Les Colombiens du monde entier manifestent pour dénoncer les crimes de l’armée (Guylaine Roujol Perez / Le Parisien)


Des rivières de sang. Lorsque le général Mario Montoya dirigeait l’armée entre 2006 et 2008, seuls comptaient les morts, selon les témoignages de militaires devant la justice dans le cadre du scandale d’État des Faux positifs, ces civils assassinés par l’armée puis déguisés en guérilleros tués au combat.

Des familles de victimes manifestent devant les bureaux de la JEP, la Justice transitionnelle pour la paix, à Bogotá, et demandent que cesse l’impunité.
AFP / Raul Arboleda 

À 72 ans, celui qui risquerait une peine de plus de 50 ans de prison par la justice ordinaire répond actuellement de ses actes devant la JEP (Juridiction spéciale pour la paix), justice transitionnelle mise en place après les accords avec les Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Il pourrait être condamné de 5 à 8 ans de privation de liberté en dehors du système pénitentiaire, en échange de sa contribution à la vérité.

Une vérité que des milliers de manifestants à travers le monde réclament à l’occasion de la journée internationale des victimes de disparitions forcées. Paris, Barcelone, Berlin, Buenos Aires, Londres, Rome, Vancouver, Milan, Santiago du Chili… Plus d’une dizaine de pays ont emboîté le pas à la performance réalisée ce lundi 30 août sur la place Bolivar à Bogotá, à l’initiative d’étudiants d’une trentaine d’universités colombiennes, pour que ces crimes ne tombent pas dans l’oubli.

Des innocents transformés en trophée de guerre

6 402 jeunes s’étendront sur la place principale de la capitale pour symboliser les disparus enlevés par ruse avant d’être exterminés et maquillés en combattants de groupes armés illégaux abattus par l’armée, pour gonfler les chiffres officiels de la lutte contre les guérillas durant les deux mandats d’Alvaro Uribe Vélez (droite), à la tête du pays entre 2002 et 2010. Détail troublant, ils porteront à l’envers des bottes en caoutchouc, celles que l’on utilise dans les campagnes du pays, comme un symbole de cette sombre période de l’histoire colombienne. En grimant à la hâte ces innocents assassinés, les militaires commettaient parfois de grossières erreurs, celle d’inverser la droite et la gauche en enfilant les bottes aux pieds de leur victime ou de les revêtir d’un uniforme trop petit ou sans impact de balle.

« Cette performance sera filmée et un documentaire est en préparation pour Netflix » a confié à notre journal Rafael Eduardo Orozco, écrivain co-organisateur de l’événement. En France, Nantes organise un rassemblement ce vendredi à 18 heures, Square Maquis de Saffré. À Paris, les manifestants se réuniront en musique au Champ-de-Mars ce dimanche à 15 heures. Précandidat à l’élection des représentants des Colombiens de l’étranger au Sénat, Edilberto Muñoz, de la Colombie Humaine, le parti de Gustavo Petro arrivé second aux dernières élections, sera des organisateurs, tout comme Diaspora en Paz, Ciudadanias por la paz et Teje, des associations de Colombiens en France.

« Tout est parti du choc qu’a ressenti une étudiante d’une université de Bogotá, lors d’un cours dédié à ce thème » a-t-il confié au Parisien. « Lorsque Rodolfo Orozco, son enseignant, a expliqué cette partie de l’histoire contemporaine que l’État a essayée par tous les moyens de camoufler, elle a eu l’idée de mettre en scène tous ces cadavres, pour faire réaliser la magnitude du crime de ces civils présentés comme des trophées de guerre dans une bataille jamais remportée. » L’idée a fait son chemin, jusqu’à gagner la diaspora qui se mobilise aussi pour informer au sujet de cette tragédie occulte.

« Diverses structures de l’État ont participé » à ces crimes

La JEP a identifié au moins 6 402 victimes entre 2002 et 2008, durant les deux mandats d’Alvaro Uribe Vélez, quand la « sécurité démocratique » qu’il avait imaginée visait par tous les moyens possibles d’exterminer les guérillas de gauche et de le faire savoir. « Un chiffre provisoire, car des milliers de disparus restent à identifier dans les fosses communes du pays », remarque une mère de Faux positif, une terminologie issue du jargon de l’armée dans lequel une cible atteinte est un positif. De fait, la mission des enquêteurs de cette juridiction de paix, qui n’en finissent pas d’exhumer des corps et de tenter de leur donner une identité et de remonter le fil de leur histoire, est colossale. (…)

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