🇧🇷 La «mata atlântica», l’autre forêt dévastée du Brésil (Jean-Baptiste Bonaventure / Slate)


Moins connue que sa voisine d’Amazonie, la forêt atlantique est tout aussi menacée par la déforestation, sans que son sort ne parvienne à mobiliser autant.

La mata atlântica selon la frontière définie par le WWF. | NASA et Miguelrangeljr via Wikimedia Commons

Un plan aérien du fleuve Amazone qui sinue à travers la canopée. Un jaguar allongé sur une branche, deux de ses pattes se balançant nonchalamment dans le vide. Le chef Raoni entouré d’enfants, sa bouche ornée d’un labret rituel délivrant des appels à l’aide.

D’immenses troncs d’arbres qui cèdent sous les dents de tronçonneuses rugissantes, avant d’être chargés sur de grands camions. Des flammes qui emportent des milliers d’hectares de végétation inexplorée ou presque.

La forêt qui cache la forêt

Ces images de la forêt amazonienne, nous les connaissons tous, elles appartiennent depuis longtemps à notre conscience collective. Elles sont profondément implantées dans les cerveaux de tous les êtres humains ayant eu accès à la télévision ou à internet au cours des dernières décennies.

Grâce à elles, plus personne n’ignore aujourd’hui la menace que la déforestation légale et illégale de la forêt amazonienne fait peser sur ses splendeurs, ses habitants et sa biodiversité. Sans parler du risque écologique global que représenterait le fait de perdre ce qu’on appelle un peu facilement «le poumon vert de la planète».

Si cette médiatisation n’a pas empêché Jair Bolsonaro de faire doubler le niveau de déforestation durant les quatre ans de son mandat présidentiel, elle occulte parfois le destin tragique d’une autre forêt d’importance capitale pour la biodiversité: la mata atlântica, la forêt atlantique.

«La forêt atlantique est un ensemble d’éco-régions très vaste qui recouvre toute la côte sud-est du Brésil, jusqu’à l’est du Paraguay et le nord de l’Argentine», décrit Daniel Vallauri, expert forêt pour le World Wildlife Fund for Nature (WWF).


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Un territoire immense qui s’étendait autrefois sur plus de 1,29 million de kilomètres carrés mais dont la surface s’est dramatiquement réduite au fil des siècles: «Les analyses les plus pessimistes considèrent qu’il n’en reste qu’environ 11% qui soient bien conservés et 28% pour les plus optimistes. Ce sont donc au moins les deux tiers de cette forêt qui ont été dégradés, utilisés pour construire des villes, pour l’exploitation agricole, ou qui sont victimes d’un surpâturage qui a profondément abîmé les sols», ajoute le chercheur.

Un réservoir de biodiversité unique au monde

Contrairement à ce qui se fait dans la zone amazonienne dont les défenseurs essaient de protéger l’intégrité, l’enjeu consiste ici à préserver ce qu’il reste, soit des zones très fragmentées, des «petits patchs de forêt», qu’il faudrait relier entre elles. Certaines espèces, comme le jaguar, ont besoin de circuler sur de grandes aires pour survivre.

«C’est un hotspot de la biodiversité mondiale puisqu’on y trouve environ 7% des plantes et environ 5% des vertébrés de la planète. Elle possède surtout un endémisme extrêmement élevé, ce qui signifie que lorsqu’une espèce y disparaît, elle disparaît pour le monde entier, pas uniquement dans cette zone», poursuit Daniel Vallauri.

Une analyse que confirme Joannès Guillemot, spécialiste en écophysiologie au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad): «C’est un biome unique de par ses caractéristiques. Cette forêt a été isolée par les glaciations et par les sécheresses de la forêt amazonienne, ce qui explique son fort taux d’espèces endémiques, qui n’existent que là. Le niveau de diversité spécifique, c’est-à-dire le nombre d’espèces différentes par hectare est au moins équivalent à celui de l’Amazonie, voire supérieur dans certaines zones. On parle de 400 espèces par hectare contre peut-être 5 dans une forêt tempérée en Europe.»

Ainsi, selon le site du WWF, au moins 6.000 espèces endémiques peuplent la mata atlântica, dont 160 sont des mammifères, 263 des amphibiens et 1.500 des plantes vasculaires.

Un territoire dégradé depuis cinq siècles

Au plan de la biodiversité, l’exceptionnelle importance de la forêt atlantique n’est donc pas un débat, c’est un fait incontestable. Comment expliquer alors que son sort soit si peu médiatisé? Que personne ou presque en Europe n’ait entendu son nom malgré la publication annuelle des fameux «terrains de football» qui disparaissent en Amazonie?

Première piste: sa position géographique. «La zone historique de la forêt atlantique abrite les mégapoles brésiliennes qui sont le fruit du colonialisme et de l’insertion du Brésil dans l’économie mondiale. Elles ont d’abord été des ports, ou se sont développées à côté de ports, servant à exporter les ressources naturelles vers le reste du monde. C’est autour de ces ports que se sont concentrés, par effet de sédimentation, tous les pouvoirs, économiques, politiques, bancaires et industriels du pays», décrit Christophe Ventura, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et auteur de Géopolitique de l’Amérique latine (Eyrolles, 2022).

Située sur la côte où ont débarqué les conquistadors au XVe siècle, la mata atlântica a commencé à être dégradée beaucoup plus tôt que sa voisine. Bois, cacao, café et autres, ce biome a fait les frais de toutes les exploitations grâce auxquelles le Brésil s’est développé, en servant les besoins des pays les plus riches, qu’ils soient européens ou nord-américains.

Plus tard, ce sont l’élevage extensif, le soja ou encore l’eucalyptus qui prennent le relais, toujours à destination de grandes puissances, anciennes, nouvelles ou émergentes. Pour Joannès Guillemot, cette dégradation et cette exploitation très précoces pourraient être à l’origine du manque d’intérêt populaire pour la forêt atlantique. «Elle n’apparaît plus aux gens comme un joyau à protéger, cela fait trop longtemps qu’ils la connaissent ainsi, dégradée», explique le chercheur du Cirad.

Et pour cause: «Depuis des siècles, elle fournit des services écosystémiques comme l’apport de bois, de fruits, la purification de l’eau, etc. à une très importante population. On estime que près de 130 millions de Brésiliens et de Brésiliennes et environ 35% de la population sud-américaine vivent actuellement dans ce qu’était le biome à son origine.» (…)

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Sur ce sujet, voir également : Le droit des peuples indiens au Brésil (entretien avec un représentant du peuple Pataxó et un responsable du Conseil indigéniste missionnaire du Brésil par Christophe Ventura / vidéo IRIS)