🇵🇾 Paraguay: au procès du «Fouet», la dictature Stroessner tardivement revisitée (Journal du Québec / AFP)
Ils l’appelaient «le Fouet», car c’était son outil favori lorsqu’il «interrogeait», ou corrigeait, les détenus. Aujourd’hui à 87 ans, l’ancien policier Eusebio Torres est jugé pour tortures à Asuncion, une rare fenêtre ouverte par la justice du Paraguay sur la longue dictature d’Alfredo Stroessner (1954-1989).
Sur l’écran des ordinateurs installés dans la salle d’audience, Eusebio Torres est un vieux monsieur au visage fatigué, mais plutôt fermé, qui assiste sans dire mot à l’audience qui se déroule de manière virtuelle, assis dans ce qu’on devine être son séjour.
Un calme qui tranche avec son attitude il y a quarante-sept ans, telle que la rapportent les témoins… «Il m’a ordonné de me déshabiller et, avec son fouet tressé en cuir, il a commencé à me frapper avec force, avec rage, comme si j’avais donné un coup de pied à sa mère… Un des impacts m’a éclaté un œil».
Carlos Arestivo, qui porte depuis un œil de verre, est l’un d’une vingtaine de témoins entendus depuis une semaine à Asunción au procès de Torres, pour deux cas de torture remontant à 1976. Que l’accusé nie. Des témoins eux-mêmes âgés, frêles, mais pour qui ce procès est «un événement de grande importance, parce que très peu de policiers et hiérarques de la dictature Stroessner ont été condamnés», explique à l’AFP l’un d’eux, Antonio Valenzuela Pecci. «C’est un désir de justice qui nous anime, pas de vengeance».
Le «Stronisme» toujours là
La dictature du général Stroessner a laissé en trente-cinq ans un bilan de cinquante-neuf exécutions extra-judiciaires, 336 disparus, près de 20 000 détentions illégales, et quelque 19 000 cas de torture. Soit, à l’échelle du Paraguay, «un habitant sur 133», soulignait la Commission Vérité et Justice dans son rapport de 2008.
Pour autant, les poursuites post-dictature ont été rarissimes, ne concernant qu’une dizaine de policiers pour torture). Quant à Stroessner, condamné par contumace, il est mort sans être inquiété en 2006 à 93 ans, depuis son exil doré au Brésil.
«Cette justice n’en est pas une. Le “Stronisme” (de Stroessner) n’est jamais parti de ce pays. Tous ces personnages qui ont commis des crimes contre l’humanité continuent d’être protégés», gronde Guillermina Kanonnikoff, 70 ans, persuadée que «ce type (Torres) sait parfaitement ce qu’ils ont fait des disparus de 1976». Une année marquée par des arrestations en masse, au plus fort de «l’Opération Condor», un plan de coordination entre les dictatures d’Amérique latine contre les guérillas ou mouvements de gauche.
Le Parti Colorado (conservateur), auquel appartenait le dictateur, continue de dominer la vie politique paraguayenne. L’actuel président Santiago Peña en est issu, comme son prédécesseur Mario Abdo Benitez (2018-2023), fils de l’ancien influent secrétaire particulier de Stroessner.
Torres, qui en 2007 a déjà été condamné -mais placé en détention à domicile à cause de son âge- s’était même vu honoré en 2014, avec d’autres policiers, pour un demi-siècle de carrière. Cérémonie qui avait fait scandale sous la présidence d’Horacio Cartes (2013-2018). Qui préside à ce jour encore le Parti Colorado. (…)
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