🇳🇮 Nicaragua. Pire qu’Ortega, l’opposition à Ortega ? (Bernard Duterme / CETRI)


« Plusieurs figures de l’opposition nicaraguayenne – d’anciens candidats empêchés à l’élection présidentielle, souvent présentés par les instituts de sondage comme recueillant l’assentiment d’une majorité de Nicaraguayens – affichent résolument des positions d’ultra-droite. Comme en témoignent – exemple désastreux parmi d’autres – ces applaudissements appuyés et argumentés à l’adresse de Javier Milei, le nouveau président argentin entré en fonction en décembre dernier, dont le logiciel politique, aussi incohérent qu’extrême, outrepasse celui de ses référents Trump et Bolsonaro.» L’analyse de Bernard Duterme, directeur du CETRI – Centre tricontinental.

Par Jorge Mejía Peralta / Flickr CC

En se réjouissant publiquement de l’élection à la présidence de l’Argentine du libertarien d’ultra-droite Javier Milei, les principales figures de l’opposition nicaraguayenne se sont définitivement discréditées. Et, dans le même mouvement, elles ont conforté comme jamais le récit d’autolégitimation du régime ortéguiste.

Rappel des épisodes précédents, pour celles et ceux qui n’ont plus entendu parler du Nicaragua depuis des lustres. Années 1980, la révolution « sandiniste » – du nom de Sandino, héros nicaraguayen tué en 1934 pour s’être opposé à la mainmise des États-Unis sur ce petit pays d’Amérique centrale – est en marche. À sa tête, le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) qui a réussi à renverser la dictature dynastique des Somoza (1934-1979). Au programme, récupération en souveraineté nationale, campagnes massives d’alphabétisation et de vaccination, réforme agraire et justice sociale. Mais aussi, hélas, guerre à la « contre-révolution », la « Contra », ce mouvement, essentiellement paysan, armé par le président yankee, Ronald Reagan, pour stopper « le péril communiste » qui, à ses yeux, menace toute la région, « l’arrière-cour » (patio trasero) de l’Amérique du Nord.

Le Nicaragua, présidé par le commandant Daniel Ortega, est alors un phare pour une génération d’« internationalistes » du monde entier, d’Europe en particulier, de Belgique donc, d’où débarquent à rythme cadencé des « brigadistes », des syndicalistes, des militant·es de toutes les organisations progressistes – dont le « tiers-mondiste » Centre tricontinental (CETRI) bien entendu –, solidaires de cette expérience grandeur nature, sous les tropiques, de libération nationale et d’émancipation sociale. Le 25 avril 1990 toutefois, dos au mur, les sandinistes quittent le pouvoir au terme d’élections faussées par la promesse états-unienne d’arrêter la guerre – et donc, au Nicaragua même, les pénuries, l’hyperinflation, les politiques d’austérité, le « service militaire patriotique » obligatoire, les morts… – en cas de victoire de l’opposition au FSLN.

Dans la foulée, de 1990 à 2006, trois administrations néolibérales de l’État nicaraguayen vont se succéder, en bonne intelligence avec les fédérations patronales nationales, la toujours très influente Église catholique, le Fonds monétaire international et… Washington. Les politologues parlent alors de « normalisation démocratique » de l’Amérique centrale, pour nommer ce double processus concomitant (ou presque) de libéralisation politique et économique. Certes, les « externalités négatives », sociales et environnementales, de la dynamique vont affecter durablement les sociétés centro-américaines. Et les taux d’inégalité, de violence et d’émigration, repartir à la hausse. Mais les guerres contre les révolutionnaires nicaraguayens, salvadoriens, guatémaltèques… ont expiré.

Entretemps, dans les coulisses et les structures affidées, avec le butin emporté au sortir du gouvernement, Daniel Ortega et ses proches opèrent – graduellement mais résolument – une confiscation clanique du FSLN. Objectif assumé : en faire un instrument de reconquête du pouvoir, quel que soit le prix éthique et idéologique à payer. Déçus ou déchus par leur líder máximo qui se succède à lui-même au fil des scrutins internes, « la toute grande majorité des intellectuels et des mandataires politiques sandinistes des années 1980 ont quitté le parti durant ces années-là », reconnaîtra en 2017 Orlando Núñez, l’une des rares figures révolutionnaires à être restées fidèles à « Daniel ». [1]

Et pour cause. L’opportuniste Ortega et sa femme Rosario Murillo (vice-présidente putative du Nicaragua dès 2007 et officielle depuis 2017) ne reculeront devant aucun pacte contre nature, aucune conciliation douteuse, aucune compromission licite ou illicite, aucun arrangement constitutionnel pour remporter les élections présidentielles de fin 2006 (avec 38% des votes valides [2]), reprendre la tête de l’État et s’y installer. De renoncements en voltefaces pour s’arroger les faveurs du très conservateur cardinal Obando y Bravo, surnommé à raison « le faiseur de présidents », le nouveau couple régnant va aussi pactiser avec l’élite financière du pays, en se partageant officiellement le pilotage du « modelo de diálogo y consenso » au mieux de leurs intérêts réciproques. Ortega lui-même expliquera, en juillet 2018, qu’aucune des 128 principales décisions économiques prises entre 2007 et 2018 ne l’a été sans l’approbation de la très libérale fédération patronale nicaraguayenne, le COSEP. [3]

Bref, sur le plan politique, le clan Ortega va très vite bétonner son hégémonie, en concentrant et exerçant l’ensemble des pouvoirs – exécutif, législatif, judiciaire, etc. – à partir de son vaste complexe résidentiel familial (« El Carmen ») sis au centre de la capitale, tout en confiant à un Conseil suprême électoral (CSE) aux ordres, le soin d’organiser périodiquement des simulacres d’élections dont les résultats, chaque fois plus favorables, absolutisent son emprise. [4] Sur le plan économique, le couple Ortega – Murillo va gouverner à droite toute, au moins jusqu’à son divorce en 2018-2019 d’avec une partie du patronat nicaraguayen, dont il finira par « illégaliser » l’organisation faîtière, le COSEP, en 2023. Pour autant, les félicitations annuelles du FMI à l’endroit de la gouvernance ortéguiste ne faibliront pas, jusqu’à aujourd’hui. (…)

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