🇵🇪 Au Pérou, les femmes andines victimes d’une féroce répression (Maïlys Khider / Basta)


Une contestation partie des campagnes agite le Pérou depuis plusieurs mois. Les femmes andines y ont été en première ligne. Violentées par la police pour s’être mobilisées, certaines sont aujourd’hui visées par la justice pour terrorisme.

Daysi Huanca, manifestante de la région de Puno. ©Maïlys Khider

Le jean noir de Daysi Huanca, trente ans, cache à peine les traces de contusions et les cicatrices à la cheville. La jeune habitante d’Ilave, une petite ville d’une région rurale du centre du Pérou est de passage dans la capitale pour acheter des pièces détachées de voiture pour son père. Sur la place bruyante qui fait face au bâtiment, des vendeurs à la sauvette proposent des câbles électriques et des jouets. C’est ici, à Lima, que Daysi a été blessée à plusieurs reprises en janvier et février.

« En manifestation, la police m’a matraquée. Aujourd’hui, je me sens traumatisée, témoigne-t-elle. Et je ne suis pas la seule. Des femmes de ma région de Puno qui ont été arrêtées m’ont raconté avoir été dénudées, puis aspergées d’eau, sans même pouvoir manger en garde à vue. Ils s’en fichent que nous soyons des femmes. »

Comme Daysi, des milliers de femmes andines ont quitté leur campagne ou leur village pour monter à Lima à partir de décembre 2022. Elles y ont protesté contre la prise de pouvoir de la présidente Dina Boluarte et la violence d’État qui a suivi la destitution de l’ex-président Pedro Castillo.

En 2021, ce fils de paysans devenu instituteur et syndicaliste avait été élu contre Keiko Fujimori, fille de l’ancien dictateur Alberto Fujimori. Castillo, premier indigène à accéder à la présidence, avait obtenu le vote de la plupart des Andins de l’intérieur du pays. Durant des mois, chacune de ses initiatives a été bloquée par le Congrès, à majorité de droite.

Une instabilité politique s’est ensuite installée. Le 7 décembre, Pedro Castillo a annoncé à la télévision la dissolution du Congrès, la prise de contrôle de l’appareil judiciaire et un couvre-feu. Il se retrouve ensuite arrêté et emprisonné dans la foulée. Sa vice-présidente, Dina Boluarte, est investie présidente le même jour.

Un mouvement venu des campagnes

Les électeurs de Castillo dénoncent alors un coup d’État de l’oligarchie. Des manifestations éclatent dans toutes les provinces du Pérou. Le mouvement part surtout des campagnes. Et les femmes andines sont aux avant-postes des mobilisations.

En plus de se placer en première ligne dans les cortèges, elles ont affrété des bus vers Lima, ont trouvé des logements, de grandes quantités de nourriture, ont prodigué des soins aux blessés. « Nous ne nous retirerons pas à la campagne. Tant que Dina Boluarte n’aura pas démissionné, nous resterons à Lima », clamait en janvier 2023 Lourdes Huanca, l’une des leaders de la contestation, devant une large foule.

« Les Andines sont toujours présentes dans les manifestations. La particularité de cette crise politique, c’est qu’elles sont venues à Lima, à la capitale, analyse Ruth Luque, députée du parti Juntos por el Pérú depuis son bureau du Congrès où s’affiche un drapeau andin. Les femmes indigènes ont dit : “Nous sommes ici !” Cette crise est une recherche d’affirmation de leur rôle politique », ajoute-t-elle.

Ruth Luque devant un drapeau à carrés multicolores.
Ruth Luque, membre du Congrès péruvien pour le parti Juntos por el Perú, devant un drapeau andin.©Maïlys Khider

Avant le 7 décembre, la jeune rurale Daysi Huanca ne connaissait par exemple rien à la politique. Mais au lendemain de la destitution du président Castillo, les discussions sur le sujet agitent son village, Ilave. « C’est inacceptable que l’élection ait été ignorée de cette façon », s’insurge-t-elle.

Le 9 janvier 2023, l’intervention de la police en manifestation fait 18 morts et une centaine de blessés à Juliaca, une ville du sud du Pérou. « Des représentants de toutes les provinces se sont réunis dans ma région, se rappelle Daysi, présente lors de ces rassemblements. Les mères qui avaient perdu leur enfant pleuraient. Nous étions choqués, tristes. Nous avons décidé d’aller à Lima. On ne pouvait pas permettre qu’ils tuent des gens ! » Le 18 janvier, après seize heures de bus, la jeune femme découvre Lima. « C’est la première fois que je mettais les pieds dans cette ville. Nous ne connaissions rien. Nous ne savions pas où aller. »

Le groupe tente de loger dans l’université San Marcos, où sont réfugiés des manifestants. Ils sont prévenus : la police pourrait les déloger. Quelques jours plus tard, la police envoie de fait des tanks pour sortir les manifestants manu militari« Nous avons alors été accueillis par une famille que je connaissais ». Daysi a vécu plus de deux mois à Lima afin de remplir les rangs du mouvement.

« La police nous suivait sans arrêt »

Aurora Coronado est, elle, restée plus de quatre mois dans la capitale. Née dans la campagne, elle a intégré la Fédération nationale de femmes paysannes, indigènes, natives, et salariées du Pérou (Fenmucarinap). Dans un local prêté par le parti Nuevo Perú, elle a aussi subi la répression de la police.

« Ils sont entrés pour y lancer des bombes lacrymogènes, là où nous dormions et mangions, témoigne-t-elle. La police nous suivait sans arrêt. À la porte de notre local, ils étaient environ 200. J’ai été blessée à la main et au genou. » Aurora ne peut alors pas même se rendre à l’hôpital. « La police surveillait tous les hôpitaux aussi. Nous avons dû apprendre à nous soigner nous-mêmes. La presse disait que nous étions à la tête d’organisations terroristes. Et la police nous disait de retourner cuisiner », ajoute-t-elle.

« Ils m’ont frappée à la tête, ont tiré des cartouches sur tout mon corps », rapporte de son côté Leandra Condori, charismatique avocate quinquagénaire, qui a vécu 56 jours dans un parc à Lima pendant le mouvement. La membre de la Fédération agricole révolutionnaire de la ville andine de Cuzco a été élue présidente du comité de lutte de sa région. Elle est alors venue manifester dans la capitale, « pas pour défendre Pedro Castillo, mais le vote populaire », précise-t-elle. À Lima, elle a été témoin de « la violence qui s’est abattue », une violence « doublée de machisme ». (…)

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