La lutte farouche des Noirs brésiliens contre le racisme environnemental (Gaspard d’Allens / Reporterre)


« Les multinationales s’installent chez nous car elles savent qu’elles peuvent agir en toute impunité », enrage une Brésilienne noire. Au Brésil comme ailleurs, les populations racisées subissent de plein fouet un « racisme environnemental ». Asphyxiés par les pollutions, expropriés de leurs terres ancestrales et méprisés par les pouvoirs en place : au Brésil, des millions d’indigènes et de descendants d’esclaves subissent de plein fouet la crise écologique.

Eliete Paraguassu da Conceição lors de la COP26 le 6 novembre 2021. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Ils et elles donnent un nom à cette injustice : le « racisme environnemental ». Le concept peine encore à émerger en France mais s’est répandu comme une traînée de poudre outre-Atlantique.

Dans le cadre d’une tournée en Europe pour dénoncer ces violences, une délégation noire brésilienne — des femmes en majorité — est passée par Paris. Lors d’une soirée au Centre international de culture populaire, elles ont insisté : il n’y aura pas de transformation écologique réelle sans la prise en compte des fondations racistes et coloniales de nos sociétés. Selon elles, l’indifférence des dirigeants face au changement climatique s’explique aussi par la couleur de peau de ses principales victimes.

Debout, droites et fières, le poing levé, elles ont confié à Reporterre leurs histoires. Toutes ont pour point de départ le « racismo ambiental ». Le racisme environnemental, c’est le fait de considérer certains groupes sociaux racisés comme des citoyens de seconde zone pouvant être sacrifiés, d’autant que les lieux où ils vivent sont souvent convoités pour leurs ressources naturelles. La conséquence ? Les non-Blancs sont plus exposés aux risques environnementaux [1].

L’histoire d’Eliete Paraguassu da Conceição, membre de la délégation brésilienne, l’illustre bien. Elle habite sur l’île de Maré, dans la baie de Salvador. Depuis plusieurs années, le mode de vie de sa communauté de pêcheurs artisanaux est mis en péril par le développement d’un des plus grands sites industriels du pays, le port d’Aratù, avec ses raffineries, ses usines… et ses fuites toxiques. La multinationale étasunienne Dow Chemical a bâti une usine d’engrais chimiques et l’entreprise de BTP brésilienne Oderbrecht a construit une immense cimenterie.

Le port d’Aratù, dans l’État de Bahia, avec ses raffineries, ses usines et ses fuites toxiques. Flickr / CC BY-NC-SA 2.0 / Mídia NINJA

Le nombre de poissons et de crustacés a diminué drastiquement. La barrière de corail a disparu. Les gens ont commencé à tomber malades, intoxiqués aux métaux lourds. Plus d’une centaine d’enfants ont eu des cancers. On compte des dizaines de morts. La petite-fille d’Eliete a également été emportée. Les autorités minimisent la gravité de la situation sanitaire, malgré les manifestations.

« Ces raffineries sont des monstres qui nous tuent lentement. C’est une pollution invisible qui nous ronge », raconte Eliete à Reporterre. Depuis sept mois, elle dit avoir arrêté de pêcher car des entrepreneurs la menacent de mort. « La lutte est inégale mais nous n’avons pas d’autre choix que de continuer à protester. Nous étions ici avant Petrobras [la compagnie pétrolière brésilienne], Dow Chemical et Oderbrecht, ce n’est pas nous qui devons nous enfuir, ce sont eux qui doivent partir. Nous ne partirons jamais », affirme-t-elle.

Un quilombo assiégé par les propriétaires fonciers

Sandra Pereira Braga, elle, est agricultrice dans l’État du Goiás au centre du pays. Elle vit dans un « quilombo », une communauté noire rurale dont les lointains ancêtres sont des esclaves affranchis ayant fui les plantations. Aujourd’hui, 3 000 personnes habitent ce territoire de 4 200 hectares. Elles y pratiquent l’agriculture familiale. « C’est une réserve agroécologique, nous n’utilisons ni pesticide ni produit chimique », dit Sandra. « Dans ce quilombo, nous ne parlons pas d’environnement comme de quelque chose extérieur à nous. La Terre n’est pas séparée de notre vie. Nous la cultivons en même temps que nous la chérissons. Nous buvons l’eau du fleuve. Nous utilisons les plantes pour nous soigner. Nous ne sommes pas coupés du reste du vivant. »

Mais le quilombo est aujourd’hui menacé, assiégé par les grands propriétaires fonciers, l’appétit des industries minières et le passage d’un gazoduc. « Nous vivons dans un îlot de résistance. Autour, les multinationales plantent des monocultures d’eucalyptus pour faire de la compensation carbone [2]. Des firmes agro-industrielles font pousser du soja transgénique et des bûcherons pillent la ressource forestière en toute illégalité. Ils violent notre terre. Combien de temps pourrons-nous encore tenir ? » (…)

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