🇵🇪 Séisme politique au Pérou : secoué par une série d’enquêtes, le gouvernement Castillo risque de s’effondrer (Eduardo Ugolini / Espaces Latinos)
À la tête du pays depuis à peine un an, le président Pedro Castillo est confronté à un défi majeur : consolider sa légitimité face au mouvement tectonique incarné par l’élite politique conservatrice de droite. Alors que sa belle-sœur a été arrêtée, soupçonnée de corruption, la démission en cascade de ses ministres accentue son isolement. Un déclin irréversible pour l’ancien enseignant rejeté aujourd’hui par 74 % de la population ?
C’est sans doute une annus horribilis pour Pedro Castillo. L’ensemble des difficultés et de défis auxquels est confronté l’ex-instituteur rural et syndicaliste de 52 ans est en effet très lourd. Élu de justesse le 28 juillet 2021 avec 50,1 % des suffrages, soit 44 000 voix d’avance sur Keiko Fujimori sur près de 19 millions de votants, il doit répondre à un record de six enquêtes du ministère public pour corruption présumée. Une situation inédite au Pérou pour un président en exercice. En outre, après la demande du Congrès de l’accuser de crime de trahison, le 9 août, la Cour supérieure de justice avait autorisé la police péruvienne à entrer au palais présidentiel à la recherche de Yenifer Paredes, l’introuvable belle-sœur soupçonnée, elle aussi, de faire partie d’un réseau de corruption.
Voilà les multiples défis que M. Castillo doit relever pour honorer sa présidence. Mais surtout pour asseoir son autorité aux yeux de son peuple face à une opposition implacable et à plusieurs têtes. Il s’est adressé à la nation, le soir même de l’intervention policière dans son palais, pour lancer un appel à l’unité de « tous les Péruviens » afin de « garantir l’État de droit, l’ordre démocratique et la volonté populaire ». « Ils ont les moyens, ils ont de l’argent, mais ils n’ont pas le peuple », a-t-il déclaré en allusion aux forces de l’opposition qui selon lui l’empêchent de gouverner. En ce qui concerne le soutien de « son » peuple, le président manque-t-il de réalisme ? Selon un sondage Ipsos de juillet, il est crédité de 74 % d’opinions défavorables dans sa gestion du pays.
Et pour cause : quatre Premiers ministres et sept ministres de l’Intérieur ont quitté le gouvernement depuis sa prise de fonction. Entre-temps, le président a échappé à deux tentatives de destitution et doit faire face à six enquêtes pour corruption présumée (la dernière a été ouverte le 11 août). Pedro Castillo voit ainsi son image à jamais ternie par une série d’affaires : après des perquisitions sans précédent dans l’histoire du pays, qualifiées de « show médiatique » par le propre chef de l’État, Yenifer Paredes s’est finalement livrée à la justice. La sœur cadette de la Première dame, Lilia Paredes, est « soupçonnée d’appartenir à un réseau de corruption et de blanchiment d’argent ».
Selon le procureur, elle est liée à une association criminelle en tant qu’« intermédiaire ». Dans la même procédure judiciaire ont été arrêtés le maire d’une ville de la région natale du président et deux frères et hommes d’affaires. Par ailleurs, M. Castillo se retrouve – personnellement – en fâcheuse posture : en plus des affaires dans lesquelles il est cité par le ministère public (trafic d’influence présumé dans l’achat de carburant par l’entreprise publique Petroperu, obstruction présumée de la justice dans la destitution d’un ministre de l’Intérieur, des allégations de corruption et de collusion aggravée dans un projet de travaux publics, de trafic d’influence dans un dossier de promotion militaire), il est soupçonné de plagiat dans sa thèse universitaire !
Une année horrible donc pour ce fils de paysans illettrés cholos (métis péruvien). Triste bilan pour celui qui, à la surprise générale, avait réussi il y a tout juste un an l’exploit de remporter l’élection présidentielle en battant l’élite politique péruvienne. Troisième d’une famille de neuf enfants, élevé dans un hameau situé sur le haut plateau andin, il labourait les champs à côté de ses parents et devait marcher plusieurs kilomètres pour se rendre à l’école.
Au début des années 90, réalisant le rêve de ses géniteurs déshérités, il réussit son diplôme de psychopédagogie de l’université César Vallejo et devint instituteur dans la région de Puña où il est né. Alarmé par la sous-nutrition de ses élèves et la négligence des autorités en matière d’éducation rurale, Castillo prend alors la décision de joindre la lutte syndicale pour réclamer une hausse du budget de ces deux mamelles de l’avenir d’une nation : l’éducation et la santé. La suite de son expérience en politique, on la connaît.
Cela pour dire qu’il s’était élevé plus haut que l’humble et misérable condition sociale d’une grande majorité de ses compatriotes de Puña, l’une des régions les plus pauvres du Pérou. Ce parcours de vie, exemplaire d’un point de vue philanthropique, devrait être considéré comme un atout dans la biographie d’un homme politique voué au bien-être de son peuple. Or ce n’est en réalité, hélas, qu’un handicap pour un nouveau venu dans l’arène du pouvoir péruvien : un système politique rongé par le cancer d’une corruption institutionnelle endémique.
L’actuel président, lui-même, a connu de près les tentacules de ce fléau : Vladimir Cerrón, secrétaire général du parti Pérou libre, que Castillo avait désigné comme colistier pour la vice-présidence, a été condamné en 2019 à quatre ans de prison pour corruption. Depuis trois décennies, tous les anciens présidents du Pérou ont été condamnés ou mis en examen1 pour une corruption entretenue par une élite économique surpuissante.
Ce sont les réseaux de la finance en connivence avec les lignages politiques, à leur tour épaulés par des entreprises multinationales, soutenus et promus en moment opportun par certaines chaînes de médias influents2. Sur ce point, le dernier Premier ministre démissionnaire, Anibal Torres, a pointé la presse en déclarant que « ceux qui attaquent le président appartiennent à la classe supérieure, à la droite et à l’ultra-droite », et il a ajouté que ceux qui accusent le président sont « les vrais voleurs, qui ont volé des milliards au Pérou ».
C’est aussi ce que pensent celles et ceux qui ont voté pour cet homme « providentiel » issu d’un milieu défavorisé comme eux : il fallait lui donner une chance, dans cette « démocratie » péruvienne où de toute évidence il n’a vraiment pas de place pour des politiciens mineurs tombés du ciel, des néophytes isolés étrangers au protocole de la diplomatie et qui ignorent les subtilités de la fonction présidentielle comme c’est le cas de Pedro Castillo. (…)
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