🇸🇻 Le Salvador affronte la Cour interaméricaine des droits de l’homme et la France sur la question de l’avortement (Marie Bessenay / Espaces Latinos)


La Cour interaméricaine des droits de l’homme s’apprête à se prononcer sur une affaire historique concernant l’interdiction totale de l’avortement au Salvador. Seuls huit pays dans le monde ont une législation aussi stricte que le Salvador concernant l’avortement, où une femme peut encourir jusqu’à trente ans de prison pour une fausse couche “suspecte”. Cette affaire pourrait ouvrir la voie à une dépénalisation dans la région.

Photo : La Jornada

Récemment, le Salvador fait beaucoup parler de lui, par la personnalité exubérante de son président, sa guerre contre les gangs et sa méga prison. Mais un autre sujet déchaîne les passions et polarise l’opinion publique : celui de l’avortement. Dans ce petit pays d’Amérique centrale, l’interruption volontaire de grossesse est illégale, et même plus : c’est un crime, et pas des moindres. Alors qu’en 1974, le Code pénal fixait trois motifs pouvant justifier une IVG : danger pour la santé ou la vie de la femme, malformation congénitale du fœtus incompatible avec la vie ou grossesse étant le résultat d’un viol, ces dispositions ont été supprimées en 1998. Aujourd’hui, absolument rien ne permet de justifier un avortement et les femmes y ayant recours encourent jusqu’à huit ans de prison. Même les femmes faisant de fausses couches sont suspectées et certaines d’entre elles écopent jusqu’à quarante ans de prison pour homicide aggravé. Le gouvernement exerce des pressions sur les médecins et le personnel médical, qui vivent dans la peur d’être déclarés complices non seulement s’ils pratiquent l’avortement mais également s’ils ne dénoncent pas une fausse couche. Le Fonds des Nations unies pour la population s’inquiète également des cas de suicides d’adolescentes qui, sans option et dans des situations plus dures les unes que les autres, s’ôtent la vie.

Le cas Beatriz à la CIDH : un espoir ?

En 2013, Beatriz, déjà maman d’un petit garçon, avait 22 ans quand elle est tombée enceinte pour la deuxième fois. Elle a été diagnostiquée d’une maladie auto-immune, précisément un “lupus érythémateux disséminé aggravé par une insuffisance rénale et une polyarthrite rhumatoïde”. Tous les médecins étaient d’accord pour dire que sa grossesse la mettait en danger. Par ailleurs, le fœtus était anencéphale, c’est-à-dire qu’il n’avait pas développé de cerveau et avait une chance de survie de quelques jours maximum après sa naissance. En raison de la loi en vigueur au Salvador, les médecins lui ont refusé l’avortement. Toutes les actions en justice ont échoué. Avec l’aide d’associations militantes, le cas a été porté en urgence devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Après 80 jours de souffrance, la jeune femme a pu bénéficier d’une césarienne grâce à une mesure provisoire de la Cour. Cette dernière a conclu que le Salvador portait atteinte aux droits à la vie, à l’intégrité personnelle, à la vie privée et à la santé, tant physique que mentale, de Beatriz. Tous ces droits sont contenus dans la Convention interaméricaine des droits de l’Homme. Comme prévu, le fœtus n’a pas survécu. Beatriz est décédée cinq ans après, en 2017, après un accident de la route qui a entraîné des complications dues à son état de santé fragilisé depuis sa grossesse.

Ce mercredi 23 mars, le cas est de nouveau porté devant la CIDH. En effet, la Commission interaméricaine des droits de l’homme, l’organe qui décide si porter un cas ou non devant la Cour, qui sera, elle, en mesure de condamner un État, considère l’État du Salvador responsable de la violation des droits de Beatriz. C’est la première fois que la CIDH sera amenée à se prononcer aussi radicalement sur le sujet de la prohibition totale de l’avortement. En effet, les collectifs féministes espèrent que la décision de la Cour pourra avoir un impact sur les législations en place dans la région. Celle-ci avait déjà, par le biais de recommandations, demandé au Salvador de mettre en place des mesures permettant l’interruption de grossesse en cas de malformation du fœtus et en cas de « risque pour la vie et de risque grave pour la santé et l’intégrité » de la femme enceinte. Cette affaire « Beatriz contre le Salvador » est comparée dans la presse internationale à un “Roe vs Wade”, l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis qui garantissait l’avortement dans la Constitution, annulé en juin 2022.

Un prix Simone Veil qui suscite une levée de boucliers

La lutte avance, les organisations féministes se font entendre. Le 8 mars, le prix Simone Veil de la République française a été décerné au Collectif citoyen pour la dépénalisation de l’avortement. Ce prix au nom plus que symbolique, institué par le président de la République française pour récompenser les personnalités et les organisations qui luttent pour les droits des femmes dans le monde a été reçu à Paris par Morena Herrera, la présidente du collectif. Le combat de ces militantes avait déjà été reconnu par la France en 2019, cette fois-ci à travers le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes. Le collectif, qui a accompagné Beatriz dans ses actions en justice, avait réussi à faire libérer 70 femmes qui encouraient trente ans de prison ou plus. Elles étaient condamnées pour meurtre suite à des fausses couches. Au Salvador, et en Amérique centrale, la mobilisation a été jusqu’alors moins impressionnante que dans le reste de l’Amérique latine, comme en Argentine avec les foulards verts, mais Herrera souligne des progrès : « La nuit durant laquelle le Code pénal a été modifié à l’Assemblée législative, nous étions cinq féministes à protester, aujourd’hui nous sommes des centaines, voire des milliers, à nous mobiliser, la plupart jeunes et très jeunes ». (…)

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