🇨🇱 L’Orchestre de jeunes de La Pintana, un modèle d’émancipation venu des barrios du Chili (Nadège Dubessay / L’Humanité)


L’Orchestre de jeunes de La Pintana, composé de jeunes issus des barrios de cette ville pauvre du Chili, a fait le voyage en France pour jouer leur musique, découvrir une culture et échanger avec des orchestres qui, comme Divertimento, se donnent pour objectif de casser les déterminismes sociaux.

L’orchestre de chambre s’est produit sur la scène du conservatoire Maurice-Ravel à Paris le 24 novembre, après un passage à la Maison de l’Amérique latine. @Julien Jaulin/hanslucas

Évoquez La Pintana au Chili, et on vous racontera des histoires sordides. Dans cette province de 190 000 habitants du sud de Santiago, la plus pauvre des environs, on a beau apercevoir l’imposante et emblématique cordillère des Andes, les touristes ne s’aventurent guère. La violence y est omniprésente, entre trafics de drogue et assassinats. Seuls quelques entreprises agricoles, de minuscules maisons à la suite les unes des autres et des bâtiments à l’abandon percent l’horizon d’une avenue sans fin.

Il faut marcher quatre kilomètres avant de rejoindre le premier métro et supporter deux heures de bus pour aller travailler dans la capitale. La ville de La Pintana, pionnière dans le développement durable, est pourtant devenue l’exemple du recyclage au Chili. Mais pas que.

C’est dans ce décor qu’en 2013 le clarinettiste et chef d’orchestre Fernando Saavedra ose penser la musique comme moyen d’expression, d’expérimentation et d’épanouissement. Surtout, ici, l’Orchestre de jeunes de La Pintana permettra de franchir des barrières qui semblaient alors infranchissables. Le musicien, régulièrement invité à se produire avec divers orchestres et ensembles de chambre, promet aux gosses de ce barrio, condamnés pour beaucoup à l’isolement, une véritable invitation au rêve.

Dix ans plus tard, les gamins sont devenus de jeunes adultes. Et on les retrouve… à Paris. Ils étaient 24, de 18 à 26 ans, à découvrir la capitale, en novembre dernier. Une tournée où ils se sont produits, ont visité les monuments et musées emblématiques, mais aussi et surtout établi des liens de coopération franco-chilienne avec d’autres orchestres à vocation sociale, comme Démos, Divertimento ou encore l’Orchestre à l’école.

Un voyage orchestré en France par l’association Apertio, qui, convaincue que la démocratisation culturelle représente un vrai levier d’intégration sociale, se donne comme objectif de rapprocher des artistes européens et latino-américains. Cela tombe bien. La maire de La Pintana, Claudia Pizarro, partage les mêmes valeurs. « Elle mène une politique sociale axée sur la culture comme moyen de faire sortir les gens de leur misère », précise Diego Pérez de Arce, président d’Apertio.

Lui, rencontré au cœur de Paris juste avant le concert donné par l’Orchestre de La Pintana à la Maison de l’Amérique latine, arbore un large sourire. Il y a de quoi. Monter un tel projet n’a pas été une mince affaire. « Il existe des liens entre l’ambassade du Chili en France et les activités culturelles initiées par la municipalité de La Pintana, explique-t-il. Apertio s’est chargé de toute la production. » Et la suite semble prometteuse. « Nous espérons avoir enclenché des moyens de coopération entre les deux pays. »

Histoire de pérenniser une aventure qui repose, pour beaucoup, sur l’ineffable volonté du chef d’orchestre de La Pintana. « Notre orchestre a grandi, se félicite Fernando Saavedra. Il a rencontré beaucoup de difficultés, mais a aussi connu de très belles choses. Aujourd’hui, son niveau est excellent, quasi professionnel. » Il ne se lasse pas d’expliquer combien la musique inspire les plus belles valeurs comme « la compassion mutuelle » et « l’empathie ». Des bases solides pour « construire une société ».

Historiquement, ce mouvement des orchestres d’enfants et de jeunes prend vie au Chili en 1964, grâce à l’énergie du chef d’orchestre et compositeur Jorge Peña Hen. L’aventure s’arrête tragiquement lorsque l’artiste est exécuté en 1973 sous la dictature militaire du général Augusto Pinochet. Trois professeurs de musique de l’équipe de Peña Hen, exilés au Venezuela, reproduisent alors le modèle chilien qui servira de base au programme public musical El Sistema. « Il aura fallu beaucoup de temps, en 2001, pour revoir cette expérience au Chili, explique Fernando Saavedra. Aujourd’hui, le pays compte 500 orchestres inspirés de celui de Jorge Peña Hen. »

À l’orchestre de La Pintana, neuf élèves étudient la musique à titre professionnel. Les autres poursuivent des études dans des matières et environnements très divers. Ils sont dans des écoles d’ingénieurs, de mathématiques, de programmation, de pédagogie, d’administration publique, d’odontologie… Tous gardent ce désir profond de cultiver la musique. Celle qui a, en quelque sorte, bouleversé leur vie. Ayelen Loncon, 20 ans, violoncelliste, y a même rencontré l’amour. « Mon compagnon fait partie de l’orchestre », sourit la jeune femme, qui entame des études de vétérinaire. Elle avoue d’emblée que son premier coup de foudre reste pour le violoncelle. « Dès l’instant où j’ai entendu le son de cet instrument que je ne connaissais pas avant d’entrer dans l’orchestre, j’ai vibré », se souvient-elle.

Pratiquer la musique au sein de l’orchestre lui a permis de « sortir de cette honte » qu’elle avait intériorisée, de prendre confiance, étapes indispensables pour désormais pouvoir se projeter dans sa vie de jeune femme. Pour l’instant, c’est Paris qu’elle découvre. L’enthousiasme est palpable. « C’est la première fois que je sors de mon pays ». De tout ce qu’elle a visité, elle retient le musée du Louvre, « très impressionnant ». Kevin Alarcón, contrebasse, approuve d’un hochement de tête. Le jeune homme de 25 ans suit des études d’ingénieur civil des mines et a incorporé l’orchestre il y a huit ans, grâce à son grand frère qui en faisait alors partie. « Depuis toujours, j’aime la musique, dit-il. C’était un rêve. » (…)

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