🇺🇸 « Il est possible de résister à la présidence impériale de Trump », une conversation avec l’ancien président colombien Ernesto Samper (Florent Zemmouche / Le Grand Continent)


« Trump va obtenir quelque chose qu’il ne cherchait sûrement pas : l’unité de tous les pays qu’il veut fragmenter et dont il a besoin d’une manière ou d’une autre. » La leçon pour les Européens vient peut-être d’Amérique latine. Une semaine après la passe d’armes historique entre le président colombien Gustavo Petro et Donald Trump, nous sommes revenus avec Ernesto Samper sur ce que le projet expansionniste et agressif de Trump implique pour la région.

© AP Photo/Fernando Vergara

Ce que le président Trump veut établir dans le cadre de son projet impérial, c’est une nouvelle forme de diplomatie, la diplomatie idéologique, qui établit des différences internationales entre les pays idéologiquement amis et les pays idéologiquement ennemis. Et la Colombie semblait être un excellent ennemi idéologique pour créer un précédent disproportionné. Tout ce que le président Petro voulait, c’était un traitement digne et humain pour les Colombiens expulsés des États-Unis. 

Les gouvernements latino-américains ne peuvent accepter que leurs ressortissants, qui travaillent en situation irrégulière aux États-Unis, soient traités comme des criminels, capturés lors de sinistres raids, emprisonnés loin de leur famille, renvoyés dans leur pays menottés et traités de manière indigne et inhumaine. Ce traitement va à l’encontre de toutes les conventions internationales sur l’asile et de la loi américaine sur les réfugiés de 1980. 

Donald Trump a déclaré que seuls des criminels, des meurtriers et des trafiquants de drogue colombiens montaient dans les fameux avions qui volaient en direction de Bogotá. C’était faux. Les autorités colombiennes ont prouvé qu’aucun migrant expulsé dans ces avions n’avait de casier judiciaire. Rien ne justifie de les traquer comme des animaux, de les mettre en cage et de les renvoyer pieds et poings liés. Des enfants étaient à bord de ces avions… 

Oui. Le président Gustavo Petro s’est légitimement plaint des conditions dans lesquelles les migrants étaient renvoyés — tout comme l’ont fait d’autres présidents de la région : la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum, la présidente hondurienne Xiomara Castro et le président brésilien Lula lui-même. 

Mais dans ce cas, la réponse a été absolument disproportionnée, annonçant pratiquement un blocus économique et de mobilité de la Colombie par les États-Unis. La réaction de Trump a été tellement disproportionnée qu’il est difficile de ne pas penser qu’il s’agissait avant tout d’envoyer un message. Il s’agissait sans aucun doute de montrer un exemple pour les autres pays : s’ils n’obéissent pas aveuglément aux ordres donnés par le président impérial, ils subiront le même sort que la Colombie. L’épisode a été surmonté, mais il subsiste un profond mécontentement en Amérique latine quant au traitement réservé à ces migrants déportés. Encore une fois, malgré ce que peut dire l’administration américaine, ce ne sont pas des criminels.

Je pense que la condition de criminalisation des migrants correspond à une idéologie de droite qui ressemble beaucoup à ce que fait Benjamin Netanyahou avec les Palestiniens. Trump a parlé de « nettoyer » la bande de Gaza, il parle de centres de détention pour les migrants. La rhétorique nazie n’est jamais très loin. Je vois dans cette attitude, avec beaucoup de crainte, l’escalade d’une tendance marquée ces dernières années — parrainée surtout par des hommes politiques de droite. Cette logique ne vise qu’à criminaliser, stigmatiser, torturer les migrants.

Au niveau national, les migrants jouent souvent le rôle de bouc émissaire dans le pays qui cherche à les expulser — et où pourtant ils travaillent et alimentent l’économie locale. 

Il n’est pas anecdotique de constater que c’est sur cette question que des tensions sont apparues entre Petro et Trump. L’expulsion des migrants va être le grand sujet de confrontation entre l’Amérique latine et les États-Unis. Je pense que cela sera beaucoup plus important que les questions — également inquiétantes, bien sûr — des revendications territoriales de Trump sur le Panamá et son canal, le golfe du Mexique, le Canada, le Groenland. 

Dans les premiers épisodes de l’administration Trump, il est clair qu’il y a une intention de distinguer entre les pays qui sont idéologiquement amis et ennemis, non pas des États-Unis, mais du gouvernement de Trump — c’est différent et important ici. Je trouve cela très inquiétant, car depuis les années 1950 et l’ère du mercantilisme, il n’y a pas eu d’intérêt aussi marqué pour l’idéologisation des relations internationales. Dans le cas de la Colombie, il s’agit d’un pari risqué car notre pays a été le meilleur allié des États-Unis dans une lutte qui est également dans leur intérêt : celle contre le trafic de drogue. Perdre un allié dans ce genre de questions — qui sont aussi d’intérêt international — a un coût très élevé. (…)

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