La condamnation de l’ex président Lula va-t-elle bouleverser le jeu politique brésilien ? (Jean-Jacques Kourliandsky)
Alors qu’il était favori pour les prochaines élections présidentielles, l’ancien président brésilien a été condamné à neuf ans et demi de prison pour corruption et blanchiment d’argent. L’analyse de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS.
La condamnation de l’ancien président Lula représente-elle un coup de tonnerre au Brésil ?
Le mot est un peu fort car l’affaire a tout de même démarré il y a déjà trois ans, la décision du juge était donc attendue. Cela étant, la condamnation, elle, ne l’était certainement pas dans la mesure où si elle était confirmée en appel, elle interdirait à l’ancien président, favori des sondages, de se représenter aux élections présidentielles de l’année prochaine, comme il en avait l’intention. D’autre part, pour la première fois un ancien président du Brésil, si la condamnation est confirmée en appel, serait condamné pour corruption.
La décision du juge a créé de la jubilation chez les adversaires de Lula, tandis que ses amis ont exprimé leur sentiment de profonde injustice, pour une condamnation considérée comme politique à leurs yeux.
La condamnation de Lula peut-elle aggraver les tensions politiques et sociales dans le pays ?
Tout à fait, dans la mesure où l’interdiction éventuelle pour Lula de se représenter aux élections présidentielles – si la condamnation était confirmée en appel – bouleverserait le jeu politique l’année prochaine. En effet, Lula était en tête dans les sondages avec plus de 30% des intentions de vote. En face de lui, pratiquement personne n’était un véritable outsider. Aecio Neves, ex candidat des élections précédentes contre Dilma Rousseff est actuellement en difficultés devant la justice. Il a toutefois bénéficié d’un traitement de faveur de la part du tribunal fédéral qui a suspendu les poursuites dont il faisait l’objet. Quant au président intérimaire actuel, Michel Temer, il est sous le coup d’une demande destitution pour corruption ; la demande s’apprête à être soumise au vote du Parlement dans les prochaines semaines. L’ex président Lula apparaissait donc comme le candidat le mieux placé pour les prochaines élections. Sa mise à l’écart bouleverse la donne et, de fait, donne des cartes à ses opposants qui ont dès lors la possibilité – notamment dans la mesure où la quasi-totalité des médias est opposé au PT – d’essayer de fabriquer un candidat qui pourrait bénéficier de l’effacement de Lula par la justice.
Que révèle cette condamnation sur l’état de la corruption au Brésil ? Et face à cette situation, observe-t-on l’émergence d’alternatives politiques ?
La corruption au Brésil est systémique. En effet, le système brésilien fabrique de la corruption qui touche les partis politiques, les présidents, les membres du gouvernement, ainsi que le Parlement. Cette corruption a lieu presque par ‘nécessité’ compte-tenu du fait que la désignation et les prises de grandes décisions sont effectuées par le président après accord du Parlement. Or, le système électoral brésilien ne permet pas au président de bénéficier d’une majorité. Il est donc obligé – et cela de façon permanente – de négocier avec beaucoup de petits groupes pour prendre ses décisions afin de gouverner. Dès lors, cela facilite des marchandages de toutes sortes et ouvre ainsi la porte à un système structurellement générateur de corruption. Notons qu’il est très facile de montrer du doigt tel ou tel responsable politique mais pour être crédible, il faudrait les désigner tous. Or, le paradoxe est que pour l’instant, la justice brésilienne paraît être sélective dans la lutte contre la corruption en ne s’attaquant presque uniquement qu’au Parti des travailleurs. Face à une telle situation, une réforme de la vie politique est nécessaire. Le problème est que l’on ne peut pas attendre une telle initiative de la part des partis qui ont exercé le pouvoir, ni des majorités actuelles au Parlement, dans la mesure où ces acteurs bénéficient du système actuel. Aux dernières élections municipales, les options alternatives au PT, à l’opposition et au parti de Michel Temer (le PMDB), qui ont pu tirer leur épingle du jeu, sont notamment des candidats évangélistes. Par exemple, à Rio de Janeiro, le maire élu a été un évêque de l’Église universelle du royaume de Dieu. Par ailleurs, dans les sondages pour les prochaines élections présidentielles, le candidat arrivant derrière Lula est un ancien militaire de la dictature, qui ne cache pas sa sympathie ultra-conservatrice et militariste. Aujourd’hui, les options politiques alternatives apparaissent donc dissonantes et ne sont pour l’instant pas crédibles, qu’il s’agisse des évangélistes ou de l’extrême droite militariste.