Mexique : une caravane « pour l’eau, pour la vie et contre le pillage capitaliste » sillonne le pays et ses luttes (reportage / Lundi Matin)


Depuis 3 semaines, une caravane « pour l’eau, pour la vie et contre le pillage capitaliste » parcourt les routes mexicaines à la rencontre d’une multitude de luttes. Nous partageons quelques bribes de cette traversée folle d’un pays où la violence, fruit d’années de politique néolibérale, est omniprésente, mais dans lequel les résistances à l’ordre capitaliste foisonnent malgré tout.

Récit et focus sur quelques unes des luttes rencontrées, ainsi que les enjeux politiques auxquels se confrontent cette initiative.


L’appel à la constitution de cette caravane a été lancé suite à des rencontres contre les méga-projets rassemblant diverses organisations indigènes qui se sont déroulées en janvier dernier.
Le programme est ambitieux. : parcourir neuf états pendant 34 jours. Il s’agit certainement de la plus importante mobilisation des bases de l’autonomie au Mexique depuis la pandémie, si l’on met de côté la manifestation massive et éclair du dimanche 13 mars de quelques dizaines de milliers de zapatistes au Chiapas.

L’Altepelmacalli: dégager Danone et s’organiser

Le départ de la caravane pour l’eau, pour la vie et contre le pillage capitaliste s’est tenu le 22 mars, journée mondiale de l’eau sur un terrain de foot faisant face à l’usine d’embouteillage d’eau de source de l’entreprise Bonafont, filiale de Danone. L’usine longtemps occupée, symbole de l’accaparement de l’eau, est encore actuellement à l’arrêt grâce à la résistance acharnée de la population locale. Elle devait servir de base de départ à la caravane. L’expulsion survenue le 15 février dernier, n’a pas réussi à entraver les plans du groupe issu de l’occupation et à l’origine de l’appel à la caravane. Car le lieu a bel et bien été l’incubateur de ce mouvement notamment grâce aux nombreuses énergies qu’il a attiré pendant l’année durant laquelle il a été squatté et les mois précédents la prise de l’usine.

Retour sur cette lutte qui a permis de faire stopper la production puis de transformer l’usine en « maison des peuples » ou Altepelmecalli en langue Nahuatl.

Depuis des années la colère grandissait dans cette région située à l’est de Puebla, la 4ème plus grande ville du pays, avec une aire urbaine de près de 2 millions d’habitants. Les pentes du volcan Popocatépetl desquelles coulent et abondent une eau pure attirent au début des années 90 les convoitises d’entrepreneurs locaux.

L’installation de l’usine se fait en 1992. À l’époque, la concession est offerte à une petite entreprise « Arcoiris » après une série de manœuvres du gouverneur local qui sont un bel exemple des pratiques politico-mafieuses bien rodées. Il lui a tout d’abord fallu évincer un maire qui refusait d’accorder le permis pour creuser le puits. Puisque ce dernier ne cédait pas aux menaces sur sa personne, c’est via une pratique d’achat de votes qu’il réussit à s’en défaire. La consultation publique qui suivit présenta le projet comme un centre de loisirs aquatique qui profiterait à la population locale. Finalement l’autorisation a été accordée pour un usage agricole du forage, afin de contourner des réglementations plus contraignantes.

En 1994, Danone rachète les installations via sa filiale mexicaine, Bonafont, omniprésente sur le marché des « garrafons », ces bidons de 20L qui sont la seule façon de s’approvisionner en eau potable dans l’ensemble des villes du pays.

Dès les premières années de mise en service de l’usine, les communautés voisines, constatent la baisse du niveau de leur puits. Bientôt ils s’assèchent complètement malgré les tentatives répétées de les creuser plus profonds. Les habitants se trouvent contraints à faire appel à des camions citernes afin de remplir les réservoirs de leur maison.

Au fur et à mesure que les années passent, la zone des communautés affectées s’étend. Des manifestations ont lieu en 2008 et en 2010 et les alliances commencent à s’établir. En 2019, un petit groupe de militants commence à recenser le nombre de semi-remorques qui sortent de l’usine et prennent des photos pour les publier sur les réseaux sociaux. Isaac commente « A ce moment là, on commence à sentir que les conditions sont réunies, l’indignation est de plus en plus grande. Alors on appelle à une réunion dans la maison d’un ami, on imagine être une quinzaine ou une vingtaine. Et là ce sont 150 personnes qui déboulent. Ce soir là, on décide d’un calendrier de réunions dans différents villages alentours pour mettre en place un plan d’action concerté avec les communautés ».

Un processus de structuration du mouvement se met en place. Les choses avancent vite dans une région où les traditions assembléistes indigènes sont encore vives et qui peut s’adosser à un passé de luttes et d’organisation politique.

Dès 1963, une union des villages s’était mise en place pour défendre les petits producteurs de lait contre la promulgation d’une loi au bénéfice des grandes entreprises cherchant à mettre la main sur le circuit d’approvisionnement. Une alliance avec le mouvement étudiant permit d’obtenir la démission du gouverneur de l’époque. En 1998, c’est la lutte contre le gazoduc qui rassemble les villages, en 2007, celle contre la privatisation de l’eau, dans les années 2010, l’opposition à une ligne haute tension ou celle contre les rejets toxiques dans le fleuve.

Dans les vingt villages qui font partie du front « villages unis de la région Choluteca » des réunions convoquées de bouche à oreille s’organisent. Puis, une fois qu’un soutien suffisant est assuré, des assemblées publiques sont convoquées. Dans les villages s’étant déclarés « indigènes », la constitution mexicaine, à travers son article n°2, reconnaît le droit à l’autodétermination des peuples et donc reconnaît les prises de décisions issues des assemblées. C’est donc au sein de ces assemblées qu’est débattu et voté la fermeture de l’usine. Des actes administratifs sont tamponnés par les autorités indigènes pour faire valoir la décision prise. La loi du peuple doit maintenant s’appliquer.

La date du 22 mars 2021, déclarée journée mondiale de l’eau par l’ONU est retenue : « pas tant parce qu’elle fait sens pour nous, continue Isaac, mais parce qu’on sait très bien que les entrepreneurs qui pillent la ressource et les politicards qui les soutiennent, font une grande fête ce jour là, toutes les institutions mettent cette date en avant. On voulait faire un coup symbolique pour leur ruiner la fête. On imaginait mettre en place un piquet et on pensait qu’il durerait 2 ou 3 jours. Des jours précieux pour organiser la suite. »

Or les jours suivants, le piquet qui s’est installé devant le seul accès poids lourd tient le coup. Des énormes pierres sont amenées pour bloquer l’accès et gagner du temps en cas de tentative d’expulsion. Tout un côté de la route, un des principaux axes d’entrée à Puebla est bloqué. Une véritable vie prend forme sous les bâches tendues : tours de garde, cantines permanentes, ateliers, festival culturel. De l’autre côté des grilles, les vigiles surveillent 24/24h les installations. Les représentants du gouvernement et ceux de Danone sont accueillis lorsqu’ils tentent une visite et la porte du dialogue est laissée ouverte par les occupants à condition que les discussions se fassent, publiquement, en assemblée et ici même sur le piquet. Ils n’ont pas donné suite. Les semaines et les mois passent. Plus une goutte ne sort de la Bonafont. Mais le forage à l’intérieur, lui, est toujours intact.

Que faut-il en faire ? De nouvelles assemblées sont convoquées dans les villages. La réponse ne tarde pas à revenir : il faut mettre le puits hors d’état de nuire.

Un procès public est organisé devant la Bonafont, le 8 août, journée anniversaire du général Zapata. L’entreprise et le gouvernement local sont convoqués. Bien sûr, personne d’entre eux ne vient. Des représentants de chacun des 20 villages prennent la parole pour faire état des dommages causés par la surexploitation de l’eau dans la région. À la clôture du procès, 300 à 400 personnes masquées s’emparent des installations en expulsant vigiles et flics débordés, les caméras sont détruites, le site barricadé et le forage est saboté de sorte qu’il ne puisse plus jamais être remis en fonctionnement. « Et maintenant on fait quoi ? On organise des tours de garde et on se met au boulot pour construire tout ça ».

À partir de cette date, les activités à l’intérieur de l’usine prennent un rythme quotidien et se structurent autour de cinq pôles : agroécologie, communication (création d’un petit studio TV), santé, éducation (école communautaire), droits des femmes et coopératives de production. Tout cela avec en ligne de mire la construction de l’autonomie. Le lieu squatté est une véritable fourmilière. Les soutiens affluent de différents coins du pays aussi bien que du voisinage proche. Le brassage décuple les énergies. Afin d’éloigner les menaces, des alliances se tissent, l’idée de la caravane prend forme. Elle est proposée auprès du CNI, le Congrès National Indigène qui dans le sillage de l’EZLN et depuis 25 ans, offre une caisse de résonance aux luttes des peuples indigènes du Mexique 

La communauté otomi qui elle, occupe les bâtiments de l’Institut National des Peuples Indigènes (INPI) à Mexico répond présente, aide et construit la proposition, coude à coude, avec l’Altepelmecalli. Le programme se construit via ce tissu préexistant. La première date sera donc le 22 mars 2022, pour célébrer la première année de la fermeture de l’usine.

À peine un mois avant cette date, le 15 février, en pleine nuit, à 1h 20 du matin, 400 éléments des différentes forces de répression, (police municipale, celle de l’état de Puebla, celle fédérales, ainsi que des forces spéciales, de la garde nationale et de la police militaire) prennent d’assaut l’Altepelmecalli. Les occupants sont mis en joue par une vingtaine de policiers équipés d’armes automatiques. Le coup est rude mais la détermination reste intacte. La caravane est maintenue. (…)

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