🇳🇮 Jan Simon (ONU): «Nous avons recensé des violations systématiques et graves des droits humains au Nicaragua» (Eliott Brachet / RFI)


Un rapport de l’ONU pointe les nombreuses atteintes aux droits humaines commises par le gouvernement du président Ortega au Nicaragua qui est accusé de « crimes contre l’humanité ».

Une inscription «assassin» recouvre une fresque à l’effigie du président Daniel Ortega à Managua au Nicaragua (image d’illustration). AP – Esteban Felix

Il y a un an, l’ONU lançait une investigation internationale sur les violations des droits humains au Nicaragua. Les trois experts indépendants en charge du dossier, ont présenté jeudi 2 mars les conclusions de leur enquête. Leur rapport met en lumière les dérives dictatoriales du régime dirigé par Daniel Ortega.

À 77 ans, Daniel Ortega a déjà passé 27 ans au pouvoir. D’abord révolutionnaire de gauche, à la tête du mouvement sandiniste entre 1979 et 1990, il est revenu au pouvoir en 2006. Depuis, il n’a plus lâché les rênes du pays, et le partage désormais avec sa femme, Rosario Murillo, nommée vice-présidente. En 2021, il a brigué un quatrième mandat aux cours d’élections taillées sur mesure, mettant derrière les barreaux une trentaine d’opposants, dont ses concurrents directs à la présidence. Entretien avec Jan Simon, directeur du groupe d’experts de l’ONU.

RFI : Un pouvoir qui se crispe et réprime violemment sa population, c’est ce qui transparait entre les lignes des 24 pages de votre enquête. Qu’est-ce qui vous a amené à faire état de crimes contre l’humanité au Nicaragua ?  

Jan Simon : Nous avons recensé des violations systématiques et graves des droits humains au Nicaragua. Commises d’une part par l’État et d’autre part, par des groupes qui lui sont affidés. Nous parlons, entre autres, d’exécutions extra-judiciaires, de tortures, de détentions arbitraires, de déchéances illégales de la nationalité, etc. Nous avons considéré que toutes ces violations aux droits humains représentent des crimes contre l’humanité. Car elles sont le résultat d’une politique généralisée et systématique de répression qui s’est étendue, ces dernières années, à de plus en plus larges pans de la population nicaraguayenne.

Comment expliquer d’année en année, cette dérive du régime vers une dictature tyrannique ?

Le système s’est verrouillé petit à petit et les pouvoirs ont été concentrés de plus en plus entre les mains du couple Ortega à mesure qu’ils estimaient que leur pouvoir était en danger. Ce genre de réaction est typique de n’importe quelle dictature. Le Nicaragua est un État qui, avec le temps, devient totalitaire. Ce n’est pas seulement que Daniel Ortega et sa femme incarnent désormais l’État nicaraguayen, c’est plutôt que tous les pouvoirs entre les mains du couple présidentiel sont instrumentalisés et servent à les maintenir personnellement à la tête du pays. Nous parlons d’un État dynastique. Il y a le couple, et ensuite le reste de la famille et ses proches qui se répartissent le pouvoir. Et toutes les institutions du pays sont privatisées pour qu’ils restent en place.

Votre enquête remonte jusqu’en avril 2018, date à laquelle des centaines de Nicaraguayens sont descendus dans la rue pour protester contre la réforme de la sécurité sociale. Le gouvernement de Daniel Ortega a alors riposté par une vague de répression sans précédent qui s’est exercé tous azimuts. En cinq ans, plus de 100 000 personnes ont fui le pays : médecins, opposants politiques, journalistes ou anciens camarades de lutte. À l’intérieur du pays, des centaines de personnes ont été arrêtés, parfois torturées et certaines ont tout simplement disparues. Qui est dans le viseur du régime ?

Un tel État n’a pas besoin d’identifier précisément des cibles. Au fond, son objectif est de gouverner par la terreur. Donc ce ne sont pas simplement les opposants politiques ouvertement contre le régime qui sont dans le viseur, mais plutôt n’importe quelle personne qui pourrait éventuellement ne pas être dans leur camp. C’est un procédé arbitraire. Quiconque qui ne se montre pas loyal à la cause et au projet du couple présidentiel est suspect et peut-être considéré comme une potentielle cible à réprimer. Il suffit parfois simplement d’être un proche d’un opposant pour être arrêté. Du point de vue judiciaire, une accusation équivaut à une condamnation. Tous ont été traités de la même manière. Nous sommes face à un processus qui s’assimile à ce qu’on appelait au Moyen-Âge l’Inquisition. 

Début février, 222 prisonniers politiques du régime de Daniel Ortega ont été expulsés vers les États-Unis, débarqués d’un avion à Washington. Libres, certes, mais désormais apatrides : avant de les expulser, le régime les avaient privés de leur nationalité. Comment interprétez-vous ce geste ? Et que craindre pour ceux qui restent encore en détention dans les prisons du régime ?

Ce ne furent ni des libérations ni un acte d’ouverture du régime. Ce fut tout simplement une expulsion de citoyens, de leur propre pays, en violation grave du droit international et des droits humains. Et d’autre part, les déchoir de leur nationalité est une seconde violation grave de leur droit fondamental à détenir une nationalité. En droit international, on appelle cela une déportation forcée. Et pour ceux qui restent dans les geôles du Nicaragua, on peut dire qu’ils ont été kidnappés par le régime. Ils sont une sorte de monnaie d’échange pour le couple présidentiel. Ainsi, on peut dire qu’ils sont réduits à une condition d’objet, ils ne sont plus considérés comme des personnes, ce qui est, une fois encore, criminel. (…)

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