L’Équateur en passe de signer un accord de libre échange « éclair » avec l’UE

Le 3ème cycle de négociations pour un accord de libre-échange entre l’Équateur et l’Union européenne s’est tenu à Bruxelles du 9 au 13 juin derniers. Les deux parties déclarent que l’accord pourrait être signé dès fin juillet 2014.

Les négociations consistent en réalité à rallier l’Équateur à l’accord déjà existant avec la Colombie et le Pérou, d’où la rapidité de la conclusion des négociations.

Il y a quatre ans, l’Équateur et la Bolivie ont décidé de se retirer des négociations pour un accord commercial entre les pays andins et l’UE, alors que le Pérou et la Colombie ont continué à négocier. L’un des arguments principaux du gouvernement équatorien tenait à ce que leur Constitution impose de ne négocier que des accords qui promeuvent le développement national et respectent les droits de la nature. Pour cette raison, le gouvernement ne pouvait négocier certains points de l’accord. Les inquiétudes du gouvernement équatorien étaient liées aux impacts de l’accord sur le droit de soutenir l’économie nationale et de subventionner des secteurs stratégiques et les Petites et Moyennes Entreprises, ainsi que la possibilité de protéger la biodiversité. Certains aspects de la négociation comme la clause du traitement national, les marchés publics, les exigences relatives aux procédures d’installation et à la propriété intellectuelle auraient entravé les politiques nationales de développement.

Bien que le mandat de la Commission européenne (CE) incluait le respect de la démocratie et du renforcement de l’intégration régionale dans la région andine, l’UE a imposé de poursuivre les négociations alors même que l’Équateur et la Bolivie avaient exprimé leurs inquiétudes sur la rapidité et le contenu de l’accord.

Ce processus, accompagné de la décision de la Colombie et du Pérou de négocier un autre accord de libre-échange (ALE) avec les États-Unis ont abouti à un affaiblissement de l’intégration régionale de la CAN (Communauté Andine des Nations) tout au long de ces dernières années, les accords avec des pays extérieurs à la CAN étant alors privilégiés aux dépens de la coopération régionale.

Après que l’accord avec la Colombie et le Pérou ait été signé, la CE a continué à ramener le gouvernement équatorien dans les négociations, en utilisant différents arguments. Dans le passé, la CE avait déjà utilisé l’accord sur les taxes concernant les bananes (principal produit d’exportation) comme outil de pression sur le gouvernement pour qu’il reprenne les négociations.

Mais c’est la récente réforme du Système Généralisé de Préférences (SPG) qui a ramené l’Équateur à la table des négociations. Compte tenu de cette réforme, le pays dont le revenu annuel par habitant est devenu supérieur à 4000$ ne bénéficiera plus de facilité d’accès au marché de l’UE. L’Équateur sera donc confronté, dès décembre 2014, à une augmentation des taxes à l’exportation vers l’UE. L’un des objectifs délibérés de la réforme du SPG est de pousser les pays en développement à accorder la réciprocité aux exportateurs de l’Union européenne, faute de quoi ils perdront leurs préférences (pourtant autorisées par les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce).

Le président Correa, qui avait résisté à l’UE en 2008 en invoquant la Constitution, se félicite aujourd’hui de la tournure des négociations, contre l’avis de la plus grande part de la société civile locale. Celle ci s’alarme en particulier des conséquences inévitables du nouvel accord.

La division internationale du travail actuelle, dont les ALE sont les instruments les plus efficaces aujourd’hui, a conduit à l’orientation de la production équatorienne vers l’export de matières premières et l’exploitation des ressources naturelles, et a engendré le déplacement de communautés de leurs territoires et la précarité des conditions de travail. Le nouvel accord va encore augmenter la pression sur la terre et les territoires via le développement de nouveaux projets économiques (miniers et agro-industriels notamment). Il ne fera qu’accroître les risques de disparition des peuples autochtones déjà en voie d’extinction pour nombre d’entre eux. Il violera le droit à la « consultation libre, préalable et éclairée » des peuples autochtones pour toute décision relative à leur territoire (article 6 de la Convention 169 de l’OIT), disposition déjà très faible et largement bafouée, et démontrera que ces dispositions pèsent bien peu face aux pressions des investisseurs étrangers.

Cet accord entrave également la liberté des gouvernements comme celui de l’Équateur de décider de leurs propres axes de développement pour le futur. Cet ALE, couplé aux accords bilatéraux d’investissements, forme l’architecture de l’impunité qui octroie plus de droits aux entreprises alors qu’elles renforcement les inégalités et violent les droits humains.

Dans le contexte mondial, la multiplication des accords avec un maximum de pays du sud s’inscrit dans le jeu concurrent que se livrent les plus grosses économies (y compris la Chine) pour accéder à de nouveaux marchés et pour accéder à des ressources naturelles à moindre coût. Cet accord s’inscrit dans la continuité de la politique commerciale et d’investissement mondial de la CE, présentée comme un instrument pour sortir de la crise, et qui octroie des droits aux multinationales alors que les peuples et l’environnement de part et d’autre de l’Atlantique en subiront les conséquences désastreuses.

C’est pourquoi, en tant qu’organisations de la société civile française, nous affirmons notre solidarité avec tous les mouvements sociaux et citoyens équatoriens qui s’emploient à exposer les conséquences potentielles de ce nouvel accord, et qui cherchent à faire valoir les droits des peuples face à ceux des investisseurs.

Nous appelons également le Président Correa à faire respecter les dispositions de la Constitution équatorienne prévoyant la consultation des peuples qui seront affectés par cet accord, en particulier les communautés autochtones.

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