🇨🇴 Quelle est l’origine de Francia Márquez, la vice-présidente noire de Colombie ? (François Badaire / France Info – Martinique)
C’est dans sa communauté d’origine, La Toma dans le département du Cauca, qu’elle a fait ses premiers pas de militante, en défendant son territoire contre les grandes compagnies minières.Une lutte à la fois écologique, féministe, et pour la préservation d’une terre que ses ancêtres lui ont transmise pour vivre libre et dans la dignité. Mais ce territoire est aujourd’hui menacé par un danger plus grave encore.
Le 7 août 2022, lorsque Francia Márquez prête serment comme première Vice-Présidente noire de Colombie, elle ne jure pas seulement devant le peuple colombien. Face à Gustavo Petro, premier président de gauche de Colombie, elle déclare, main droite levée : “Je jure aussi devant mes ancêtres, hommes et femmes, jusqu’à ce que la dignité devienne une habitude“. En envoyant ce message dans l’au-delà à ses aïeuls, à ceux de sa lignée, elle perpétue une tradition proprement africaine, jadis rappelée par l’ancien Président guinéen Sékou Touré : “nous, Africains, nous croyons fermement que les morts continuent vivants à nos côtés, nous sommes des sociétés de morts et de vivants”.
Lorsqu’on l’interroge sur le sens de son arrivée à ce niveau de pouvoir, jamais atteint par une femme noire colombienne, elle répond : “ma présence ici représente selon moi la continuité d’une lutte historique menée par les peuples afro-descendants pour la dignité, pour récupérer la dignité, pour récupérer la liberté, dont ils ont été privés à un moment donné. C’est la lutte historique de mes grands-pères et grands-mères, qui ont perdu les lignes de leurs doigts en travaillant dans les mines et les habitations esclavagistes. Et la lutte de ceux qui ont toujours rêvé de dignité, de justice sociale pour les paysans, pour les peuples indigènes et les Afro-descendants.“
Pour mieux comprendre qui est Francia Márquez, il faut donc se rendre sur la terre de ses ancêtres, précisément le municipe de Suarez dans le département du Cauca. Le village où elle a grandi, La Toma, se situe sur les contreforts de la Cordillera occidentale, là où, au tout début de la colonisation, les Espagnols ont amené les premiers esclaves venus d’Afrique pour travailler dans les mines d’or.
L’activité minière s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui dans cette commune, reconnue comme territoire afrocolombien et administrée par un conseil communautaire selon le droit coutumier. Lisifrey Ararat nous fait visiter une de ces mines d’or artisanales, exploitées par les habitants de La Toma. Personnalité locale, très proche de Francia Márquez, il est aussi la mémoire vivante du lieu: “l’activité minière remonte à 1636, lorsque les premières familles d’esclaves ont été amenées ici, depuis Cartagena, en remontant le fleuve Cauca. Elles ne devaient pas être arrivées depuis bien longtemps sur le continent américain car elles ont gardé des noms d’origine africaine : Ocoro, Carabali, Ararat, Lucumi, Mandinga, Balanta…“
Pendant plus d’un siècle, les mines ainsi que les esclaves qui servent de main-d’œuvre, sont exploités par les Jésuites. “La responsabilité de l’Église dans ce processus d’esclavage est indubitable“, reconnaît-il. Après l’expulsion de la congrégation en 1767, les mines reviennent à de grandes familles espagnoles, qui les gardent jusqu’à l’Indépendance, et même au-delà. Les Noirs, qui ont participé à l’action du Libertador Simon Bolivar, n’ont pas été récompensés pour leurs sacrifices.
“On a combattu pour la liberté de ce pays en nous disant que l’on obtiendrait la liberté, mais ce fut un mensonge” constate Lisifrey Ararat. Qu’est-ce qui s’est passé ? Les mines sont restées entre les mains des familles Granadina, Payané, et nous, nous sommes restés en esclavage. C’est alors que les anciens du village ont décidé que pour survivre en tant que peuple et maintenir notre culture, il fallait racheter ces mines, et c’est ce qui s’est passé.“
Les habitants de La Toma mettront seize années, après l’abolition de l’esclavage en 1851, pour réunir 350 000 pesos or et racheter les mines à leurs propriétaires.
Comme le rappelle Francia Márquez, “on a aboli l’esclavage, mais on nous a laissés là en nous disant : vous êtes libres, débrouillez-vous. On a même indemnisé les esclavagistes, mais pas les esclaves”.
Une égalité formelle qui a conduit à une inégalité réelle et qu’elle dénonce aujourd’hui.
Des trous dans la montagne à la recherche du minerai à la batée
Lisifrey Ararat nous conduit au fond d’un vallon, où apparaît une de ces mines d’or qui ont fait le bonheur et le malheur de la région. Après leur rachat, elles ont été réparties par familles, puis transmises de génération en génération.
Elles sont aujourd’hui gérées collectivement, c’est-à-dire que chaque membre de la famille y travaille à tour de rôle et les bénéfices sont partagés. Ce sont de simples trous dans la montagne, où l’on recherche le minerai à la batée, selon une méthode qui a fait ses preuves depuis la nuit des temps, appelée ici “ancestrale”.
Le but recherché est d’apporter un complément à l’activité agricole
En faisant tourner l’eau et le sable mélangés dans un récipient circulaire, la boue est évacuée et les métaux les plus lourds restent au fond. Avec un peu de chance et beaucoup de persévérance, quelques brindilles d’or peuvent luire à l’intérieur.
Au fil des ans, les mineurs ont développé une technique artisanale qui leur économise du temps et de la force. La batée est remplacée par un cylindre qui tourne sur lui-même, alimenté par un petit moteur. L’eau mélangée à la boue se déverse ensuite sur un tapis qui retient les particules de métal.
Les chercheurs d’or n’utilisent pas de mercure. La technique a peu d’impact sur l’environnement. Elle est parfaitement adaptée aux besoins de la communauté car ici, le but recherché n’est pas d’accumuler des richesses mais d’apporter un complément à l’activité agricole. On alterne le travail à la mine et le travail des champs. (…)
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