations extérieures mexicain déclare ainsi dans son communiqué  : « demande[r] la fin de cette violence improductive, afin d’éviter une escalade qui causerait davantage de dommages et de souffrances à la population civile. Le Mexique considère qu’il est essentiel de reprendre le processus de négociations directes de bonne foi entre les deux parties, afin de parvenir à un accord de paix juste, complet et définitif. Ceci, dans le cadre de la solution des deux États, reconnaissant le droit d’Israël et de la Palestine à coexister en paix, à l’intérieur de frontières sûres mutuellement convenues et internationalement reconnues, conformément aux résolutions adoptées par les Nations unies ». Dans la même perspective, le gouvernement du Pérou « condamne fermement les attentats terroristes perpétrés par le groupe Hamas contre l’État d’Israël ces dernières heures, et exprime sa solidarité avec le peuple israélien, les victimes et leurs familles (…) et rejette fermement le terrorisme dans toutes ses manifestations (…) (Le Pérou) réaffirme son engagement en faveur du processus de paix entre Israël et la Palestine, conformément au droit international et aux résolutions des Nations Unies ».  Ces États s’appuient également sur le respect des engagements multilatéraux face à ce conflit et compte sur l’engagement des Nations Unies. En tant que président du Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU), le Brésil a d’ailleurs immédiatement convoqué une session extraordinaire du Conseil, mais qui ne put aboutir sur aucun texte.

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