Le président argentin face à la pression pour libérer les prisonniers politiques (Carlos Schmerkin / Blog Médiapart)

Plus de 1 600 dirigeants politiques, sociaux, syndicaux et des droits de l’homme argentins ont réclamé, par le biais d’une lettre publiée dans plusieurs journaux, la liberté immédiate de Milagro Sala en désignant Gerardo Morales, le gouverneur de la province de Jujuy, comme responsable de sa persécution.

Dans une lettre intitulée “Pour une démocratie sans prisonniers politiques”, militants et responsables politiques ont exprimé leur soutien à la dirigeante de l’organisation Tupac Amaru, victime d’une «persécution politique, judiciaire et médiatique » dont le principal responsable est le gouverneur de Jujuy, Gerardo Morales, ainsi que le Tribunal Supérieur de Justice de cette province du nord de l’Argentine. 

“Ce 16 janvier marque la cinquième année de détention arbitraire de Milagro Sala. Depuis lors et jusqu’à aujourd’hui, elle continue d’être détenue, actuellement assignée à résidence, ainsi que d’autres membres de son organisation”, commence le texte qui a été signé par plus de 1600 personnalités politiques et sociales. Parmi les signataires figurent plusieurs responsables du parti au pouvoir, tels que le ministre du Développement territorial et de l’Habitat, Jorge Ferraresi, le secrétaire aux Droits de l’homme, Horacio Pietragalla, la directrice de l’Agence fédérale de renseignement, Cristina Caamaño, Mayra Mendoza (maire de Quilmes), Paula Español (secrétaire au Commerce intérieur), María Laura Garrigós (sous-secrétaire aux Affaires pénitentiaires du ministère de la Justice), Julio Alak (ministre de la Justice et des droits de l’homme de la province de Buenos Aires) et Dora Barrancos (conseillère présidentielle).

Milagro Sala assignée à domicile © Prensa Tupac

L’emprisonnement de Milagro Sala a un objectif bien déterminé : “décimer l’organisation populaire Tupac Amaru, qui a réussi à briser le monopole du logement public et construire des budgets participatifs en la matière, qui ont mis en échec le système politique et économique de Jujuy en dénonçant les pactes mafieux avec la dernière dictature civico-militaire, et qui a donné la priorité et une place importante aux exclues, aux autochtones, aux chômeurs et aux jeunes, en tant que sujets de droits et de transformation sociale », ont déclaré les signataires de la lettre.” Milagro Sala est emprisonnée à Jujuy pour avoir été une dirigeante politique confrontée au pouvoir. Elle est emprisonnée pour être une femme, noire et combattante ” ont-ils assuré.

Le 16 janvier 2016, le gouverneur de Jujuy, Gerardo Morales, a fait arrêter Milagro Sala afin d’annuler son activité politique et sociale et de détruire la principale organisation sociale du peuple de Jujuy: Tupac Amaru. Il était intolérable pour le gouverneur et pour le reste de la classe dirigeante que des milliers de « jujeños » soient organisés en coopératives pour construire des maisons, des usines textiles, des centres de santé, des centres culturels, des écoles primaires, secondaires et supérieures; et qu’ils soient capables de construire leurs propres organisations sociales et politiques, de se présenter aux élections provinciales avec leur propre front politique et d’obtenir l’élection de plusieurs législateurs. C’est pourquoi Morales parle d’un «État parallèle», en référence claire au pouvoir social et politique accumulé par les organisations populaires. (…)

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En France

Lettre publiée dans le journal Página12, signée par des personnalités politiques, intellectuelles, militantes, associatives, de France et d’autres pays, (dont des membres de la direction de FAL) et l’Assemblée de Citoyens Argentins en France (ACAF).

Pas de démocratie avec des prisonniers politiques

Tout au long de son histoire, la construction de la démocratie en Amérique latine a été systématiquement compromise par l’ingérence des intérêts économiques des puissances étrangères et des oligarchies locales. En Argentine, au milieu des années 1970, le terrorisme d’État a éliminé les opposants politiques, laissant un solde de milliers de prisonniers, assassinats et portés disparus. Il a installé des politiques néolibérales et des mécanismes de domination au travers de dettes impayables conduisant à la faillite de l’État en 2001.

Aujourd’hui, on observe de nouvelles stratégies de déstabilisation qui affaiblissent le jeu démocratique, telles que différentes formes de coups d’État – empêchement de Dilma Rousseff au Brésil (2016), coup d’État contre Evo Morales en Bolivie (2019) – et le “lawfare” (ou harcèlement judiciaire), mécanisme de persécution judiciaire des opposants politiques avec la complicité des médias concentrés et leur diffusion massive. Le “lawfare” a été – et est – utilisé dans notre région contre les dirigeants des gouvernements populaires, comme le montrent l’emprisonnement de Lula Da Silva au Brésil (2018), l’interdiction de Rafael Correa en Équateur (2018), et la persécution de la vice-présidente Cristina Fernández de Kirchner et d’anciens membres de son gouvernement en Argentine à partir de 2016.

L’arrivée au pouvoir de Mauricio Macri en 2015 a marqué le début d’un nouveau plan d’endettement de l’Argentine par le biais de prêts non remboursables accordés par des banques privées internationales et par le FMI. Parallèlement, des politiques répressives ont été mises en œuvre, criminalisant la protestation sociale et utilisant la justice à des fins politiques.

Dans son discours inaugural du 10 décembre 2019, le président élu Alberto Fernández a déclamé : “Plus jamais une justice contaminée par les services de renseignement, les opérateurs judiciaires, les procédures obscures et les lynchages médiatiques”. Cependant, un an après son investiture, plusieurs personnalités politiques et militants des mouvements sociaux emprisonnés sous le gouvernement de Mauricio Macri sont toujours en détention.

Le cas de Milagro Sala, dirigeante sociale de l’organisation Tupac Amarú, détenue arbitrairement depuis le 16 janvier 2016 dans la province de Jujuy, est un exemple d’école de l’utilisation du “lawfare“. Le gouverneur de Jujuy, Gerardo Morales, a déployé tout l’appareil répressif en ouvrant une procédure entachée de graves irrégularités, dans le seul but de la maintenir en prison et de l’empêcher de participer à la vie politique, l’empêchant ainsi d’occuper son poste de députée du Parlasur (parlement du Mercosur) obtenu au suffrage universel.

Un autre cas emblématique est celui d’Amado Boudou, ancien vice-président de la Nation, dont la condamnation était basée sur un témoin de corruption avéré, et dont la révision du dossier a été rejetée sans explication par la Cour suprême de justice en décembre dernier. En 2009, Boudou a été l’architecte du retour à la nationalisation du système de retraite privatisé dans les années 1990 sous la présidence de Carlos Menen.

Face à un pouvoir politico-médiatico-judiciaire qui répond à des intérêts hégémoniques, et s’en prend ouvertement aux règles du jeu et des institutions démocratiques, l’Assemblée des citoyens argentins en France – ACAF – ainsi que des parlementaires et des représentants politiques, sociaux et syndicaux de différents pays, expriment leur solidarité avec les processus démocratiques en Amérique latine, leur rejet à l’utilisation du droit comme nouvelle arme de domination dans la région, et demandent à l’État argentin de libérer immédiatement les prisonniers politiques.

Liberté pour Milagro Sala
et toutes et tous les prisonniers politiques en Argentine


Voir également Milagro Sala, punie pour avoir allumé l’espoir (Rosa Moussaoui / L’Humanité / article réservé aux abonné.e.s) ici