🇦🇷 🇪🇸 Madrid. Quand la présence de Javier Milei fonctionne comme point d’appui à «une alliance globale entre les patriotes», avec ses soubassements économiques et politiques (Gerardo Pisarello/ traduction À l’Encontre)


Javier Milei est le dernier agitateur de la nouvelle vague réactionnaire qui déferle sur le monde. Il n’est ni un catholique national, ni un néo-franquiste traditionnel comme Santiago Abascal [dirigeant de Vox] ou José Maria Aznar [président du gouvernement espagnol de mai 1996 à avril 2004, puis président d’honneur du Parti populaire jusqu’en 2016]. Milei n’est pas non plus un Bolsonaro ou un Trump, bien qu’il leur ressemble.

Santiago Abascal (Vox) et Javier Milei, le 19 mai 2024 à Madrid

Il est violent et provocateur dans la forme. Il insulte ses adversaires en brandissant une tronçonneuse comme symbole de son programme et prend les allures d’un groupie des Rolling Stones ou des Sex Pistols. Ce n’est pas un militaire, comme Bolsonaro [président du Brésil de janvier 2019 à janvier 2023]. Il n’est pas non plus milliardaire comme Trump. Et c’est précisément pour cette raison que son message prétendument «libertarien» est capable de toucher des secteurs sociaux moyens et inférieurs que les autres ultra-droitiers ont du mal à atteindre. Autrement dit, des personnes craintives qui se sentent seules au milieu d’un capitalisme vorace qui n’offre que précarité et incertitude. Des personnes qui éprouvent un ressentiment croissant à l’égard des politiques «traditionnelles», «progressistes» ou prétendument «populaires», et qui n’ont pas trouvé de solution à leurs problèmes les plus urgents.

Dans le cas de Milei, ce qui est intéressant, c’est que ces formes disruptives, apparemment «anti-castes», canalisent un programme économique élitiste manifeste au service des castes capitalistes les plus extractivistes et rentières. Et c’est ce que représente Milei. Un néolibéralisme qui promet de liquider le secteur public et de laminer sans ménagement les droits des classes travailleuses, des secteurs formels ou informels. La «liberté», dans ce schéma, c’est l’exaltation de l’individu qui se passe des liens sociaux, qui est prêt à vendre ses organes plutôt que d’adhérer à un syndicat pour défendre ses droits de travailleur. Une phase supérieure et fanatique du thatchérisme, lancée à partir d’un pays semi-périphérique dans l’économie mondiale.

Ce radicalisme de Milei le rend particulièrement séduisant aux yeux de l’extrême droite occidentale. De l’extrême droite et de certaines droites qui se veulent libérales mais qui ne reculent pas devant le débouché néo-fasciste qu’un discours et un projet comme les siens pourraient avoir. Ce n’est pas pour rien que Milei est l’homme de l’ultra-droite argentine, mais il est aussi l’homme du soi-disant plus «libéral» Mauricio Macri [président de l’Argentine de décembre 2015 à décembre 2019], qui lui fournit des techniciens, ainsi qu’un soutien politique et entrepreneurial. Ce n’est pas non plus sans raison que Milei entretient des liens étroits avec Abascal, mais aussi avec José María Aznar, qui n’a pas hésité à lui rendre visite en Argentine.

En effet, aussi bien Abascal qu’Aznar sont conscients du rôle clé que peut jouer un homme comme Milei dans l’internationale réactionnaire qui unit la droite occidentale radicalisée. En raison du radicalisme de son néo-thatchérisme. En raison de son anticommunisme, de son antisocialisme et de son opposition viscérale à toute structuration socio-collective. Et aussi à cause des opportunités d’affaires qu’un président comme Milei peut offrir au capital le plus extractiviste et rentier avec lequel la droite espagnole a un lien privilégié.

Paradoxalement, ce néolibéralisme débridé prôné par Milei est quelque peu anachronique dans un monde marqué par une dé-mondialisation où les grandes puissances défendent à nouveau des formes de protectionnisme et d’intervention dans l’économie. En effet, on imagine mal Trump, Marine Le Pen ou Giorgia Meloni souscrire à nombre des délires «libertariens» de Milei, qui ont déjà conduit en Argentine à un effondrement de l’industrie et à la faillite de centaines de petites et moyennes entreprises.Il n’en va pas de même pour Vox ou le PP. Tous deux font partie de la droite européenne la plus soumise au capital financier et spéculatif étranger, ce qui n’est pas une raison de moins pour applaudir avec enthousiasme à chaque rugissement de la tronçonneuse mileiste.

Quiconque lit attentivement le communiqué officiel publié par la présidence argentine en réponse à la provocation irréfléchie du ministre du PSOE, Óscar Puente [il a suggéré que Milei se droguait], pourrait l’attribuer, sans aucune intention conspiratrice, à un scribe de Vox ou de la FAES présidé par Aznar [fondation privée – Fundación para el Análisis y los Estudios Sociales – censée combattre «la dérive centriste» de Mariano Rajoy du PP, président du gouvernement de 2011 à 2018]. Le document, en effet, est un condensé littéral des grands clichés de la droite radicalisée espagnole: le recours aux mensonges et aux insultes gratuites pour accuser leurs adversaires progressistes ou républicains; la criminalisation des migrants pauvres, dans le but de diviser et d’attaquer les classes laborieuses; la stigmatisation des milliers de Basques, Catalans, Galiciens, qui ne votent pas pour eux et ne partagent pas leur nationalisme espagnol rance et uniformisant; la qualification de toute mesure de redistribution, aussi timide soit-elle, de «politiques socialistes qui n’apportent que des promesses et la mort ».

Et face à cela, la porte est ouverte à la réaction violente. Celle-ci peut utiliser des métaphores comme la tronçonneuse, mais elle s’exprime aussi dans la misogynie de Milei, dans ses attaques contre les acquis des mouvements féministes ou LGTBI ou dans son éloge éhonté d’expériences dictatoriales comme celle de Jorge Rafael Videla [dictateur ayant «présidé» l’Argentine de mars 1976 à mars 1981] et de ses sbires. Ici, la négation par Milei des crimes de la dictature argentine rejoint clairement le refus de Vox et du PP de condamner le franquisme. Entre autres raisons, c’est le signe qu’ils ne sont pas prêts à renoncer à leurs méthodes répressives parce qu’ils n’excluent pas de les utiliser si les circonstances les y obligent.Il est vrai que la proximité avec quelqu’un comme Milei à la veille des élections européennes met mal à l’aise certains secteurs du PP qui voudraient apparaître comme «libéraux» ou «pro-européens». Mais nombreux sont ceux qui, ouvertement ou de manière voilée, apprécient les avantages d’un rapprochement avec un leader avec lequel ils partagent des affinités géopolitiques essentielles.

L’une des premières décisions de Milei, lorsqu’il est devenu président, a été d’éloigner l’Argentine du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Contrairement à d’autres gouvernements latino-américains tels que ceux de Gustavo Petro (Colombie), Lula (Brésil) ou Manuel López Obrador (Mexique), Milei a assumé un alignement absolu sur les États-Unis. Et ce n’est pas tout. Afin de renforcer certaines alliances commerciales en Argentine, Milei a dramatisé son rapprochement avec le judaïsme et a décidé de soutenir la politique criminelle de Netanyahou à Gaza.

Là encore, les affinités avec Abascal et le PP le plus pro-Aznar sont évidentes. Formellement, Milei est signataire de la Charte de Madrid (Carta de Madrid) promue par la Fundación Disenso, de Vox en 2020. Il y apparaît aux côtés de personnalités telles que le dirigeant chilien d’extrême droite José Kast, Eduardo Bolsonaro, fils de l’ancien président, et Giorgia Meloni elle-même. Cela ne l’empêche pas d’entretenir de bonnes relations avec la Fundación para la Libertad, présidée depuis 2002 par le marquis de Vargas Llosa [titre acquis en 2011, couronné aussi par la Fondation Schmidheiny] et dont sont membres Aznar, Macri et d’autres anciens présidents latino-américains tels que Felipe Calderón du Mexique [de 2006 à 2012] et Iván Duque de Colombie [de 2018 à 2022]. (…)

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