🇧🇷 Lula en Chine – Quand climat et agrobusiness font bon ménage (François Polet / CETRI)


La visite de Lula en Chine a été l’occasion pour les deux pays d’officialiser leur coopération en matière climatique. La déclaration signée à cet effet réaffirme néanmoins l’importance du développement socioéconomique et place l’essentiel des responsabilités sur les pays développés. Par ailleurs, les déclarations d’intention en matière climatique tranchent avec les mesures concrètes prises pour fluidifier les exportations de produits agricoles brésiliens.

Le président de la République du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva, et le président de la République Populaire de Chine, Xi Jinping, le 14 avril 2023 (Photo : Ricardo Stuckert/PR)

La visite de Luiz Inácio « Lula » da Silva en Chine en avril dernier a été observée avec une certaine fébrilité par les pays occidentaux. Elle y a surtout été examinée sous l’angle de la recomposition des relations internationales dans le cadre de la guerre d’Ukraine et du rapport de force Pékin-Washington. On a surtout retenu les sorties les plus géopolitiques du président brésilien : son appui au plan de paix chinois, sa critique du rôle des États-Unis dans la guerre russo-ukrainienne, sa volonté de s’émanciper commercialement du dollar et son aspiration à un « partenariat géopolitique avec la Chine » en faveur d’une « nouvelle gouvernance internationale ».

Nettement moins commenté a été le volet climatique de la rencontre. Côté brésilien, l’accent mis sur cet enjeu s’inscrit dans une succession de démarches de la part de Lula visant à faire oublier la parenthèse Bolsonaro, désastreuse sur ce plan notamment [1], et à signer le retour du Brésil dans la diplomatie environnementale. C’est à cette fin qu’en novembre 2022, avant même son entrée en fonction, le président élu s’était rendu à la COP 27 de Charm-el-Cheikh. Il y avait annoncé que la déforestation de l’Amazonie serait réduite à zéro à l’horizon 2030 – un engagement particulièrement apprécié par les pays occidentaux – et proposé que la COP 30 se tienne au Brésil, dans la région amazonienne, en 2025.

Une déclaration tournée vers les responsabilités occidentales

La « déclaration conjointe Brésil-Chine sur la lutte contre le changement climatique » signée le 14 avril est destinée à positionner les deux pays conjointement sur cet enjeu majeur des relations internationales. Son examen est intéressant en ce qu’il fait ressortir certaines caractéristiques de l’approche chère aux grands pays émergents en matière de réchauffement climatique. Tout d’abord, le document rappelle que la communauté scientifique a démontré de manière « indiscutable » (unequivocal) que l’activité humaine modifie le système climatique global et réaffirme l’objectif de l’accord de Paris de stabiliser le climat « bien en dessous » des 2 degrés par rapport aux niveaux préindustriels. Ce réengagement est loin d’être anodin dans la mesure où, même s’il a perdu tout crédit en Europe occidentale, le climato-scepticisme continue à imprégner une partie des classes politiques de beaucoup de pays ailleurs dans le monde. De ce point de vue, Bolsonaro comme Trump ne constituent pas des anomalies autant qu’on ne le pense.

Le document souligne aussi l’importance du cadre multilatéral au sein duquel la diplomatie climatique doit continuer à se développer, soit la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique. Dans la nouvelle ère de polarisation géopolitique, cette réaffirmation de la primauté des mécanismes de dialogue intergouvernementaux inclusifs a toute son importance. Les deux pays insistent ensuite sur un principe cher aux pays en développement depuis la Convention de Rio : la gouvernance climatique mondiale doit être fondée sur l’équité et le « principe de responsabilités communes, mais différenciées et de capacités respectives, en fonction des circonstances nationales dans le contexte du développement durable, du Droit inaliénable au Développement et des efforts pour éradiquer la pauvreté et la faim ». Chaque mot compte dans ce long passage, et renvoie à des préoccupations chères aux pays du Sud depuis les débuts de la diplomatie climatique. [2]

Pour rappel, les pays en développement ont longtemps été suspicieux vis-à-vis de l’agenda environnemental poussé par les Occidentaux. La pollution apparaissait aux élites du Tiers-monde comme un faux problème par rapport aux défis de la pauvreté et de la faim, comme la première ministre indienne le rappela dans un discours fameux lors la première conférence mondiale sur l’environnement en 1972. Ce n’est donc qu’à la condition que la protection de l’environnement n’empiète pas sur leurs objectifs de développement social et économique que les pays du Sud ont graduellement accepté de s’engager dans ces cadres internationaux. Le concept de « développement durable » adopté lors du Sommet de Rio en 1992 illustre bien ce compromis Nord-Sud : protéger l’environnement, oui, mais sans pour autant freiner le développement. Les mentions du « Droit inaliénable au Développement » et de l’éradication de la pauvreté et de la faim ont la même fonction.

La deuxième condition historique à l’engagement des pays du Sud dans le régime environnemental a été la reconnaissance du principe de « responsabilités communes, mais différenciées et capacités respectives », adopté à Rio également, qui prévoit qu’une distinction soit faite entre pays développés et en développement en matière de contribution à la lutte contre le changement climatique, du fait que les premiers ont une plus grande responsabilité historique en matière d’émission de gaz à effet de serre et ont davantage de ressources. C’est en vertu de ce principe qu’aucun objectif contraignant n’avait été prévu pour les pays en développement dans le protocole de Kyoto adopté en 1997. Le maintien de la Chine et des gros émergents dans ce régime de faveur après 2012 a fait l’objet de vifs débats avec les pays occidentaux au cours des années 2000, alors que les émissions du géant asiatique explosaient. L’ajout à Paris en 2015 de la formule « en fonction des circonstances nationales » a constitué une solution de compromis.

La déclaration sino-brésilienne accorde dès lors une place centrale aux devoirs des pays développés, au nom de leurs « responsabilités historiques » – quand bien même la Chine représente aujourd’hui 33% des émissions mondiales (ce que le document ne mentionne évidemment pas). Il est donc demandé aux premiers d’impulser la mise à l’échelle des actions climatiques, en atteignant la neutralité climatique avant 2050 et en fournissant un soutien « adéquat et prévisible » au pays en développement, sous la forme de finance climatique, mais aussi d’accès aux technologies et aux marchés pour garantir le développement durable. Sur le plan financier, le Brésil et la Chine ont beau jeu de mettre en exergue les écarts abyssaux entre ce que les pays développés ont promis en 2009 – soit 100 milliards de dollars par an dès 2020 -, ce qu’ils transfèrent effectivement – soit beaucoup moins – et ce que la transition des pays en développement demande réellement – soit plusieurs milliers de milliards de dollars. [3]

La mention du « rejet de l’unilatéralisme et des barrières commerciales vertes » renvoie aux énormes enjeux commerciaux et technologiques associés à la mutation des systèmes énergétiques dans le monde. Sont implicitement ciblées les mesures prises par les administrations Trump puis Biden pour pénaliser les technologies chinoises et/ou soutenir des filières de technologie verte états-uniennes. [4] De même, certaines normes environnementales et climatiques adoptées par les Européens pour verdir leur consommation dans le cadre du Green Deal sont, selon les émergents, conçues de manière à « imposer leur régulation au monde » et privilégier les productions européennes au détriment des exportateurs étrangers. [5] La Chine, qui est jusqu’à présent la principale gagnante commerciale de la conversion européenne aux technologies vertes, craint surtout les effets du mécanisme européen « d’ajustement carbone aux frontières » [6], qui pourrait entraîner une perte de compétitivité d’une partie de sa production industrielle sur le marché européen. [7] Quant aux Brésiliens, ce sont les critères de durabilité « contraignants et applicables » [8] sur leurs exportations agricoles dans le cadre de l’accord UE-Mercosur qu’ils estiment être motivés par un protectionnisme agricole qui ne dit pas son nom.

Une bonne moitié de la déclaration Chine-Brésil sur la coopération climatique renvoie donc à ce que ces deux pays attendent des pays occidentaux dans la lutte contre le réchauffement. En revanche, selon plusieurs militants environnementalistes brésiliens, les engagements des deux pays signataires en matière de coopération verte demeurent « vagues ». [9] Ceux-ci visent à développer la coopération dans de nouveaux domaines (conservation et gestion durable des forêts, smart cities, recherche et développement en technologie verte, mobilité électrique, finance verte), à lutter contre la déforestation illégale et à se coordonner plus structurellement à travers la création d’une sous-commission « climat et environnement » au sein de la commission sino-brésilienne de haut niveau de concertation et coopération.

L’expansion de l’élevage bovin compatible avec le climat ?

Si l’on ne peut préjuger des retombées à moyen et long terme de ces engagements mutuels en matière climatique, beaucoup plus concrètes ont été les étapes franchies en vue de faciliter l’écoulement des produits agricoles brésiliens sur le marché chinois. « La Chine est le grand moteur de l’agro-industrie brésilienne » a rappelé le président brésilien à la presse chinoise lors de sa visite. De fait, le poids lourd asiatique est le principal acheteur de six des dix principales exportations agricoles du géant sud-américain. Et notamment de viande bovine et de soja, dont les expansions sont le principal facteur de déforestation.

C’est d’ailleurs accompagné d’une délégation de près de quatre-vingt-dix entrepreneurs du secteur de l’agrobusiness que le ministre de l’agriculture Carlos Fávaro [10] avait fait le déplacement trois semaines plus tôt. [11] Sa principale préoccupation était de négocier la fin de l’embargo chinois sur la viande brésilienne, décidé le mois précédent suite à la détection d’un cas de vache folle. Le ministre a également profité de sa visite pour lancer un groupe de travail pour le développement d’un système de certification pour les produits animaux d’origine animale. L’enjeu est d’améliorer la sûreté sanitaire et de fluidifier le processus d’importation dans la perspective d’une augmentation des volumes. Les Chinois ont bien le droit de consommer de la viande de qualité, mais les environnementalistes brésiliens regrettent que la certification ignore les aspects environnementaux de cette production carnée.

Si la majorité du bœuf brésilien exporté vers la Chine ne provient pas de zones récemment déforestées [12], les dernières usines frigorifiques accréditées par les autorités chinoises en 2019, (avant une pause de quatre ans liée à la pandémie) étaient situées dans l’État amazonien du Para. [13] Les engagements internationaux du président brésilien en faveur de la protection de la forêt amazonienne permettront-ils d’inverser cette tendance ? (…)

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