🇺🇸 🇵🇦 Le néo-annexionnisme de Donald Trump : doctrine Monroe ou doctrine Panamá ? (Jean-Jacques Kourliandsky / Fondation Jean Jaurès)


Une fois de plus, le territoire américain fait office de terrain d’essai d’une diplomatie étasunienne unilatérale, interventionniste et brutale. Au Panamá et ailleurs, la prétention de l’administration Trump sur un ensemble hétérogène de territoires, certains non américains, pose la question d’un renouvellement de la doctrine utilisée par les États-Unis : de la fameuse doctrine Monroe, est-on passée à une doctrine Panamá ?

Photo : DR

Jean-Jacques Kourliandsky, directeur de l’Observatoire de l’Amérique latine et des Caraïbes de la Fondation, analyse comment les enjeux actuels autour du territoire panaméen s’inscrivent dans une logique commune à ceux du Groenland, de Gaza et de Kiev.

Le 20 janvier 2025, à peine assis dans le fauteuil présidentiel, Donald Trump a fait preuve d’un appétit territorial que personne n’attendait, en invitant le Canada, le Groenland et le Panamá à rejoindre les États-Unis. « La Chine », déclare-t-il au sujet du Panama, « gère le canal […], alors que nous ne lui avons pas donné […] C’est au Panamá que nous l’avons donné, et nous allons le récupérer ». Le 28 janvier 2025, introduisant un débat devant la Commission maritime de la Chambre haute, destiné à relayer le propos présidentiel, le sénateur républicain Ted Cruz a mis brutalement les points sur les « i » : « Les États-Unis ont payé et construit le canal de Panamá […] Cependant le gouvernement panaméen a une attitude injuste pour nos intérêts et tend à céder le contrôle de cette infrastructure à la Chine1 ». Les missi dominici du président ont, dans le droit fil de ces propos, débarqué à Panamá-Ville. Les 2 et 3 février 2025, Marco Rubio, secrétaire d’État, effectuait au Panamá sa première visite de travail à l’étranger. Le 19 février suivant, il était suivi par l’amiral Alvin Hosley, chef du Commandement sud des forces armées des États-Unis. Les deux responsables ont rencontré les plus hautes autorités du pays pour, selon l’ambassade nord-américaine, « étudier comment protéger le canal et ses environs de l’influence et du contrôle du Parti communiste chinois » et « parler […] de collaboration afin de mettre un terme à la migration illégale2 ».

Afin de clarifier les motivations de cette insolite ouverture de mandat, dans l’urgence, plusieurs observateurs de la vie nord-américaine ont dépoussiéré la doctrine Monroe, recours géopolitique d’usage à chaque dévissage impérial des États-Unis. Mais ce concept est-il le plus pertinent pour comprendre la revendication de Donald Trump ?

Trump et la Doctrine Monroe, une explication anachronique

Quelle était l’intention du président James Monroe qui, le 2 décembre 1823, s’adressant aux congressistes de son pays, avait revendiqué une Amérique aux Américains ? Pour bien en saisir le sens, il convient de comprendre le vocabulaire et de le contextualiser. En 1823, l’Amérique n’est pas encore synonyme des États-Unis de 2025. L’inflexion sémantique impériale viendra plus tard avec le président Theodore Roosevelt (1901-1909), qui a imposé unilatéralement la captation par son pays d’un mot désignant un continent. Ce n’était pas encore le cas en 1823. Les États-Unis sont alors, avec Haïti, les seuls pays indépendants du « Nouveau Monde », les Amériques étant alors sous influence européenne. En 1814, Washington est occupée et incendiée par le Royaume-Uni. L’Espagne, encouragée par le concert européen, tente encore à ce moment-là de reconquérir son empire américain. La France n’a pas renoncé à Saint-Domingue. La doctrine Monroe a donc une prétention défensive continentale. Nouvellement souverains, les anciennes dépendances de l’Espagne, réunies en congrès au Panama en 1826, affichent une même aspiration.

Le corollaire à la doctrine Monroe, ajouté par Théodore Roosevelt en 1903, un siècle plus tard, est quant à lui impérial. Il autorise unilatéralement les États-Unis, baptisés Amérique, à intervenir sur le continent. Il déguise cette faculté exceptionnelle derrière une réserve justificative. L’intervention sera de plein droit lorsqu’un État aura manqué à ses devoirs internationaux, en particulier lorsqu’il n’aura pas honoré une dette contractée avec les États-Unis, le manquement à l’ordre international étant sanctionné « à son regret », de façon unilatérale, par la Maison-Blanche. En 2002, le président George W. Bush ajoute à cette logique interventionniste en autorisant son pays à prendre des sanctions préventives, de toute sorte, y compris militaires, à l’égard d’un autre État, au cas où la sécurité des États-Unis serait menacée3.

Ce catalogue d’éthique internationale ajusté aux intérêts des États-Unis a permis de justifier un nombre important d’interventions extérieures. Certaines de ces interventions étaient fondées sur la doctrine Monroe, afin d’aller à l’encontre de la permanence ou du retour d’une puissance européenne sur le continent américain. En 1898, les États-Unis ont ainsi mené une guerre contre l’Espagne afin d’expulser la puissance de Cuba et Porto Rico. En 1954, au Guatemala, Washington a facilité un coup d’État militaire pour chasser le président élu Jacobo Árbenz Guzmán, suspecté de sympathies avec la Russie soviétique. Qu’elles soient directes ou indirectes, diverses interventions tombent sous le coup d’un élargissement idéologique de la doctrine Monroe : à Cuba en 1961, en République dominicaine en 1964, au Chili en 1973, au Nicaragua de 1979 à 1989, à Grenade en 1983. D’autres expéditions de plus ou moins longue durée ont reposé sur le corollaire Roosevelt à la doctrine Monroe, dans les premières décennies du XXe siècle, en Haïti, au Nicaragua et en République dominicaine, ces pays étant en défaut de remboursement d’une dette à l’égard des États-Unis4

D’autres observateurs ont rattaché le discours international offensif de Donald Trump à la doctrine de la « destinée manifeste », revendiquée au milieu du XIXe siècle pour légitimer l’annexion de la moitié du territoire mexicain. Quelles que soient la solidité et la qualité éthique de l’argumentaire trumpiste, discutable et discuté, on doit effectivement lui reconnaître une prétention morale incontestable. Pourtant, bien que brièvement évoqués par Donald Trump, président aux principes évanescents, peu soucieux de la rigueur doctrinale, ni les logiques héritées de la doctrine Monroe ni le concept de « destinée manifeste » ne suffisent à légitimer le catalogue de revendications territoriales affiché le 20 janvier 2025.

La doctrine Panamá-Wall Street de Donald Trump

Dès le début de son mandat, l’appétit territorial affiché par Donald Trump ne repose sur aucune justification juridique ou éthique, mais semble avant tout dicté par une nécessité économique primaire, dénuée de considérations morales. Appelons-la « doctrine Panama » puisque le canal, revendiqué à plusieurs reprises par Donald Trump en 2025, est à l’origine obtenu par un traité inégal imposé en 1903 par son lointain prédécesseur, Theodore Roosevelt. En 2006, cette qualification de la main mise nord-américaine de 1903 est lapidairement résumée en opération « Wall Street » par l’avocat panaméen Ovidio Diaz Espino5. On peut lui attribuer, après le coup de menton annexionniste de Donald Trump, l’appellation de doctrine Panamá-Wall Street. Cette doctrine, bien que non identifiée comme telle par son artisan, est plus pertinente. Elle a en effet fait l’objet de revendications répétées un mois avant sa prise de fonction et a été réitérée le 20 janvier 2025, premier jour de son mandat. De façon inattendue, le Panamá a été le premier pays visité par la diplomatie des États-Unis. (…)

(…) Lire la suite de l’article ici