Nous devons savoir « qui est au pouvoir » (Autres Brésils/ traduction Philippe Adon)

Un homme passe devant une peinture murale de Marielle Franco, à Rio de Janeiro.

La réduction au silence de la personne clé pour élucider les crimes, pouvant être liés au clan Bolsonaro, vient exacerber la question la plus dangereuse de la République. La chronique d’Eliane Brum, sur El País, dont elle a autorisé la traduction.

700 jours après l’assassinat de Marielle Franco, la nouvelle de la semaine n’est pas l’élucidation du crime mais celle de l’assassinat de la personne clé pour élucider le crime.L’exécution de Marielle, conseillère municipale de Rio de Janeiro et militante des droits de l’homme, a marqué le moment du franchissement d’une limite au Brésil. Le fait que l’on n’ait pas précisé jusqu’à aujourd’hui, près de deux ans plus tard, qui était le commanditaire du crime et la raison pour laquelle elle a été assassinée, démontre l’incapacité croissante et de plus en plus dangereuse des institutions à protéger la démocratie dans le pays. Le fait qu’Adriano da Nóbrega soit réduit au silence ce dimanche 9 février, que cela soit prémédité ou non, démontre que le Brésil est un pays où les frontières entre le droit et le crime ont été brouillées à un niveau sans précédent. Nous ne savons pas qui est au gouvernement. Et nous devons le savoir.

Même si les faits sont déjà connus de la majeure partie de la population, nous devons les réaffirmer. Adriano da Nóbrega aurait pu clarifier le système d’emplois fictifs, c’est-à-dire de détournement des salaires des fonctionnaires du cabinet du représentant de l’État de l’époque, Flávio Bolsonaro, aujourd’hui sénateur et fils du président Jair Bolsonaro. Il aurait pu clarifier la nature profonde des relations entre la famille Bolsonaro et la milice de Rio de Janeiro. Il aurait pu aider à clarifier le meurtre de Marielle Franco

Il aurait pu mais il ne le pourra plus. Il a été assassiné lors de soi-disant échanges de tirs durant une intervention conjointe de la police militaire de Bahia et de la police civile de Rio de Janeiro. Des dizaines de policiers entraînés semblent avoir été incapables d’appréhender, dans une maison isolée, une personne considérée comme essentielle à l’élucidation des crimes qui hantent la République. Ils ont juste été capables de le tuer. Selon Paulo Emílio Catta Preta, avocat du défunt, Adriano aurait affirmé quelques jours auparavant que si la police le retrouvait, elle l’éliminerait : “destruction de témoin”. Lorsqu’il a été assassiné, il se cachait chez un conseiller du Parti Social Libéral, parti auquel, encore tout récemment, le président et son fils appartenaient.

Qui était Adriano da Nóbrega ?

Ancien capitaine de la BOPE, l’élite de la police militaire de Rio, Adriano était en fuite depuis un an, soupçonné de diriger la milice Rio das Pedras, la plus ancienne de Rio, ainsi que le Bureau du crime, un groupe de tueurs à gages. Composé de policiers et d’anciens policiers civils et militaires, le Bureau du crime est lié aux enquêtes sur l’exécution de Marielle Franco. Adriano avait déjà été arrêté trois fois, pour meurtre et tentative de meurtre, puis relâché. Sa femme et sa mère travaillaient au sein du cabinet de Flávio Bolsonaro jusqu’en novembre 2018.

Adriano était proche de Fabrício Queiroz, soupçonné de commander le système d’emplois fictifs au profit de Flávio Bolsonaro et d’être impliqué dans la milice de Rio das Pedras. Queiroz, pour sa part, n’était pas un simple employé, mais un ami personnel de Jair Bolsonaro depuis les années 1980. Il était également officier de police militaire à la retraite. Un chèque de Queiroz, d’un montant de 24 mille réaux, a été déposé sur le compte de la première dame, Michelle Bolsonaro.

L’homme qui a été tué était soutenu publiquement par la famille Bolsonaro dans l’exercice de ses mandats de parlementaires. En tant que membre du Congrès, Flávio avait remis en 2005, au policier d’alors, la médaille Tiradentes, plus haute distinction de l’Assemblée législative de Rio. À cette époque, Adriano purgeait une peine de prison pour le meurtre d’un gardien de voiture qui avait dénoncé des officiers de police. C’était la deuxième fois que le fils aîné du président honorait le policier militaire. Toujours en 2005, Jair Bolsonaro, alors député fédéral, avait fait un discours à la Chambre des représentants, défendant Adriano et protestant contre sa condamnation pour meurtre. Selon le Ministère Public de Rio, les comptes d’Adriano ont été utilisés par Queiroz pour transférer l’argent du système d’emplois fictifs du cabinet de Flávio Bolsonaro.

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